Vu sur Ciné + : Wet Season

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© 2019 Pow Lai Xiang / Giraffe Pictures / Epicentre Films Tous droits réservés

Il pleut sans cesse sur Singapour. Au moins à ce niveau-là, Wet Season porte bien son nom. Car sinon, il s’agit plus d’un drame intimiste, sans coup d’éclat mais animé par une très belle sérénité intérieure, que du brûlot à scandales que la bande-annonce voudrait nous vendre. Et comment pourrait-il en être autrement de la part d’un réalisateur aussi discret que Anthony Chen, Caméra d’or au Festival de Cannes en 2013 pour Ilo ilo, qui aura donc mis six longues années avant de passer à son deuxième long-métrage ? L’attente aura plutôt valu la peine, puisque ce film-ci se distingue par le même regard décomplexé sur la société singapourienne que le premier coup de maître du réalisateur.

Au lieu d’attendre impatiemment que la romance entre une prof de chinois et son élève se concrétise en termes érotiques, vous ferez en effet mieux d’apprécier l’agencement subtil de cette relation mal vue au cours des semaines de la saison des moussons. Le lien de plus en plus fort entre les deux personnages a certes toute son importance au sein du récit. Le réduire à cette seule fonction de soupape contre les frustrations de la vie courante, ce serait par contre passer un peu trop vite sur la description saisissante des forces divergentes, à l’œuvre dans le microcosme de la cité-État de l’Asie du sud-est.

© 2019 Pow Lai Xiang / Giraffe Pictures / Epicentre Films Tous droits réservés

Quelle est à l’heure actuelle l’identité nationale de ce petit pays, coincé entre des puissances plus ou moins proches et influentes comme la Chine, la Malaisie et l’Indonésie ? L’ambition de Wet Season n’est guère de fournir une réponse irréfutable d’un point de vue géopolitique à cette vaste question. Le film s’emploie davantage à indiquer à quel point cette position au carrefour des différentes cultures asiatiques aura mené à un métissage pas forcément harmonieux. Ainsi, le personnage principal part avec le double malus, soi-disant, de ses origines d’immigrée du pays voisin et de son investissement dans une bataille linguistique apparemment perdue d’avance en faveur de l’anglais. Sans même parler de ses autres soucis de fécondité défaillante et de responsabilité envers son beau-père handicapé, qui réside dans l’appartement conjugal.

Très tôt, ce dernier devient un lieu de malaise diffus, à cause de l’état léthargique du couple de Ling. Interprétée par Yeo Yann Yann avec un sens précis pour la douleur sourde de son personnage, cette femme en quête de progéniture n’a cependant pas encore perdu tout espoir à ce sujet. Elle s’accroche à la fois à sa thérapie hormonale et au rôle de la bonne épouse, bien que les indices ne manquent pas pour le retrait progressif de son mari du projet familial commun. Pourtant, la narration n’en fait pas tout un drame. Elle préfère laisser végéter la protagoniste dans la routine abrutissante du train-train professionnel et privé dont elle paraît s’être contentée depuis longtemps.

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Le même registre de l’observation impliquée, mais nullement mélodramatique, s’applique quand l’amitié entre Ling et son élève Wei Lun bascule vers quelque chose de plus passionnel. Le récit n’est par ailleurs nullement empressé de montrer le passage à l’acte ou une quelconque obsession malsaine de l’adolescent envers son aînée. A l’image du ton global du film, ce coup de foudre impossible se distingue par sa magnifique pudeur. Toute une série de moments de complicité, simples et beaux, le précèdent, qui auraient facilement pu déboucher sur une relation platonique. Car même une fois que le jeune champion d’arts martiaux aura osé franchir le pas – merci Jackie Chan ! – , il reste un merveilleux air de fragilité dans ce couple improvisé à l’abri des regards.

Enfin, le cadeau le plus précieux que Anthony Chen a pu nous faire lors de la conclusion de Wet Season – encore disponible sur le replay de Ciné + jusqu’à la fin de la semaine – , c’est qu’il évite volontairement de sortir le bâton du châtiment moral. A l’école de Ling, sa relation sulfureuse avec un mineur a moins d’importance, il faut croire, que les aspirations politiques du directeur. Son couple éclate avec la même mollesse qui l’avait caractérisé jusque là. Et l’heureux événement tant attendu est filmé avec une incroyable discrétion. Il finit par donner lieu à un retour aux sources, en réalité hélas sans doute moins idyllique que le ciel enfin dégagé sur lequel se clôt ce conte sentimental d’une indicible retenue.

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