Critique : Johnny s’en va-t-en guerre

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Johnny s’en va-t-en guerre

États-Unis, 1971

Titre original : Johnny got his gun

Réalisateur : Dalton Trumbo

Scénario : Dalton Trumbo, d’après son roman

Acteurs : Timothy Bottoms, Kathy Fields, Marsha Hunt, Jason Robards Jr.

Distributeur : Tamasa Distribution

Genre : Guerre

Durée : 1h51

Date de sortie : 28 mai 2014 (Reprise)

3,5/5

Même une fois que la dernière bataille aura été livrée et que la question des intérêts géopolitiques, à l’origine de la plupart des conflits armés, aura été tranchée, les guerres continuent à faire des victimes. Ainsi, dans Johnny s’en va-t-en guerre, l’un des pamphlets anti-guerre les plus singuliers de l’Histoire du cinéma, après les images d’archives qui montrent au fil du générique des troupes partant presque joyeusement au front avec les félicitations du roi et de l’état-major, une place considérable est attribuée à la souffrance littéralement sourde d’un soldat américain, amplement défiguré par un éclat d’obus. Ce monologue intérieur d’un homme privé de la plupart de ses sens et de son intégrité physique, condamné à « vivre » parce que le corps médical de l’armée espère tester différents traitements sur lui, retrace un parcours du combattant moins onirique qu’ouvertement cauchemardesque. L’incroyable tendresse des souvenirs du protagoniste crée alors un contraste poignant avec la situation morbide dans laquelle il se trouve, ces refuges mentaux devenant de plus en plus grotesques, au fur et à mesure que l’imagination se mêle à la réalité, que le destin inextricable du vétéran l’enferme dans une forme horrible de solitude. En pleine guerre du Vietnam, Dalton Trumbo, scénariste légendaire qui avait failli voir sa carrière anéantie vingt ans plus tôt par la chasse aux communistes, tend la glace de la vérité historique à son pays, voire à l’humanité toute entière. Il en tire une prodigieuse perte des repères, en termes de temps, de certitudes morales et éthiques, de schémas de narration conventionnels. Bref, bien que son activité en tant que réalisateur n’ait finalement été que de courte durée, il a su enrichir le genre du film de guerre de l’un de ses films les plus marquants !

© Tamasa Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Pendant la Première Guerre mondiale, le jeune soldat volontaire Joe Bonham est grièvement blessé dans les tranchées françaises. Les médecins de l’hôpital militaire considèrent qu’il ne dispose plus d’aucune conscience cérébrale notable. Puisque ce qui reste de son corps, dépourvu de membres et de visage, peut cependant encore survivre, ils continuent de le soigner afin d’améliorer le traitement des autres blessés, grâce à l’expérience recueillie sur ce cas d’école. Or, Joe est loin de la mort cérébrale, attentif à tout ce qui se passe autour de lui, même s’il lui est désormais impossible d’interagir avec le monde extérieur.

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Dieu et le soleil du matin

Aussi ingénieuse la mise en scène de Dalton Trumbo soit elle, il aurait été compliqué de baser le récit de Johnny s’en va-t-en guerre exclusivement sur la routine des soins qui sont administrés pendant des années à un blessé de guerre au delà de tout espoir de guérison. A l’austérité du noir et blanc des séquences du présent répondent par conséquent les couleurs plus chaleureuses dans lesquelles baignent les souvenirs apparents de l’homme-tronc, réduit à cette seule et unique acrobatie mentale. Sauf qu’il devient progressivement clair que ces échappatoires d’un esprit torturé sont plus proches du délire fiévreux que d’une reconstruction de faits qui ont réellement eu lieu. Tandis que la première séquence dans cette longue série de parenthèses – suscitées peut-être autant par les drogues administrées sommairement par un personnel soignant plus ou moins touché par ce patient hors normes que par le besoin vital de préserver quelques images positives de la vie – peut encore créer l’illusion d’une relation sexuelle empreinte d’amour et de tendresse, celles qui suivent prennent un aspect de plus en plus déroutant. A moins que ce moment câlin sous la couette soit d’ores et déjà tributaire d’une déformation par voie de volonté, afin de rendre le passé plus idyllique qu’il ne l’a été réellement. Le fait que le père de sa copine Kareen incite les jeunes amoureux à coucher librement sous son toit pourrait indiquer une telle prise de liberté. En tout cas, le ton de ces retours en arrière trompeurs devient de plus en plus étrange, depuis l’apparition aussi furtive que marquante de Donald Sutherland en figure messianique, jusqu’à la relecture idéalisée de la relation avec le père, auquel Jason Robards Jr. confère une sévérité chaleureuse tout à fait fascinante.

© Tamasa Distribution Tous droits réservés

Joyeux Noël !

Pendant que ces réflexions intérieures deviennent donc de plus en plus bizarres, à tel point de ressembler parfois aux délires d’un magicien du cinéma comme Federico Fellini, l’étau de la dure réalité médicale se resserre autour de Joe. Il y a quelque chose de profondément cynique dans la volonté scientifique de maintenir ces restes humains en vie. En même temps, si le protagoniste ne s’abandonne pas complètement à son état végétatif, c’est aussi grâce aux petites attentions de la part des personnes qui le soignent, capables d’empathie plus que de pitié à l’égard de cet homme qui n’en est plus vraiment un. La narration ne manque pourtant pas une occasion pour nous rappeler que le sort et le bien-être du patient maudit ne comptent guère parmi les priorités de l’état-major. Ce dernier le met en quelque sorte à l’écart, ne sachant plus très bien quoi en faire, alors que la guerre pourrait a priori être terminée depuis longtemps. Un dilemme exposé avec une cruauté insoutenable à la fin du film, particulièrement pessimiste. Auparavant, c’est la voix de Timothy Bottoms, bien plus que ses traits juvéniles, typiques du bon gars américain moyen, qui se heurte contre l’inertie institutionnelle. Car pour une fois, l’emploi de la voix off est crucial pour la construction d’un récit opérant sur deux voies parallèles. Dalton Trumbo l’applique très judicieusement, à la fois en tant que porte d’accès de notre identification, rendue à la limite plus facile par le fait que le spectateur de cinéma est par définition réduit à une impuissance passive encore plus grande que celle de Joe, et comme contre-point redoutable de la névrose intérieure face à l’indifférence du monde extérieur.

Conclusion

Johnny s’en va-t-en guerre a beau être un film formellement chargé, il réussit haut la main à transmettre son message sur les horreurs interminables de la guerre ! Dommage que Dalton Trumbo n’ait pas eu par la suite d’autres occasions pour affiner son talent de metteur en scène, surtout parce qu’il a su faire preuve d’une pertinence exceptionnelle par rapport au climat politique au début des années 1970, tout en façonnant un film aux qualités intemporelles. Ce qui ne veut aucunement dire qu’il s’agit d’un film plaisant à regarder. Bien au contraire, l’épreuve y est de nature multiple, quoique toujours aussi passionnante !

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