Revu sur OCS : Monsieur Klein

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© 1976 Victor Rodrigue / Adel Productions / Lira Films / Mondial Televisione Films / Studiocanal / Les Acacias Tous droits réservés

Impossible de se soustraire au mystère que dégage Monsieur Klein, sans aucun doute l’un des films les plus énigmatiques et les plus magistraux tournés jusqu’à ce jour sur la déportation des juifs au temps de la Deuxième Guerre mondiale. Car ce lauréat du César du Meilleur Film en 1977, qui disparaîtra d’ici ce soir du service replay d’OCS, mais qu’on vous conseille chaudement de découvrir ou de revoir par d’autres moyens, se garde soigneusement de pratiquer le chantage sentimental sous quelque forme que ce soit, afin de produire un impact encore plus froidement viscéral. Il s’agit en quelque sorte du cousin sombre, voire nihiliste de La Mort aux trousses de Alfred Hitchcock, une chasse à l’homme par procuration dépourvue de toute frivolité ou suspense enjoués. Le réalisateur Joseph Losey s’y emploie au contraire à souligner subtilement à chaque nouvelle séquence l’impuissance du personnage principal, interprété avec un détachement impérial par Alain Delon, pris malgré lui dans un engrenage historique dont il n’est qu’une des victimes sans nom parmi les millions qui ont été broyées par lui.

Au début, Robert Klein paraît encore être le maître du jeu. Il profite sans trop de scrupules du malheur des autres, en escroquant par exemple le personnage interprété avec beaucoup de pudeur et de dignité par Jean Bouise, tout en affichant le genre d’arrogance de la bourgeoisie parisienne, qui s’est depuis toujours crue au-dessus de la mêlée des problèmes de ce bas monde. Sa respectabilité ne fait aucun doute, surtout pour lui-même. Cette façade du style impeccable, ce masque dû au contrôle du moindre aspect d’une vie largement préservée, ils ne se fissureront jamais ouvertement. Or, la tragédie du personnage réside précisément dans ce retard à l’allumage d’une prise de conscience, avant que le mécanisme de la mort ne le saisisse irrémédiablement. C’est un homme qui affiche sans gêne cette faiblesse de caractère si agaçante et pourtant si compréhensible de se croire plus malin que les autres, un homme qui est complètement désemparé par l’usurpation de son identité, mais qui ne saura jamais l’admettre. Un rôle qui nous paraît taillé sur mesure pour Delon, rarement plus percutant qu’ici – chez Jean-Pierre Melville à la limite, mais guère ailleurs – , grâce à son jeu glacial, tandis que les repères d’une vie privilégiée s’embrasent au fur et à mesure que son personnage prend des décisions néfastes en toute inconscience.

© 1976 Victor Rodrigue / Adel Productions / Lira Films / Mondial Televisione Films / Studiocanal / Les Acacias Tous droits réservés

Cette distanciation clinique si fascinante, elle est également celle de la mise en scène de Joseph Losey. Le ton calme y fait paradoxalement l’effet d’une bombe, à la fois parce que l’enquête privée de Klein s’enlise avec une cruauté indicible et que la narration ne s’en émeut nullement. Toutefois, on hésiterait à qualifier le regard du réalisateur de complaisant ou, pire encore, de sadique. Il occupe plutôt le rôle ambigu de l’observateur hébété par ce qu’il voit, mais en même temps maîtrisant parfaitement les ressorts filmiques afin de rendre l’intrigue passionnante. La figure du double n’y est point exploitée selon le cahier de charges du thriller haletant. Elle alimente davantage la confusion générale, sans que des effets voyants de mise en scène ne viennent parasiter une histoire, qui glisse petit à petit vers le cauchemar. Ce rêve sur le spectre inquiétant de l’impossible n’est hélas pas complètement dépourvu d’incongruités au cours de la dernière partie du film. Celles-ci nous font une fois de plus relativiser notre adhésion inconditionnelle à un film, qui fait preuve, jusqu’à ces hasards un peu trop tirés par les cheveux, d’une orchestration magistrale de la descente aux enfers par petites touches d’un homme malhonnête, avec lui-même et avec les autres.

Au fil de cette perte d’emprise en guise de dégringolade sociale, Robert Klein est mal entouré par des personnages secondaires guère plus altruistes que lui. C’est toute une génération de comédiens français encore aux débuts de leur carrière au milieu des années ’70 qui y passe en revue, de Michel Aumont en fonctionnaire de la préfecture suspicieux à Gérard Jugnot en photographe au tempérament à peine plus avenant, en passant par un Michael Lonsdale d’ores et déjà arrivé au sommet de la fourberie. Quant aux rôles féminins, ils dégagent un même sentiment de calcul autour de l’impuissance du protagoniste à mettre ses affaires en règle, de Jeanne Moreau en visiteuse du soir trouble à Suzanne Flon en concierge du point de chute fantomatique. Eux tous participent à rendre Monsieur Klein si sourdement intense, si froid à la surface, alors qu’une panique indicible bouillonne en dessous des apparences en temps de guerre larvée. Rien que la première séquence du film – l’examen d’une femme anonyme par rapport à son appartenance raciale supposée – en fournit un exemple profondément troublant.

© 1976 Victor Rodrigue / Adel Productions / Lira Films / Mondial Televisione Films / Studiocanal / Les Acacias Tous droits réservés

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