Test Blu-ray : Les Sorcières d’Akelarre

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Les Sorcières d’Akelarre

France, Espagne, Argentine : 2019
Titre original : Akelarre
Réalisation : Pablo Agüero
Scénario : Pablo Agüero, Katell Guillou
Acteurs : Alex Brendemühl, Amaia Aberasturi, Daniel Fanego
Éditeur : Blaq Out
Durée : 1h32
Genre : Fantastique
Date de sortie cinéma : 25 août 2021
Date de sortie DVD/BR : 7 décembre 2021

Pays Basque, 1609. Six jeunes femmes sont arrêtées et accusées d’avoir participé à une cérémonie diabolique, le Sabbat. Quoi qu’elles disent, quoi qu’elles fassent, elles seront considérées comme des sorcières. Il ne leur reste plus qu’à le devenir…

Le film

[4/5]

Très populaire dans les années 70, le film d’inquisition et de chasse aux sorcières a par la suite décliné au fil des décennies, au profit d’autres mythes et légendes de l’imaginaire fantastique. Ainsi, et en dépit de quelques réussites récentes (Black Death en 2010, The VVitch en 2015), le genre s’était quasiment éteint. C’est le mouvement #MeToo qui permettrait finalement au genre de renaître de ses cendres : la chasse aux sorcières est en effet un des symboles les plus frappants des violences faites aux femmes depuis des centaines d’années. De ce fait, les sorcières ont recommencé depuis quelques années à envahir le cinéma fantastique, à travers des films tels que The Wretched, Sorcière, The Craft, Satanic Panic, Witch Hunt

Et Les Sorcières d’Akelarre bien sûr : même si le réalisateur Pablo Agüero s’en défend, et aura fait des pieds et des mains pour soutenir son projet pendant un peu plus de dix ans, le fait que son film ait finalement pu voir le jour en 2020 et se voir immédiatement distribué sur Netflix aux Etats-Unis est bel et bien la preuve que le sujet est dans l’air du temps, et répond à une certaine demande de la part des consommateurs. En France, Les Sorcières d’Akelarre, fraichement auréolé de ses cinq récompenses aux Goya, est sorti le 25 août dernier, dans un circuit relativement restreint de salles, et a réuni un peu moins de 50.000 curieux.

Phénomène fascinant de l’Histoire, fondé sur une espèce d’hystérie collective dont s’est sans aucun doute servi l’Eglise afin de régner d’une main de fer sur des pays entiers, la chasse aux sorcières était basée sur l’indéfectible conviction masculine selon laquelle, quoi que disent les femmes, que ce soit vrai ou faux, elles étaient coupables de toute façon. L’ambition de départ de Pablo Agüero sur Les Sorcières d’Akelarre était d’explorer ce paradoxe, afin de livrer au spectateur « un film de sorcières sans sorcières » : c’est sa prise de conscience du fait que la représentation de la sorcière dans la culture populaire était celle des inquisiteurs qui lui donnerait l’idée d’écrire et réaliser un film qui épouserait le point de vue des « victimes » – de ces femmes accusées à tort, questionnées, torturées et cherchant forcément à comprendre ce qui, dans leur comportement et leurs actions passées, a pu leur valoir d’être considérées comme des sorcières ou des filles du diable.

Les Sorcières d’Akelarre est donc une illustration assez fascinante de ce phénomène, mettant en scène un groupe de jeunes villageoises accusées de sorcellerie et alternant les séjours en cellule et les interrogatoires menés par un inquisiteur religieux (Àlex Brendemühl). Sachant que leur sort est déjà scellé et que rien de ce qu’elles pourront dire ou faire ne fera de différence, elles décident que leur meilleure chance de survie est de céder à l’inquisiteur, de le manipuler afin de lui faire croire qu’elles sont bel et bien des sorcières. Mais la manipulation orchestrée par Ana (Amaia Aberasturi) n’est-elle pas, à sa manière, une forme d’ensorcellement ? Habile, le réalisateur et scénariste Pablo Agüero changera de point de vue en fonction des séquences, alternant les séquences perçues tantôt selon la sensibilité de l’inquisiteur, tantôt selon celui des victimes. Le spectateur sera ainsi à même de ressentir la « rationalité » des deux parties, et ce même si l’endoctrinement de l’homme d’église l’incite à se laisser diriger par ses désirs les plus profondément enfouis.

Malgré la rationalité de l’ensemble, et le refus de Pablo Agüero de verser dans le fantastique pur avant son tout dernier acte, la mise en scène des Sorcières d’Akelarre est paradoxalement basée sur l’installation d’une atmosphère absolument remarquable, aussi envoûtante qu’étrange. Certaines séquences se révèlent ainsi littéralement magiques et fascinantes : on pense par exemple à la scène de l’incantation, entonnée par Ana et reprise en cœur par les filles dans leur cellule ; on pense aussi forcément au tout dernier acte du film, troublant et plein de surprises. L’utilisation des ombres et de la lumière est superbe, et les cadrages sont composés avec soin : les différentes scènes prenant place de jour et de nuit sur la falaise qui surplombe la mer, ou celles mettant en scènes les six femmes dans leur cellule de fortune contribuent à donner au film un cachet visuel assez époustouflant.

Autant dire que l’Academia de las artes y las ciencias cinematográficas de España ne s’est assurément pas fourvoyée en récompensant Les Sorcières d’Akelarre de cinq Goyas « techniques » : musique originale, direction artistique, costumes, maquillages, effets visuels – il les mérite amplement. Il est dommage cependant que la performance exceptionnelle d’Amaia Aberasturi n’ait pas été récompensée à sa juste valeur, tant la façon dont elle parvient à transformer son personnage à un moment crucial du scénario révèle une actrice de haut vol : sans sa performance convaincante, l’histoire se serait probablement effondrée comme un château de cartes dans sa deuxième partie.

Et au contraire, Les Sorcières d’Akelarre évolue crescendo, jusqu’à un climax assez sidérant, extraordinaire, mis en scène avec une énergie folle, qui vaut à lui-seul la découverte du film et s’impose comme une des clés de la compréhension du métrage. [Attention Spoilers] Si la dernière scène du film fait évidemment écho à l’histoire de Frau Troffea à Strasbourg, évoquée par l’inquisiteur lors de la scène du repas, elle démontre surtout à quel point la suggestion peut être forte lorsqu’elle est associée à la croyance aveugle. C’est ainsi parce que le personnage incarné par Àlex Brendemühl croyait de tout cœur à la sorcellerie que les jeunes filles ont fini par succomber elles aussi à cette croyance : si elles ne font que psalmodier en langue basque et ne reproduisent qu’une série de danses et chansons folkloriques, à ce moment, elles deviennent réellement des sorcières, du moins dans les yeux des autres. De son côté, l’inquisiteur, qui a ingéré un champignon – probablement hallucinogène – se retrouve tellement captivé par leurs danses et leurs chants qu’il en devient euphorique, et les rejoint dans le cercle, avant de les voir « voler » toutes ensemble, en se tenant par la main. Mais la vérité est probablement tout autre et beaucoup plus dramatique… [Fin des Spoilers]

Le Blu-ray

[4,5/5]

C’est Blaq Out qui édite aujourd’hui Les Sorcières d’Akelarre sur support Blu-ray. La définition et le piqué sont d’une précision étonnante, les couleurs sont naturelles et les contrastes ne manquent pas de mordant. Le film est proposé au format 1.66:1 respecté, en 1080p, été le niveau de détail est excellent : on est en présence d’un magnifique Blu-ray, techniquement très solide. Côté son, les deux versions (VF et VO) sont proposées en DTS-HD Master Audio 5.1, bien spatialisées, même si la VF manque un peu d’ampleur par rapport à la VO. On notera également que Blaq Out n’oublie pas les cinéphiles qui visionnent leurs films à domicile sans utiliser de Home Cinema, puisque l’éditeur nous propose également deux mixages DTS-HD Master Audio 2.0, en VF et VO, plus cohérents si vous visionnez Les Sorcières d’Akelarre sur un « simple » téléviseur et sans système de spatialisation sonore.

Rayon suppléments, on trouvera, outre la traditionnelle bande-annonce du film, un très intéressant entretien avec le réalisateur Pablo Agüero (27 minutes), qui reviendra, en français, sur la genèse du film : ses recherches sur le sujet de la sorcellerie, les thématiques, la production ou encore l’aspect formel extrêmement soigné du film y sont abordés sans langue de bois. On continuera ensuite avec une série de scènes coupées (8 minutes), qui reviennent essentiellement sur des événements n’ayant pas de rapport direct avec les jeunes femmes accusées de sorcellerie – on assiste par exemple au départ des hommes du village. Pablo Agüero s’exprime sur sa volonté de « resserrer » l’intrigue autour des filles dans l’entretien évoqué ci-dessus. Plus anecdotique, on trouvera également un court sujet tourné par Pablo Agüero lui-même, sur lequel il revient sur son attachement à filmer « à la lueur des bougies » (2 minutes). Ce document évoque la fabrication de la toute première scène des Sorcières d’Akelarre. Enfin, les cinéphiles les plus curieux pourront également retrouver en bonus le film Mère de Dieux (Madres de los dioses), un documentaire réalisé par Pablo Agüero en 2015 (1h27, HD et VOST). Il s’agit du portrait hypnotique, mystérieux et sans concession de quatre femmes en Patagonie, que la vie n’a pas épargnées et qui puisent leurs forces dans la spiritualité. Un voyage troublant sur une terre où toutes les utopies semblent possibles…

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