Arras 2018 : L’Ordre des médecins

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L’Ordre des médecins

France, 2018
Titre original : –
Réalisateur : David Roux
Scénario : David Roux
Acteurs : Jérémie Renier, Marthe Keller, Zita Hanrot, Maud Wyler
Distribution : Pyramide Films
Durée : 1h33
Genre : Drame
Date de sortie : 23 janvier 2019

Note : 3,5/5

Que celui qui aime bien se rendre à l’hôpital lève la main … ! Il n’y a rien d’étonnant à ce que le commun des mortels ait horreur de ces lieux dédiés à la mauvaise santé, voire à l’agonie, où l’on rentre jamais volontairement et où même la simple présence en tant que visiteur fout le cafard. Tandis que la télévision aime s’y glisser par le biais de séries à succès, dont chaque décennie paraît avoir au moins une, le cinéma est beaucoup plus circonspect à l’idée d’imposer pendant une heure ou deux le quotidien déprimant des blouses blanches aux spectateurs. En France, le réalisateur Thomas Lilti a choisi comme sujet de prédilection le monde médical, donnant notamment dans Hippocrate un aperçu pas toujours réconfortant de la routine quotidienne dans les hôpitaux de notre pays. Il a désormais de la concurrence, plutôt sérieuse en fait, grâce au premier long-métrage de David Roux, présenté en avant-première à l’Arras Film Festival. Le réalisateur y opère un regard très sobre sur la mort en milieu hospitalier, sa double perspective depuis le point de vue professionnel et privé lui permettant d’accéder assez facilement à l’universalité, sans pour autant en faire tout un drame. Car ce qui arrive aux personnages de L’Ordre des médecins est d’une banalité confondante et justement pour cela, ainsi que pour le traitement sans fioriture que la narration lui accorde, si touchant. L’intimité familiale n’y est pas exposée de façon voyeuriste, mais avec beaucoup de tact et de retenue, à l’image de l’interprétation impressionnante de Jérémie Renier, au cœur d’une tempête personnelle dont il ne maîtrise de moins en moins l’issue.

Synopsis : Le médecin Simon est l’un des piliers du service de pneumologie dans un hôpital en région parisienne. Il ne compte pas ses heures pour venir en aide aux patients et à ses collègues, comme la jeune interne Agathe, voire aux membres de sa famille qui n’hésitent pas à le consulter pour un diagnostic rapide. Quand sa mère Mathilde fait un malaise chez elle, il insiste pour qu’elle soit admise dans son hôpital. Les nouvelles ne sont pas bonnes : la dame âgée a fait une septicémie, qui laisse craindre que le cancer qu’elle avait vaincu des années plus tôt soit de retour.

Besoin de vacances

Aussi appliqué Simon soit-il dans son travail, ce n’est, objectivement parlant, pas un personnage sympathique. Il est constamment à cran, se défoulant sur ses collègues, qui osent lui refiler en urgence des patients alors que rien ne presse, qui ne veillent pas au respect des heures de visite et qui veulent jouer aux héros dans un métier où chaque victoire est éphémère. Sa vie privée n’est guère plus harmonieuse ou plutôt inexistante, puisque elle se résume à ce que son père appelle avec une certaine gêne ses « histoires ». Sans oublier qu’il fume dès que l’occasion se présente, ce qui est quand même assez curieux de la part d’un spécialiste des poumons, qui est bien placé pour observer chaque jour les ravages du tabagisme. Non, la narration de L’Ordre des médecins ne fait aucunement preuve d’optimisme lorsqu’il s’agit de camper cet homme, dont la manie de voir le verre à moitié vide est cependant en contradiction flagrante avec l’abnégation qui anime sa conscience professionnelle. Que le mélange entre le surmenage et la préservation, quelque part tout au fond de sa personnalité revêche, d’une humanité inestimable fonctionne si bien est à mettre autant sur le compte de l’écriture précise de David Roux que sur celui du jeu de Jérémie Renier, toujours en mesure de s’approprier à bras-le-corps des personnages complexes, quand ils méritent, comme ici, son investissement à la fois intense et nuancé.

Les limites de la médecine

Le réalisme en apparence désillusionné du protagoniste est mis à rude épreuve par la maladie de sa mère. Car soigner régulièrement des patients en fin de vie et être confronté à pareille impuissance dans son cercle familial, ce n’est pas la même chose. Simon cherche d’abord à faire jouer ses relations au sein de l’hôpital pour permettre à Mathilde de réunir toutes les chances de son côté dans cette bataille finale contre le cancer. Tôt ou tard, c’est pourtant le cours naturel de la vie et de la mort qui prend le dessus, laissant le fils dans un état de désarroi accru. Comme ce fut déjà le cas lors de la description du volet professionnel, cette tragédie entièrement personnelle est traitée sur le ton de la pudeur, certes cruelle et crue, mais en même temps presque réconfortante dans sa banalité inéluctable. Ainsi, nous n’avons heureusement pas droit à une séquence larmoyante de passage de relais, mais plutôt à une série de petites touches anodines, les témoins d’un déclin physique progressif, jusqu’à ce que la mort arrive presque silencieusement, sans faire de bruit, ni même apparaître explicitement à l’image. L’apparition concise et digne de Marthe Keller dans le rôle de la mère s’inscrit alors parfaitement dans la démarche globale du récit. Cette dernière est centrée sur le maintien d’une distance respectueuse envers la famille en détresse et simultanément très lucide à l’égard de ce que cette séparation par voie de décès représente pour les proches et pour le rythme infernal qui règne pour le meilleur et pour le pire dans les services d’un hôpital ordinaire.

Conclusion

Nous tenons enfin notre premier coup de cœur parmi la sélection de l’Arras Film Festival ! L’Ordre des médecins n’est certes pas un film facile par sa thématique de la mort, qui frappe même là où tout est fait pour la retarder le plus possible. Il s’agit néanmoins d’un premier film très juste dans sa gestion des sentiments meurtris des personnages, ainsi que dans l’agencement assez délicat de l’équilibre entre cette préparation réticente au deuil et le train-train quotidien dans l’hôpital qui recommence de plus belle en parallèle. Et comment ne pas adorer un film dans lequel Jérémie Renier a l’occasion d’exceller grâce à un rôle en or, à la fois débordant de conflits intérieurs et très pragmatique quant à l’appréciation de sa propre situation ?

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