Test Blu-ray : Next of kin

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Next of kin

Nouvelle-Zélande, Australie : 1982
Titre original : –
Réalisation : Tony Williams
Scénario : Michael Heath, Tony Williams
Acteurs : Jacki Kerin, John Jarratt, Alex Scott
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h29
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 30 avril 1986
Date de sortie DVD/BR : 3 octobre 2019

Linda Stevens hérite du domaine de Montclare à la mort de sa mère. Ce vaste manoir aux allures gothiques, perdu dans le bush australien, fut transformé, en 1950, en maison de retraite par la mère et la tante de Linda. Une trentaine d’années plus tard, Linda prend donc les rênes de l’établissement. Peu à peu, la jeune femme est troublée par divers événements : un pensionnaire retrouvé noyé, des cauchemars liés à sa petite enfance, et la sensation oppressante qu’un intrus rôde dans les lieux. Trouvant le journal intime de sa mère, Linda découvre que celle-ci était en proie aux mêmes troubles… Montclare serait-il le théâtre de phénomènes étranges ou un tueur s’est-il invité dans la maison ?

Le film

[5/5]

Trop peu connu en France, le cinéma d’exploitation australien – ou « Ozploitation » – recèle pourtant de véritables petits trésors de tension et de créativité. Cependant, grâce aux efforts du Chat qui fume, grand défenseur du cinéma de genre venu des quatre coins du globe, le cinéphage français a ce mois-ci eu l’occasion de (re)découvrir deux pépites un peu oubliées, le décomplexé Fair game (lire notre article) et l’excellent Next of kin, réalisé par Tony Williams en 1982. Si le film a obtenu la « Licorne d’or » – la récompense suprême – au Festival international du Film fantastique et de science-fiction de Paris en 1982 (au Grand Rex), le film n’est finalement sorti sur les écrans français qu’en avril 1986. Voilà qui ne rajeunira pas les spectateurs l’ayant découvert à l’époque, qui se souviendront peut-être également que le film connut d’autres vies, sous les titres Montclare : Rendez-vous de l’horreur mais également Next of kin : Cousins de sang, qui est, vous en conviendrez, un titre complètement débile, probablement imaginé pour surfer sur le succès de Basket case – Frère de sang. Pour celles et ceux qui ont vu le film, on soulignera d’ailleurs l’exploit des créatifs français ayant pondu ce titre à l’époque, qui parvient tout à la fois à en révéler probablement un peu trop sur les tenants et les aboutissants de l’intrigue tout en étant, dans le même temps, complètement à côté de la plaque. Très fort. Chapeau les artistes.

Pour son arrivée sur support Blu-ray en France, le film de Tony Williams retrouve donc son titre original, et ce n’est pas plus mal. Bizarrerie filmique assez unique dans le maelstrom dégoulinant et créatif de l’horreur des années 80, Next of kin se démarque tout d’abord par une esthétique semblant clairement héritée du giallo italien, développant une intrigue de whodunit flirtant avec le fantastique sans jamais non plus s’y vautrer allégrement. Mystérieuse mais également étrangement délicate, la tonalité du film s’imprègne assez rapidement d’une idée de « trouble » liée à l’immense demeure – recyclée en maison de retraite – dont le personnage principal, Linda (Jacki Kerin), vient d’hériter, et qui exerce sur elle une étrange fascination liée à de traumatisants souvenirs d’enfance.

Next of kin joue donc la carte de la psychologie, qui s’enrichira presque naturellement du décor de cette vieille bâtisse de Montclare, rappelant beaucoup les grandes résidences bourgeoises peuplées de fantômes du passé dans les films de la Hammer. Comme Quentin Tarantino l’a souvent répété au sujet du film, Next of kin évoque également Shining. Il est vrai qu’il est difficile de ne pas mettre les deux films en parallèle, ne serait-ce qu’à cause de l’utilisation grandiose de la steadicam que font les deux cinéastes. Mais elle ne se limite pas à cet unique aspect purement formel. En effet, comme dans le film de Kubrick, le réalisateur Tony Williams fait en effet le choix de bien d’avantage mettre l’accent sur l’atmosphère et l’esthétique plutôt que sur son personnage principal, Linda, qui reste mystérieuse et évanescente : on ne sait pas vraiment d’où elle vient, combien de temps elle a été absente de Montclare, ni ce qu’elle compte faire par la suite. Ce côté irrésolu se retrouve d’ailleurs jusque dans ses relations avec son petit-ami Barney (John Jarratt, futur tueur sadique de la saga Wolf Creek) : on ne sait pas réellement la place réelle qu’elle occupe dans leur couple, ni s’ils sont officiellement en couple, tout indiquant en effet que Barney est lié à une autre femme. Et comme dans le film de Kubrick, le fait de se concentrer sur la maison et l’étrangeté de ce qui s’y déroule plutôt que sur ses personnages contribue à « isoler » le spectateur du monde réel, à le couper de toute espèce de repère rationnel auquel il pourra se rattacher.

Mais outre l’influence de Kubrick, on pourra également penser à Dario Argento en découvrant le film, par son côté baroque ; il y a aussi un peu dans Next of kin du Polanski des débuts, période Répulsion, et une pincée du Nicolas Roeg de Ne vous retournez pas. Tous ces éléments mélangés à la sauce australienne par Tony Williams contribuent à faire grimper tout au long du film une atmosphère bizarre, toujours aux limites du dérangeant.

Car s’il est vrai que la tension monte lentement, graduellement, elle ménera finalement à une véritable explosion durant la dernière bobine, représentée à l’écran par vingt minutes de folie furieuse. On salue d’ailleurs le choix qu’a fait Le chat qui fume d’illustrer la jaquette de son édition Blu-ray / DVD par le personnage faisant une pyramide avec des carrés de sucre : voilà un visuel parfaitement dans l’esprit du métrage, illustrant tout à fait la lente progression du film jusqu’à un final qui, on le répète, versera dans la folie pure avec une dernière bobine littéralement extraordinaire, dingue, hallucinante.

Se livrant dans son dernier acte à de stupéfiantes expérimentations techniques et visuelles, Tony Williams préfigure avec plus de vingt-cinq ans d’avance le choc représenté par Amer, le chef d’œuvre / déclaration d’amour au genre d’Hélène Cattet et Bruno Forzani, qui traumatisera en 2009 toute une génération de cinéphiles. Imposant non seulement un plan séquence tout simplement énorme semblant avoir été répété et cadré au millimètre, mélangeant les gros plans surréalistes, les ralentis et d’autres artifices outranciers ou grotesques hérités du giallo qui paraitraient sans doute ridicules sans l’heure de « préparation » qui les précédaient, les dernières minutes de Next of kin emmènent le spectateur dans un tourbillon de malaise et de férocité vraiment hors du commun. Du lourd, à (re)découvrir de toute urgence.

Le Blu-ray

[5/5]

A nouveau, Le chat qui fume fait le choix de chouchouter l’amateur français de film de genre avec la sortie événement de Next of kin, qui s’affichera comme d’habitude avec l’éditeur dans une version Combo Blu-ray + DVD au design fier et racé, dans un digipack 3 volets orné d’un fourreau cartonné du plus bel effet. Comme on l’a dit un peu plus haut, le visuel dit de la « pyramide de sucres » colle tout particulièrement à l’esprit du film et s’avère un choix vraiment judicieux : une idée qui est sans doute à mettre à l’actif du talentueux Frédéric Domont, graphiste pour Le chat depuis quelques années. En deux mots comme en cent, cette édition de Next of kin vient grossir les rangs de la très riche collection de coffrets proposés par l’éditeur, d’aspect toujours aussi luxueux et aux finitions parfaites (un peu comme dans les plus prestigieux bordels de Bangkok).

Côté Blu-ray, le film bénéficie indéniablement d’un très joli upgrade Haute-Définition. Le film a visiblement été restauré, et le Blu-ray nous propose aujourd’hui un piqué précis tout en conservant la granulation d’origine, et une stabilité exemplaire. La sublime photo de Gary Hansen s’en trouve littéralement magnifiée, la profondeur de champ est remarquable, et les contrastes ont été particulièrement soignés : les noirs sont profonds sans être bouchés, les blancs ne sont pas « cramés » ; bref, l’éditeur a fait tout son possible pour nous permettre de (re)découvrir Next of kin dans les meilleures conditions possibles. Du côté des enceintes, VF d’époque et VO anglaise nous sont proposées, en DTS-HD Master Audio 2.0, en mono d’origine évidemment. Les dialogues sont clairs, les ambiances et la musique atmosphérique de Klaus Schulze parfaitement bien préservées, et sans souffle. On notera cependant une nette domination de la version originale sur sa petite sœur française, pour de simples raisons artistiques – même si la version française nous permettra d’entendre quelques voix familières et bien connues des amateurs. On notera également la présence d’un remixage VO en DTS-HD Master Audio 5.1, qui permettra surtout à la musique de Schulze de s’épanouir en multicanal, avec d’avantage d’ampleur que dans le cadre étriqué d’un mixage 2.0. L’ensemble s’avère donc encore plus enveloppant et la répartition des sons s’avère assez naturelle, avec un bon équilibrage entre les dialogues et les effets sonores.

Mais en plus d’être un bel objet, le coffret édité par Le chat qui fume n’est pas avare en suppléments et autres contenus inédits : on commencera avec deux passionnants commentaires audio, ayant la particularité d’être proposés sans sous-titres français, mais qui raviront les anglophones. Le premier donne la parole au réalisateur Tony Williams et au producteur Tim White. Probablement peu familiers avec l’exercice, ils laissent parfois s’installer quelques moments de silence un peu frustrants, qui vont donneront éventuellement l’impression d’avoir fait une fausse manip’ et d’avoir coupé le son. Dans leurs phases de parole, ils mettront cependant en évidence les prouesses techniques réalisées sur le film, les limites techniques et budgétaires, reviendront sur certains détails intéressants et souvent peu abordés par ce genre de commentaires (notamment sur le casse-tête consistant à coupler la musique avec les effets sonores du film) et y iront également volontiers de quelques anecdotes. On comprendra de ce fait mieux certaines ellipses présentes dans le film (Tony Williams a en effet fait le choix d’arracher plusieurs pages du scénario qu’il estimait inutiles), et on apprendra entre autres que la scène de danse à la TV durant la dernière séquence est un hommage au Dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci. Le deuxième commentaire permettra aux acteurs Jacki Kerin, John Jarratt et Robert Ratti de s’exprimer sur le film. Animé par Mark Hartley, ce commentaire s’avère beaucoup plus vivant, riche en détails et en souvenirs de tournage (John Jarratt y avoue avoir tourné sa première scène en étant à moitié bourré). Les trois acteurs évoqueront également la place de la musique dans la mise en scène de Tony Williams, ou encore l’influence de son directeur photo Gary Hansen. Très intéressant, même si on pourra regretter la tendance de John Jarratt à tirer la couverture à lui, coupant régulièrement la parole à la douce Jacki Kerin.

On continuera ensuite avec une présentation du film par Eric Peretti, intitulée « Rendez-vous avec l’horreur » (19 minutes). Le programmateur du Lausanne Underground Film & Music Festival et du festival Hallucinations Collectives de Lyon reviendra sur le système de financement du cinéma australien au début des années 1980, puis évoquera plus particulièrement Next of kin en remettant en contexte la genèse de la création du film. Premières moutures du scénario, influence du cinéma européen, utilisation de la steadicam, conflits par rapport à la musique de Klaus Schulze… Tous les sujets déjà évoqués dans les deux commentaires audio sont repris par Peretti qui semble nous en livrer un parfait petit reader’s digest. Passionnant donc !

Mais ce n’est pas tout, car on continuera avec un montage photo revenant sur certaines scènes coupées au montage, ayant été perdues ou détruites (5 minutes). Pour notre plus grand malheur, elles concernent principalement la fuite de Linda de la maison, et sa bataille avec Rita, qui s’avérait beaucoup plus longue, plus complexe et plus gore que ce que l’on peut en voir dans le film. L’éditeur nous propose ensuite de retourner sur les lieux du tournage avec la featurette « Retour à Montclare » (11 minutes), qui nous propose un parallèle entre les images du film et les lieux tels qu’ils existent aujourd’hui ; on notera que la maison où se déroule l’essentiel de Next of kin n’a pas énormément changé. Détail assez incroyable : la voiture abandonnée que l’on voit au début du film dans la forêt est toujours à la même place ! Cette featurette est signée Jamie Blanks, réalisateur australien ayant eu son heure de gloire aux Etats-Unis à la fin des années 90 en signant de petits représentants pas forcément très reluisants du néo-slasher post-Scream (Urban legend, Mortelle Saint-Valentin) pour finalement retourner « au pays » quelques années plus tard, où il tournerait quelques films nettement plus convaincants, tels que Storm warning (2007) ou le remake de Long weekend (2008). Pour terminer, l’éditeur nous propose également la « version longue » de la scène de danse que l’on découvre sur un écran de télé à la fin du film, qui est, si vous avez bien suivi, un hommage à… ? Bertolucci, exact, bravo Filatier, vous passerez me voir à la fin du cours, je vous donnerai un bon point.

On terminera enfin avec une belle galerie de photos (11 minutes), réunissant des photos d’exploitation, des jaquettes de VHS, de storyboards et de photos de tournage. Le tout étant naturellement accompagné des traditionnelles bandes-annonces, de Next of kin bien sûr mais également d’autres films, déjà disponibles ou très attendus chez Le chat qui fume. Bref, une nouvelle édition très complète à mettre à l’actif de l’éditeur français. Bravo, vous passerez aussi me voir à la fin du cours…

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