PIFFF 2014 : Night Call

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night call afficheNight Call

Etats-Unis, 2014
Titre original : Nightcrawler
Réalisateur : Dan Gilroy
Scénario : Dan Gilroy
Acteurs : Jake Gyllenhaal, Rene Russo, Riz Ahmed
Distribution : Paramount Pictures France
Durée : 1h57
Genre : Thriller
Date de sortie : 26 novembre 2014

Note : 4,5/5

Après son double rôle dans Enemy, Jake Gyllenhaal revient avec une nouvelle performance sidérante dans ce film noir surprenant qui mêle le portrait d’un sociopathe qui ne vous demandera jamais de faire ce qu’il ne ferait pas lui-même à une satire féroce de la société américaine.

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Synopsis : Louis Bloom vit de la revente de petits larcins jusqu’au soir où il découvre par hasard sa vocation. Lors d’une errance nocturne parmi d’autres, il assiste par hasard à un accident de la circulation mais surtout est immédiatement fasciné par l’arrivée d’une équipe de cameramen indépendants qui sillonnent la nuit en quête d’événements dramatiques (accidents de voiture, meurtres crapuleux, agressions spectaculaires, cambriolages dans villas cossues…) pour les filmer et les revendre aux chaînes locales en quête d’audience. Sa personnalité asociale va s’épanouir dans le cadre déshumanisé des émissions d’informations du matin.

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Un rôdeur en quête de reconnaissance

Dans la nuit d’un Los Angeles filmée comme un personnage à part entière, Jake Gyllenhaal incarne un monstre de cynisme, un chat sauvage sans attaches dénué d’empathie. Dès le premier gros plan sur son visage dont les traits sont comme soulignés pour le faire ressembler à un félin, l’on est déjà happé par son regard vide et son sourire trop appuyé pour être honnête. Il veut séduire mais n’a aucune empathie pour les autres.

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Même seul il est en représentation, comme un double du personnage de Travis Bickle créé par Robert De Niro dans Taxi Driver, comme en répétition du moment où il se fera, sinon des amis, au moins suscitera l’admiration de ses contemporains. Si très vite son rapport aux autres est angoissant, l’étendue de son amoralité se révèle chaque fois plus inquiétante au fil de séquences intenses. Il n’a aucun frein moral, ne cache que ce qui pourrait lui nuire, dit ce qu’il pense pouvoir dire, allant parfois tout de même un peu trop loin avec des auditeurs qu’il cerne mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes. Il répète un discours de motivation basé sur du vide, sur son sentiment de supériorité nitzschéen mais ne parvient pas à convaincre un modeste ferrailleur (Marco Rodríguez, character actor latino-américain qui tourne souvent mais dont la notoriété est hélas limitée) à qui il vient de revendre le cuivre volé sur un chemin de fer de l’engager pour un boulot stable. Il maîtrise sans peine de tels énergumènes, le méprise ouvertement en le regardant à peine alors que des interlocuteurs de Bloom plus ancrés dans la société de l’image ne seront pas aussi lucides, surtout ceux qui partagent la même folle ambition d’exister aux yeux du monde. Il partage un même rapport au monde que le journaliste interprété par Howard Duff dans le cinglant Reportage fatal (Shakedown) réalisé par Joseph Pevney en 1950 (critique) et se montre fier de sa nouvelle activité en collectionnant ses faits d’armes sur ordinateur comme un collectionneur fétichiste.

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La dérive de l’information

C’est un être asocial qui va trouver une porte d’entrée inattendue vers les autres en devenant un charognard pour le petit écran, un monde décrit comme un panier de crabes d’une inhumanité presque aussi grande que la sienne. Il apprend son métier sur le tas à côté des vrais professionnels et va saisir au vif les drames les plus sordides de la nuit pour les plateaux d’information (entre guillemets) du matin où l’éthique ne fait pas partie du vocabulaire. Les titres et le contenu sont racoleurs, la vérité est foulée aux pieds et ceux qui contestent cette approche sont rares et peu écoutés. La critique de la société médiatique en particulier mais aussi plus généralement d’une crise sociale qui déshumanise une génération privée de sécurité de l’emploi est dépeinte avec une rare violence et il n’existe aucun garde-fous pour arrêter cet être repoussant.

René Russo et Jake Gyllenhaal
René Russo et Jake Gyllenhaal

René Russo, l’épouse du réalisateur et scénariste Dan Gilroy qui signe son premier long-métrage, est la glaçante productrice complice de ses méfaits qui lui conseille de cibler des victimes des riches banlieusards blancs. Leur scène de dîner, loin d’être romantique, est un exercice impressionnant de calme perversité et de concours de cynisme avec un seul gagnant à l’arrivée. Aucune éthique, le concept est dépassé, foulé aux pieds avec titres et news racoleurs. ‘Notre JT est une femme hurlant dans la rue, la gorge tranchée‘ affirme avec aplomb Nina Romina qui symbolise une dérive de l’information et si cette critique n’est pas neuve, elle est ici exploitée de façon sidérante dans le cadre de ce film noir bien amoral. Les quelques plages d’humour mettent mal à l’aise, surtout celles qui mettent en scène son stagiaire, interprété par Riz Ahmed (We Are Four Lions) qu’il va faire travailler plus pour gagner plus. Bill Paxton est son mentor bien involontaire, un maître de sa profession dépassé très vite par son modèle sidéré de sa réflexion, ‘un ami est un cadeau que l’on se fait à soi-même’.

Riz Ahmed et Jake Gyllenhaal
Riz Ahmed et Jake Gyllenhaal
Bill Paxton et Jake Gyllenhaal
Bill Paxton et Jake Gyllenhaal

La ville filmée comme un personnage

La musique inspirée de l’inégal James Newton Howard accompagne son inhumanité dans son excitation malsaine et crée un climat hypnotique lié aux éclairages coordonnés par le directeur de la photographie Robert Elswit. Chacun de ses plans saisit la ville comme un personnage à part entière témoin et complice des agissements de Louis Bloom.

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Connu en particulier pour son travail avec Paul Thomas Anderson (Magnolia, Punch-drunk love, There Will Be Blood…), il a rencontré le scénariste et réalisateur sur le tournage du pourtant médiocre Jason Bourne: l’héritage de son frère Tony Gilroy. Rien ne prédisposait Dan Gilroy d’ailleurs à signer une œuvre d’une telle richesse formelle et thématique après son passé comme auteur : Freejack, Two for the Money ou Real Steel n’ont guère marqué les esprits. Night Call révèle un auteur et un créateur avec une vision du monde et du cinéma et non pas un faiseur qui se contenterait de singer Drive de Nicolas Winding Refn. L’affiche, la bande-annonce et le titre français (celui de la chanson de Kavinsky, voir rappel ci-dessous) accentuent sans ambage les liens avec le film qui a révélé Ryan Gosling d’autant que Night Call n’est pas avare en références mais heureusement ces deux univers ne se phagocytent pas.

Voir la galerie de photos du film en cliquant sur ce lien.

Avant-première ce mercredi 19 novembre au Gaumont Opéra dans le cadre de la 4ème édition du PIFFF.

Résumé

Plus qu’un thriller, Night Call est quasiment un film d’horreur avec cet antihéros qui évoque autant le Travis Bickle de Taxi Driver que le Jack Early de Shakedown et restera comme l’un des personnages les plus fascinants de l’année 2014. Jake Gyllenhaal trouve un nouveau grand rôle et donne vie à ses tourments psychologiques, l’interprétant sur un autre registre que l’Enemy perturbé qu’il était pour Denis Villeneuve (critique). En espérant que ce premier long-métrage ne soit pas un miracle unique dans une filmographie mais bien le premier jalon d’une grande œuvre….

http://youtu.be/P7l76OQVjRQ

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