Critique : La beauté du monde

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La beauté du monde

France : 2021
Titre original :-
Réalisation : Cheyenne Carron
Scénario : Cheyenne Carron
Interprètes : François Pouron, Fanny Ami, Maël Castro di Gregorio
Distribution : Hésiode Productions
Durée : 1h59
Genre : Drame
Date de sortie : 8 décembre 2021

3.5/5

Même si vous êtes un cinéphile assidu passant beaucoup de temps dans les salles obscures, il est fort possible que le nom de Cheyenne Carron n’évoque rien pour vous. Il s’agit pourtant d’une des réalisatrices françaises les plus prolifiques, puisque, à 45 ans, La beauté du monde est son 13ème long métrage, le premier datant de 2005. Fille d’un couple kabyle, Cheyenne a été abandonnée à l’âge de 3 mois. La famille d’accueil chez qui elle a alors été placée l’a adoptée légalement alors qu’elle avait 20 ans. En fait, cette famille d’accueil a adopté 3 enfants qui sont venus s’ajouter à leurs 2 enfants naturels et Cheyenne a choisi son prénom en référence à un frère adoptif, un Indien du Guatemala. Baptisée à l’âge de 38 ans, Cheyenne a fait de la foi un de ses thèmes de prédilection, l’autre étant l’armée. Elle aurait d’ailleurs aimé intégrer la Légion étrangère, mais le fait d’être une femme rendait ce désir impossible à réaliser. Cheyenne Carron est une réalisatrice atypique, faisant une force de son indépendance par rapport aux structures traditionnelles d’aides à la production et de sa difficulté à réunir les fonds lui permettant de tourner les films qu’elle a en tête.

 Synopsis : Militaire souffrant de traumatismes, Roman ne parvient pas à trouver ses repères dans la société, à son retour de mission. Sa compagne Clara le quitte, et emmène avec elle, leur fils. Privé de sa famille, Roman part s’isoler à la montagne. Loin des regards, il laissera les souvenirs de la guerre l’envahir, jusqu’au jour où il croise un groupe de bucherons, touché par son état.

Un retour difficile

C’est très brutalement que Cheyenne Carron nous confronte aux effets des tourments vécus par Roman, un militaire dont le retour d’une mission à hauts risques est très récent : le rejet brutal envers Clara, son épouse venue lui porter le petit déjeuner au lit, la fête organisée pour son retour qu’il quitte sans crier gare sous prétexte qu’il veut s’isoler, qu’il n’a pas envie de parler aux invités. Lors de cette fête, un homme plus âgé avait déclaré que les rudes missions auxquelles participaient Roman et ses compagnons d’arme avaient pour but d’assurer la paix et de permettre aux populations de revenir à une vie normale. Assurer un retour à une vie normale, voilà ce que Roman, justement, n’arrive pas à faire : sujet en permanence à des maux de tête, particulièrement irritable, sans aucun désir envers Clara, paranoïaque au point de se croire en grand danger sous prétexte qu’une voiture le bloque dans un embouteillage ou parce qu’il aperçoit des sacs au bord d’une autoroute, des sacs qui, pour lui, sont peut-être des engins explosifs improvisés. Manifestement, Roman n’est plus le même. Comme dit Clara : « Il est là, mais il me manque ». Clara qui conseille à Roman de se faire aider, sans que celui ci se montre convaincu. Clara décide alors de faire une pause, de partir quelques jours avec Maël, leur fils.

SSPT

Fréquemment, la radio, ou la télévision, ou la presse écrite nous informent que des militaires français ont été tués quelque part en Asie ou au Mali, en tout cas bien loin de l’hexagone et c’est à peine si on s’autorise à avoir une pensée pour les familles de ces soldats. Quant à ceux qui reviennent vivants, rien ne nous informe quant à leur véritable état et, en tout état de cause, on ne ressent aucun désir de les plaindre, d’avoir de l’empathie pour eux. Et pourtant, ils ont peut-être vécu des moments traumatisants, certains de leurs camarades ont peut-être été tués dans des conditions atroces alors qu’ils étaient à leur côté, ils ont peut-être sentis leur propre mort se rapprocher. Physiquement, ils sont peut-être intacts, mais psychologiquement, dans quel état sont-ils ? Eh bien, nombre d’entre eux souffrent de ce qu’on appelle le SSPT, syndrome de stress post-traumatique : ce mal touche parait-il 4 % des soldats français engagés dans un conflit à l’étranger.

Considérée très longtemps comme une preuve de faiblesse, cette maladie qui existe depuis la nuit des temps a bel et bien été très longtemps occultée par les armées. D’après ce que nous dit le film, ce n’est qu’en 1992 qu’un décret a officialisé la reconnaissance du traumatisme comme blessure de guerre. Cheyenne Carron, dont Le soleil reviendra, son film précédent, s’intéressait à la vie des femmes et des fiancées de militaires envoyés en mission, a choisi, avec La beauté du monde, de suivre le retour de mission d’un légionnaire du 1er REC de Carpiagne touché par ce stress post-traumatique : ce que lui-même vit, ce que son épouse vit, ce que leur fils en bas âge vit. Par moment, le film vire au documentaire, en particulier lorsque Roman, dont la maladie a été prise en charge par l’armée, participe à un groupe de parole et que chacun des participants de ce groupe raconte son expérience.

Deux interprètes très crédibles

Depuis 2016 et La chute des hommes, François Pouron est devenu l’acteur fétiche de Cheyenne Carron La beauté du monde est en effet le 5ème film de la réalisatrice dans lequel il interprète un rôle majeur. Interprète de Roman, il se montre particulièrement crédible dans un rôle difficile d’écorché vif. A ses côtés on découvre la remarquable jeune comédienne qui joue Clara : elle s’appelle Fanny Ami et, toute en nuances, elle fait preuve d’une très grande sensibilité. Un nom à retenir ! Il en est de même pour Aurélien Dubois, le directeur de La photographie, dont on apprécie particulièrement les images prises dans un paysage de neige lorsque Roman séjourne dans le Vercors. Quant à la musique, elle n’a pas été composée spécialement pour le film : il s’agit de « Für Alina », une œuvre composée en 1976 par le compositeur estonien Arvo Pärt et qui est considérée comme l’œuvre fondatrice du style tintinnabuli, style intégré à la musique minimaliste.

Conclusion

Malgré un manque de moyens évident, Cheyenne Carron parvient à nous intéresser à un sujet grave et très peu souvent traité : le retour de mission très difficile, et pour lui, et pour sa famille, d’un militaire qui a vécu des moments particulièrement tragiques en voyant mourir à ses côtés plusieurs de ses camarades de combat. A noter que ce film, qui sort en salle le mercredi 8 décembre, est disponible en DVD dès le mardi 7 décembre, ce qui semble contraire à la règle de la chronologie des médias mais ce qui est rendu possible du fait que ce film n’a reçu aucune aide à la production et à la distribution.

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