Critique : Self made

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Self made

Israël, 2013
Titre original : Boreg
Réalisateur : Shira Geffen
Scénario : Shira Geffen
Acteurs : Sarah Adler, Samira Saray, Doraid Liddawi
Distribution : Paname Distribution
Durée : 1h29
Genre : Drame
Date de sortie : 8 juillet 2015

Note : 3/5

La situation au Moyen orient ne prête pas à rire. En même temps, le bras de fer entre les intérêts israéliens et palestiniens s’est figé depuis des années dans un tel immobilisme douloureux qu’un nouveau point de vue sur ce cercle vicieux de la violence ne peut faire que du bien. Huit ans après la sortie de son premier film Les Méduses, Caméra d’or en 2007, la réalisatrice Shira Geffen adopte une fois de plus le rôle de l’observateur au regard franchement décalé. Self made n’est ainsi pas seulement un film fait avec un esprit artisanal certain, mais une allégorie étrange et déroutante sur l’existence des deux côtés d’une séparation inhumaine entre deux peuples que tout oppose. Comme dans l’univers des contes, les deux personnages principaux y évoluent dans un état de transe, incapables de se libérer des contraintes que soit la célébrité, soit la précarité leur impose. La dernière partie du film a beau prendre des libertés considérables à l’égard des codes d’identification élémentaires, elle constitue néanmoins une conclusion tout à fait logique dans son absurdité d’un film, qui démolit gaiement les certitudes, plutôt que d’établir des repères dans une situation culturelle et sociale qui n’en a plus depuis longtemps.

Synopsis : L’artiste israélienne Michal Kayam se réveille avec fracas, lorsque son lit s’écroule. Elle ne tarde pas à en commander un nouveau, mais pendant toute la journée elle se sent comme dans un état second, amnésique des rendez-vous qui ponctuent son emploi du temps. De surcroît, il manque une vis dans le kit du nouveau lit, ce que Michal s’empresse de faire remarquer au constructeur. La Palestinienne Nadine Nasrallah est responsable de l’assemblage des sachets de vis. Elle en prend pour retrouver le chemin chez elle, auprès de sa mère et de son frère qui veulent la marier de force ou l’envoyer chez une tante cruelle au Koweït. Une fois virée pour le manque de rigueur dans son travail, elle n’a comme autre alternative que de succomber aux avances de son voisin, qui veut la recruter en tant que terroriste kamikaze.

Tout paraît si étrange aujourd’hui

Le cinéma de Shira Geffen relève définitivement plus du rêve que de la réalité. Plonger dans son univers, cela revient à la suivre dans les méandres d’une imagination subtile. Celle-ci n’est guère adepte des scénarios cauchemardesques ou des effets tonitruants. Elle affectionne au contraire une douce étrangeté omniprésente qu’elle n’éprouve à aucun moment le besoin d’expliquer. L’accident au réveil a peut-être causé un trauma crânien sévère chez Michal, à moins que son comportement déphasé ne soit le point culminant d’une névrose que son activité d’artiste extrême alimentait depuis des années. Or, la narration s’abstient de se préoccuper d’interrogations aussi triviales pour mieux explorer un espace mental en pleine perte de ses moyens. D’abord dans son foyer, sans cesse remodelé et envahi par des visiteurs hauts en couleur, puis dans l’espace public, dont sa dernière exposition qu’elle ne comprend pas davantage, ce personnage énigmatique traverse avec finesse un cheminement psychologique qui aurait aisément pu dérailler vers un nombrilisme hystérique.

Des crabes attendris par la musique classique

Son pendant palestinien paraît initialement un peu plus équilibré. Mais l’absence de problèmes de riches ne sauve pas Nadine d’être paumée à sa façon. Elle veut vivre, certes, mais sa compréhension de l’existence n’a rien en commun avec le quotidien rude et hostile de travailleurs à la merci de l’économie israélienne. Cette femme simultanément innocente et désabusée serait la proie facile d’une gente masculine de manipulateurs nés, si le scénario de ce film fascinant ne lui aurait pas aménagé une échappatoire inouïe. Le dernier revirement majeur du récit risque en effet de provoquer quelques réactions de rejet assez virulentes, basées sur la question légitime s’il fallait vraiment pousser si loin le délire sur la perte d’identité et sur celle de la maîtrise de sa vie. Aussi exigeante cette rupture narrative soit-elle, elle s’inscrit cependant dans une ambition dramatique qui est représentative de la hardiesse artistique de Shira Geffen. Car contre toute attente, ce transfert miraculeux ne se solde point par un retour à l’ordre, mais par un ton encore plus libre. Ce dernier permet à la fois au spectateur de prendre conscience de la folie ambiante dans laquelle baigne une région toute entière, et aux deux personnages principaux de persévérer dans la leur, sans désormais risquer d’être pris au piège de leurs responsabilités passées.

Conclusion

La dimension politique du conflit israélo-palestinien reste agréablement abstraite dans le deuxième film de Shira Geffen, présenté à la Semaine de la critique cannoise l’année dernière. Elle demeure toutefois partie intégrante d’un vocabulaire cinématographique, qui se voit constamment obligé de prendre position à son sujet. Espérons que d’autres approches aussi peu orthodoxes que celle-ci permettront d’ouvrir les esprits et d’oser envisager un avenir moins tragique que ne le laisse craindre l’actuel statu quo pétrifié. En tout cas, nous souhaitons à la réalisatrice qu’elle saura exercer son talent singulier dans de nombreux films à venir, de préférence plus rapidement que cette confirmation intrigante de sa promesse créative, à la phase de gestation importante.

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