Livre : Alte Frauen in schlechten Filmen (Christoph Dompke)

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Alte Frauen in schlechten Filmen
Allemagne, 2022
Titre original : Alte Frauen in schlechten Filmen
Auteur : Christoph Dompke
Éditeurs : Männerschwarm Verlag / Salzgeber Buchverlage GmbH
260 pages + annexes
Genre : Histoire du cinéma
Date de parution : Avril 2022 (2ème édition revue et augmentée)
Format : E-Pub / 135 mm X 191 mm
Prix : 18€00

3/5

La vieillesse est l’un des derniers tabous qui restent au cinéma. Dans ce monde par essence factice, il est hors de question de montrer les signes crus et douloureux du vieillissement. Mourir tragiquement, oui. Se consumer jusqu’au délabrement physique et mental au fil du temps qui passe sans répit, non. Certes, il existe depuis quelques années un filon de films mettant en scène des actrices octogénaires ou plus âgées encore, se déplaçant en groupe et de préférence sans déambulateur.

Mais dans ces comédies menées par Jane Fonda, Lily Tomlin et consœurs, seules des comédiennes ne faisant pas leur âge, comme on dit, ont droit de cité. Leurs intrigues se résument de surcroît à des enfantillages, faisant retourner les personnages pas encore tout à fait gagas à l’époque de leurs prises de bec adolescentes. En France, le même phénomène est à noter avec des succès populaires douteux, comme les Maison de retraite de Thomas Gilou et Claude Zidi Jr et leurs batailles régressives.

Ce refus de voir la vie en face, la littérature de cinéma s’en est préoccupée à intervalles réguliers. Pas plus tard qu’à la rentrée 2022, Murielle Joudet avait dressé dans son livre remarquable « La Seconde femme » le portrait de huit actrices qui avaient su conjurer le sort du vieillissement avec plus ou moins d’élégance. La même année, chez nos voisins allemands, était ressorti un ouvrage de référence en la matière, « Alte Frauen in schlechten Filmen » de Christoph Dompke, une sorte d’inventaire des chants de cygne lamentables d’actrices de légende, cantonnées à la fin de leur vie à des rôles alimentaires dans des films qui ne sont guère passés à la postérité.

Une lecture des plus plaisantes, puisque l’auteur ne prend pas tellement son sujet au sérieux. Or, c’est justement le recul ironique avec lequel il traite ce pan de l’Histoire du cinéma laissé à juste titre dans l’obscurité, qui engendre également une certaine superficialité.

Face à un travail impressionnant de dépoussiérage de films aussi confidentiels que What’s the Matter With Helen ? de Curtis Harrington, Les Noces de cendres de Larry Peerce, La Petite sœur du diable de Giulio Berruti et Skidoo de Otto Preminger, le raisonnement et l’analyse de Dompke s’arrêtent à un cumul de titres et de destins d’actrices. Seulement lors de rares écarts vers un contexte homosexuel plus large, cette somme écrasante d’informations est mise tant soit peu en perspective.

Il n’empêche que l’approche plutôt démocratique de l’auteur, célébrant autant les gloires sur le déclin comme Mae West, Jennifer Jones, Joan Crawford et Elizabeth Taylor que des comédiennes qui auraient mérité une carrière plus substantielle, telles que Norma Varden, Tallulah Bankhead, Judith Anderson et Hildegard Knef, nous a donné irrémédiablement envie de partir à la recherche de ces trésors cinématographiques de qualité discutable.

Joan Crawford et Bette Davis dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? © 1962 The Associates and Aldrich Company /
Warner Bros. Discovery France Tous droits réservés

Synopsis : Mêmes les grandes vedettes féminines vieillissent, bien qu’elles aient parfois du mal à l’admettre. Par vanité ou parce qu’elles avaient besoin d’argent, bon nombre d’actrices d’exception ont dû accepter à la fin de leur illustre carrière des films affreux. Elles apparaissaient aussi dans ces productions bas de gamme, faute de recevoir des offres de rôles plus valorisantes. Ces ultimes spasmes de ses idoles, Christoph Dompke les approfondit à travers moult détails, couvrant un spectre qui va de Pola Negri jusqu’à Meryl Streep, en passant par Joan Crawford et Maria Schell. Près de trente ans après la première édition du livre, cette version révisée et augmentée lui permet de même de tirer un bilan, tout en incluant des exemples plus contemporains qui font mauvais usage des talents de Shelley Winters, Katharina Thalbach et Annette Bening.

Liselotte Pulver dans Das Superweib © 1996 Jürgen Olczyk / Constantin Film Tous droits réservés

C’est avec Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich que tout a commencé. Auparavant, la participation d’actrices sur le déclin à des films de prestige variable n’apportait guère de valeur ajoutée. Grâce au succès au début des années 1960 de cette farce, dans laquelle Bette Davis et Joan Crawford campent deux sœurs livrées à elles-mêmes dans une guéguerre domestique ponctuée de repas dégoûtants et de rappels grotesques des succès oubliés depuis longtemps, toute une série de productions avaient tenté de faire pareil au cours des dix, vingt ans suivants. Au détail près que, comme le note justement Christoph Dompke, ce qui pouvait encore être considéré comme du Camp de premier ordre dégringolait, film après film, jusqu’au terrain peu reluisant des films bon à jeter et à ignorer.

Cependant, toute la vocation de « Alte Frauen in schlechten Filmen » est précisément de déterrer ces œuvres jetées aux oubliettes. Une tâche immense qui a dû nécessiter des recherches abondantes, ne serait-ce que pour trouver ces navets sur des supports à peu près regardables. De même, pour la synthèse systématique des parcours jusque là glorieux des actrices gâchées sur le bûcher des séries Z, rédigée à partir de ce que l’on soupçonne être la lecture de dizaines de biographies d’actrices.

Non, en termes de recherche, il n’y a vraiment (presque) rien à reprocher à l’auteur, dont on ressent à chaque page la passion mêlée de malice qu’il éprouve pour ses près de quatre-vingts sujets traités. Une seule erreur factuelle y est à signaler, l’acteur Oscar Levant ayant bien sûr joué dans La Toile d’araignée de Vincente Minnelli, mais pas du tout dans Casablanca de Michael Curtiz. Ainsi que quelques noms écorchés, curieusement surtout autour de Black Swan dont l’auteur semble ignorer plus ou moins volontairement l’écriture correcte du nom du réalisateur Darren Aronofsky et de l’une des actrices Winona Ryder.

Lillian Gish dans La Toile d’araignée © 1955 Metro-Goldwyn-Mayer Tous droits réservés

Après, les limites d’un tel livre – à condition évidemment que vous maîtrisiez l’allemand et l’anglais – se situent à la fois du côté de sa forme et de son fond. Dans la forme, si les très nombreux chapitres sont ordonnés d’une manière raisonnable, la surabondance d’informations transmises et la proximité de certains genres maintes fois sollicités ont eu de quoi provoquer chez nous une certaine saturation. Bientôt, on ne sait plus trop dans quel film Miriam Hopkins, Merle Oberon ou encore Veronica Lake ont tiré leur révérence. Un défi de mémoire accru encore lorsqu’il s’agit de vedettes allemandes pas nécessairement connues auprès d’un public international, à l’exception toute relative de Lilli Palmer, Maria Schell et Marlene Dietrich.

Puis, le fond ne permet pas tellement d’approfondir les implications de ces dernières apparitions aux traits forcés. En guise de collection de portraits d’une ribambelle d’actrices de renom, le livre vaut certainement son pesant d’or ou bien son prix d’achat nullement excessif. Néanmoins, quand l’heure aurait dû être à un tour d’horizon plus analytique et théorique de ce fait de société aux multiples ressorts féministes et sociaux, son propos préfère rester dans le domaine peu engageant de l’énumération.

Sauf quand, au bout de presque deux-cents cinquante pages globalement plaisantes à lire, Christoph Dompke se permet une parenthèse en quatre films qui dressent, eux, une image plus nuancée de ces vieilles femmes, devenues pour l’occasion de vieux hommes. Les œuvres traitées n’y sont toujours pas d’une qualité irréprochable, puisqu’on y croise Boom ! de Joseph Losey, Albert Nobbs de Rodrigo Garcia et Personne n’est parfaite de Joel Schumacher.

Seul Faut-il tuer Sister George ? de Robert Aldrich – encore lui – sort du lot en tant que description pour une fois à peine dégradante d’un personnage qui goûte encore pleinement la vie sur ses vieux jours, en l’occurrence Beryl Reid en actrice lesbienne nullement complexée. C’est au plus tard à ce moment-là que le lecteur se rend compte de la raison principale pour laquelle « Alte Frauen in schlechten Filmen » n’a pas osé plus tôt entreprendre une analyse en règle des dizaines de films traités : parce que leur niveau de qualité peu recommandable, au choix ennuyeux à en mourir ou entièrement mal ficelé, ne fournissait point la matière nécessaire pour une telle entreprise intellectuelle.

Ce qui nous ramène au défaut cardinal de tous ces ouvrages qui s’intéressent d’un peu trop près au pire de l’Histoire du cinéma. À savoir que l’absence de qualité de ces œuvres cinématographiques les prédestine au mieux à une descente en règle, à la longue aussi stérile et peu valorisante que le visionnage de ces navets certifiés.

Lana Turner dans The Big Cube © 1968 Producciones Anco / Warner Bros. Discovery France Tous droits réservés

Conclusion

Après la lecture de « Alte Frauen in schlechten Filmen », on en sait considérablement plus sur ces pauvres actrices dont on se souvient peut-être encore aujourd’hui pour tout, sauf pour les films cités ici. Ainsi, la valeur du livre de Christoph Dompke en tant que source d’informations et somme de films à éviter n’est pas à sous-estimer. Toutefois, dans toute son exhaustivité, enrichie davantage par dix films supplémentaires mentionnés à la fin de l’annexe, il est difficile d’en tirer un véritable bilan instructif. Ces pauvres actrices ou au moins leur ego ont dû bien souffrir en tournant dans ces films de genre avares en qualité, soit. En quoi, cela reflète-t-il des tendances plus vastes, foncièrement sexistes, dans l’industrie du cinéma, hier et aujourd’hui ? A cette question qui nous paraît essentielle, ce livre ne fournit hélas que des réponses assez partielles.

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