La Roche-sur-Yon 2017 : Tous les rêves du monde

0
1003

Tous les rêves du monde

France, Portugal, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Laurence Ferreira Barbosa
Scénario : Laurence Ferreira Barbosa et Guillaume André
Acteurs : Pamela Ramos, Rosa Da Costa, Antonio Lima, Mélanie Pereira
Distribution : Alfama Films
Durée : 1h48
Genre : Drame d’adolescents
Date de sortie : 18 octobre 2017

Note : 3/5

Des Portugais, il y en a beaucoup en France. Cette phrase peut sonner étrange, voire discriminatoire, elle n’est pas pour autant moins vraie. Parmi les communautés d’immigrés, ils forment une sorte de majorité silencieuse, parfaitement bien intégrée, à tel point qu’on n’en entend jamais parler. Pour remédier à cet oubli, tout à fait en phase avec l’état d’esprit collectif des Portugais en France qui se font discrets en toute circonstance, la réalisatrice Laurence Ferreira Barbosa, elle-même une descendante lointaine du peuple lusophone du côté de son grand-père paternel, a tourné Tous les rêves du monde. C’est un film touchant, qui puise certes dans l’univers portugais, mais sans en accentuer outre mesure les clichés folkloriques. Bien au contraire, l’immersion estivale dans la chaleur et les odeurs dépaysantes, les processions religieuses et les feux de broussaille, réussit à instaurer – le temps de la parenthèse des vacances – un climat de suspension, où les revenants français tentent d’oublier les tracas du quotidien chez eux. Sauf que pour cette deuxième ou troisième génération installée sur le sol français, il ne paraît jamais évident de choisir ses véritables attaches familiales; à l’image du personnage principal, une adolescente tout ce qu’il y a de plus ordinaire, dont les questions existentielles sur la voie à suivre pour sa vie d’adulte ne diffèrent guère de celles que d’autres filles de son âge se posent sans relâche, mais sans forcément un encadrement familial aussi protecteur.

Synopsis : Avant de repasser son bac, Pamela est hautement stressée. Elle n’est pas du tout bête, puisque elle a un faible pour les maths, et pas non plus sans verve, puisque elle s’entraîne régulièrement à la patinoire, mais le trac finit par lui coûter également cette deuxième chance. Elle espère que le séjour annuel au mois d’août au Portugal, le pays de ses parents, lui remontera le moral et lui permettra de réfléchir sereinement à son avenir. Une fois arrivée sur place, elle retrouve son ancienne amie Claudia, envoyée en avance au Portugal par ses parents à cause de son histoire d’amour avec un homme plus âgé. L’absence de perspectives de sa copine n’est pas fait pour encourager Pamela, qui vit son retour en France après les vacances d’une façon particulièrement incertaine.

Chez les gens normaux, toujours rien d’exceptionnel

Il ne nous arrive malheureusement pas très souvent de regarder un film avec des personnages sans histoires, qui vivent leur vie sans qu’un dispositif dramatique vienne artificiellement bousculer leurs habitudes. Nous remercions donc l’équipe du Festival de La Roche-sur-Yon de nous avoir permis d’en découvrir un, immédiatement avant sa sortie nationale, sous forme de ce drame d’adolescents doucement poignant, dont le réalisme sentimental et social font mouche. Le cadre portugais n’y joue ainsi qu’un rôle secondaire, quoique essentiel, dans la lente quête d’un sens à donner à sa vie, de la part d’une fille dépourvue de signes distinctifs. C’est justement cette banalité des préoccupations et des actions qui confère sa force au film, volontairement avare en effets voyants de narration. La complexité du personnage de Pamela est pour beaucoup dans la sensation passionnante d’authenticité qui émane du film, aussi grâce à l’interprétation joliment intériorisée de Pamela Ramos. Cette débutante devant la caméra sait cependant conférer un mélange unique de sentiments aussi complémentaires que la détermination, la révolte, la timidité et la soumission à son personnage, qui aurait facilement pu paraître mou et indifférent sans son implication personnelle substantielle. Car la Pamela de la fiction n’en fait qu’à sa tête, jusqu’à ne pas toujours rendre notre identification indirecte avec elle très aisée, par exemple dans sa réticence à donner suite aux avances de son prétendant, un apprenti pâtissier joué pourtant avec un capital de charme conséquent par Alexandre Prince. Grâce à son attitude bornée et imprévisible, elle maintient par contre le récit sur la voie de la fragilité constructive, primordiale pour mener à bien une incursion dans l’adolescence sans tomber en même temps dans les travers les plus glauques et convenus.

Nulle part chez soi

Ce qui ne signifie pas que Tous les rêves du monde soit un film solaire et optimiste. On dirait davantage qu’il s’agit d’un film disposant de l’intelligence requise – et au demeurant déjà fort précieuse – afin de réussir le grand écart entre le cadre culturel particulier des immigrés portugais et l’intimité forcément plus individuelle d’une jeune femme intégrée dans ce milieu. Ainsi, Pamela a beau bouder à de nombreuses reprises face aux reproches de ses parents, elle n’est pas non plus une gamine ingrate et gâtée, qui serait oublieuse des sacrifices de la génération précédente pour lui permettre d’avoir un niveau de vie confortable et un large éventail d’options d’aménagement de son avenir. Son émancipation est certes un des thèmes clefs du film, avec notamment cette petite victoire finale qui lui permet de voler presque littéralement de ses propres ailes, ne serait-ce que pendant un week-end prolongé. Le propos agréablement nuancé de la réalisatrice permet néanmoins d’entendre chaque fois la partie soi-disant adverse, personnifiée à tour de rôle et sans aucun jugement moral par ses parents, ses amis d’origines diverses, voire des personnages évoluant en périphérie de son entourage, qui peuvent la mettre de la façon la plus efficace face à ses propres contradictions. L’aspect de sa personnalité qui a trait à sa double appartenance culturelle ne résout alors pratiquement rien. Il a plutôt tendance à embrouiller encore un peu plus sa vision des choses, le sommet de ce malaise dû à l’indécision entre deux mondes étant atteint lors de l’engueulade purement provocatrice avec Jérémie, l’ami de Claudia. Sans surprise, rien de concret ne peut sortir de cette confrontation frontale, tandis que les prodigieux chemins de traverse empruntés par Laurence Ferreira Barbosa modèlent un univers, où la question des origines est à la fois la cause et la solution du problème.

Conclusion

« Nous sommes tous des enfants d’immigrés » compte parmi les cris de guerre les plus populaires lors des manifestations contre l’exclusion et le nationalisme radical. Laurence Ferreira Barbosa l’a fait sien en quelque sorte avec Tous les rêves du monde, un film au ton mesuré et au rythme ponctuellement peut-être un peu lent, mais qui dispose de l’avantage de taille d’offrir un reflet cinématographique sans préjugé, ni complaisance, à une communauté dont certains membres ne semblent pas encore être entièrement arrivés en France.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici