Critique : Le Pigeon

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Le Pigeon

Italie, 1958
Titre original : I soliti ignoti
Réalisateur : Mario Monicelli
Scénario : Agenore Incrocci, Furio Scarpelli…
Acteurs : Vittorio Gassman, Renato Salvatori, Marcello Mastroianni, Toto
Distribution : Lux
Durée : 1h46
Genre : Comédie
Date de sortie : 9 septembre 1959

Note : 3,5/5

Les films qui trônent au sommet du sous-genre de la comédie à l’italienne sont si irrésistibles – au point d’être indémodables –, parce qu’ils savent jouer en toute allégresse avec la faillibilité de la nature humaine. Pour faire simple, les enjeux purement dramatiques y servent de façade à un feu d’artifice de gags et autres frivolités linguistiques, dont la vocation principale est de se moquer avec autant d’intelligence que de sympathie de l’état d’esprit propre à nos voisins transalpins. Les personnages dans ces comédies hilarantes au possible, telles que Le Pigeon, ne sont pas en premier lieu le dindon de la farce, mais plutôt les vecteurs consentants de la tragédie d’un peuple, au ton acerbe et par conséquent jubilatoire. Le casse vers lequel tend en apparence ici le récit tout entier n’est alors qu’un formidable prétexte, au demeurant expédié avec une économie des moyens narratifs et une inventivité tout à fait bluffantes. Car ce qui rend avant tout ce petit chef-d’œuvre de Mario Monicelli si divertissant et passionnant, même près de soixante ans après sa sortie, c’est la capacité de la bande de bras cassés, au propre comme au figuré, de se débattre vaillamment contre leur condition sociale et intellectuelle. Ils ont beau ne pas réellement comprendre qu’ils courent en vain après la chimère de l’argent facile, réservée aux esprits plus malicieux que les leurs, le jeu plein de finesse d’un ensemble d’acteurs de légende, de Vittorio Gassman à Marcello Mastroianni, en passant par Renato Salvatori, Toto et une toute jeune Claudia Cardinale, y apporte une touche discrète de lucidité, en mesure de parfaire ce grand spectacle du rire mesquin.

Synopsis : Le gangster Cosimo est pris en flagrant délit de vol de voiture. Alors qu’il clame haut et fort son innocence, il est condamné à une lourde peine de prison. Puisque un nouveau plan juteux l’attend à l’extérieur, il demande à sa copine de lui trouver un pigeon, c’est-à-dire un homme qui s’accusera de son crime afin de prendre sa place, en échange de cent mille lires. La recherche de cet imposteur rémunéré s’avère plus compliquée que prévue, puisque les suspects habituels, son complice Capannelle, l’orphelin Mario, le photographe Tiberio et le Sicilien Ferribotte craignent que leur casier judiciaire déjà bien rempli leur fasse préjudice. Il faudra donc un homme au casier vierge pour plonger à la place de Cosimo : le boxeur guère talentueux Peppe. Celui-ci n’a pas non plus le don de jouer la comédie, puisque le procureur ne croit aucunement en sa supercherie. Quand il se trouve temporairement aux côtés de son commanditaire derrière les barreaux, il lui subtilise le nouveau plan en or et tente de le mettre en pratique avec les autres membres de la bande.

L’union fait la force du désespoir

Ce n’est pas la destination qui importe dans Le Pigeon, mais le chemin semé d’embûches qui est censé y mener. Le cambriolage en lui-même dure à peine plus qu’un quart d’heure vers la fin du film, alors que sa préparation, plus chaotique que minutieuse, a pris déjà l’essentiel de la durée du récit. Son échec pitoyable est alors à l’image des agitations en guise de préparatifs mal exécutés : un testament doux-amer, quoique indiscutablement amusant, à l’esprit d’improvisation à l’italienne, qui a dangereusement tendance à tomber à plat. Rien, ni personne ne pourra en effet sauver Peppe et ses compères du naufrage, surtout parce qu’ils excellent dans l’activité masochiste de se mettre eux-mêmes des bâtons dans les roues. La sagesse suprême du propos résulte cependant de la résignation quasiment innée avec laquelle les bandits de pacotille abordent le défi de monter en grade dans l’univers du crime. Longtemps avant la nuit fatidique, qui survient bien sûr plus tôt qu’anticipé, tout un chacun prend ses prédisposition, digressant selon le rythme trompeur de la vie, au lieu d’étudier consciencieusement les nombreux imprévus d’un plan aux pieds d’argile. L’art de Mario Monicelli, à la fois réalisateur et co-scénariste, consiste dans ce contexte à accorder au moins autant d’importance à la lente progression du plan faussement machiavélique qu’à ces signes indubitables de l’impossibilité à le mener à bien.

Suspicion de fainéantise

Les héros ridicules de l’intrigue séduisent par le lien étroit qu’ils entretiennent avec les clichés indécrottables de la société italienne de l’époque, qui sont sans doute toujours un peu en vigueur maintenant, plus d’un demi-siècle plus tard. Tous des machos incorrigibles, les personnages masculins se différencient toutefois dans les manifestations de leurs ambitions respectives, aussi médiocres soient-elles. En fait, ce n’est pas tant le butin estimé qui les fédère que la possibilité abstraite d’échapper à une condition globalement dégradante. L’humiliation au quotidien est ainsi fermement inscrite dans chaque séquence de présentation des futurs cambrioleurs malchanceux, démarchés au début pour voir jusqu’où ils seraient prêts à aller pour quelques milliers de lires. Sauf que ce formatage social, fait de bébés à calmer, de sœurs à surveiller ou de carrières sportives à entamer, se retrouve par la suite dans un éternel cercle vicieux de la raillerie magistrale. La ligne ténue entre l’humour acerbe et la surchauffe caricaturale, constatée davantage du côté du remake américain peu inspiré Bienvenue à Collinwood des frères Russo en 2002, n’est jamais franchie, aussi grâce au respect profond que la narration laisse transparaître malgré tout à l’égard de ses personnages très humains. Ces saltimbanques, voire ces cancres attardés y tentent un dernier coup désespéré de prospérer grâce au crime, avant de se résigner à la grisaille insoutenable d’une existence honnête de travailleur.

Conclusion

Quel immense plaisir de revoir cette comédie au rythme mesuré, mais redoutable, qui sait toujours autant saupoudrer son apologie ambiguë du crime de quelques piques ingénieuses ! En plus de toutes ses qualités, notamment du côté de l’écriture vigoureusement critique de la complaisance à l’italienne et simultanément capable de faire preuve d’une empathie jamais prise en défaut envers ces perdants fanfarons, c’est surtout sa structure chorale qui nous a une fois de plus subjugués. Chaque personnage, aussi crétin soit-il, y a en effet l’occasion de briller, au profit d’une histoire peut-être légèrement moins haute en couleur que les hommes paumés qui la peuplent.

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