Critique : Two lovers

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Two lovers

Etats-Unis, 2008
Titre original : Two lovers
Réalisateur : James Gray
Scénario : James Gray et Ric Menello
Acteurs : Joaquin Phoenix, Gwyneth Paltrow, Vinessa Shaw, Isabella Rossellini
Distribution : Wild Bunch Distribution
Durée : 1h49
Genre : Drame romantique
Date de sortie : 19 novembre 2008

Note : 3,5/5

Notre tour partiel de la filmographie de James Gray, rendu possible grâce à la programmation toujours aussi variée du cinéma Grand Action à Paris, se termine sur une réévaluation à la hausse du quatrième film du réalisateur. Two lovers se distingue en effet par le déroulement naturel et nullement forcé de son intrigue, une qualité dont ne jouissent pas forcément des histoires aussi lourdes de sens que celles des films récemment chroniqués sur notre site. Pour la première et jusqu’à présent unique fois au fil d’une carrière tout de même longue de plus de vingt ans, James Gray y fait l’impasse sur les grands enjeux tragiques de la classe immigrée, brinquebalée au gré de la constitution de la culture américaine, afin de mieux se concentrer sur le sort des petits gens, des héros modestes du quotidien qui cherchent leur part du bonheur dans des relations romantiques hautement complexes. Au cœur du récit, tributaire d’une normalité entièrement séduisante, Joaquin Phoenix excelle grâce à son interprétation la plus décomplexée, alors que son personnage peut être compris comme la synthèse de toutes les névroses et autres illusions amèrement déçues qui caractérisent notre époque.

Synopsis : Leonard Kraditor s’en remet doucement de la rupture de ses fiançailles. Sous médicaments pour soigner ses troubles psychiques, il est retourné vivre depuis quatre mois chez ses parents. Son père, propriétaire d’un pressing, voudrait voir son entreprise fusionner avec celle de la famille Cohen, ce qui assurerait à Leonard un avenir matériel plus serein. La transaction pourrait également inclure une relation avec Sandra, la fille du futur associé. Leonard s’entend certes bien avec elle, mais il subit un coup de foudre pour Michelle, la nouvelle voisine du dessus. Il passe de plus en plus de temps avec elle, jusqu’à ce qu’il apprenne qu’elle a déjà un amant, un homme marié qui refuse de divorcer pour officialiser leur liaison.

Un jour ma princesse viendra

Si James Gray avait continué à porter un regard sombre et désenchanté sur l’humanité, comme il l’avait fait dans ses trois films précédents, la vision de Two lovers aurait sans doute été un calvaire. Car il n’y a pas de quoi tergiverser, le protagoniste est un perdant, qui – au mieux – ne sait pas ce qu’il veut et qui – au pire – ne réussira jamais à s’intégrer dans son environnement d’une banalité pas sans charme. Leonard cultive pourtant des projets plus ou moins démesurés, comme poursuivre un jour de façon professionnelle son activité de photographe amateur ou bien rafistoler son cœur brisé en mille morceaux à cause d’une séparation récente en tombant à nouveau éperdument amoureux. Son comportement maladroit le rend attachant, bien que le petit grain de folie qui l’anime sans cesse ouvre la voie à un débordement des sentiments potentiellement néfaste. Cette ambiguïté des actes et des pensées, Joaquin Phoenix la transmet admirablement, par le biais d’une interprétation qui garde à fleur de peau cet homme en quête de maturité, tout en le laissant reculer instinctivement chaque fois qu’il court le risque de succomber à l’excès aux conséquences irréparables. De cette imperfection on ne peut plus humaine résulte une accessibilité affective inouïe, particulièrement propice à l’identification auprès des spectateurs au cœur d’artichaut, qui font preuve d’un idéalisme au moins aussi fanatique et illusoire en termes d’aventures romantiques sans lendemain que Leonard.

La délicatesse de l’écriture sur l’avant-bras

Or, la narration s’emploie justement à ne jamais tout à fait laisser tomber le personnage principal dans un désarroi existentiel sans fond. Les dispositifs de rattrapage sont en effet multiples, tels concrètement une sensibilité féminine au moins aussi imprévisible que l’emploi du temps de Leonard et de manière plus abstraite la subtilité du ton du film. Ce dernier préfère donner le bénéfice du doute aux affres sentimentales que traverse le protagoniste pas toujours indemne, au lieu de démasquer ses aventures comme une série de terribles manipulations et autres pis-aller. A bien y regarder, le point de vue de la mise en scène s’apparente à celui d’une mère, inlassablement préoccupée par le bien-être de sa progéniture et néanmoins impuissante lorsqu’il s’agit d’intervenir pour la remettre sur le bon chemin. Sans surprise, James Gray a une fois de plus fait appel à un membre éminent de la vieille garde du cinéma international pour ancrer son propos, en la personne de Isabella Rossellini, simplement parfaite dans le rôle bref, mais indispensable, de la mère juive qui veille sur son fils au point de tout lui pardonner. Elle est plus que convenablement entourée par Gwyneth Paltrow et Vinessa Shaw, qui poursuivent les portraits de femmes fortes dont la filmographie du réalisateur contient désormais un nombre conséquent.

Conclusion

Quelle joie inattendue de revoir ce film plutôt atypique dans l’œuvre de James Gray ! Assez éloigné de l’abattement moral dans lequel a tendance à nous plonger la majorité de ses films, Two lovers est au contraire une histoire d’amour douce-amère, qui ne cherche jamais à trop conceptualiser les déboires sentimentaux de son héros, mal adapté aux conventions sociales de sa famille. Le personnage de Leonard que Joaquin Phoenix interprète tout à fait magistralement est un paria pitoyable, soit, mais la mise en scène met un point d’honneur à accentuer sa fragilité pour mieux rendre son humanité désarmante.

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