Critique : Hold you tight

0
1554

Hold you tight

Hong Kong, 1998
Titre original : Yue kuai le yue duo luo
Réalisateur : Stanley Kwan
Scénario : Jimmy Ngai , d’après une histoire de Elmond Yeung
Acteurs : Chingmy Yau, Kam Hung-Chan, Eric Tsang, Yu-Luen Ko
Distribution : –
Durée : 1h33
Genre : Drame
Date de sortie : –

Note : 3/5

Le motif du pare-brise d’un métro, rendu flou par des gouttes de pluie, alors que la rame avance imperturbablement à travers le réseau aérien et souterrain de la métropole, n’apparaît probablement pas par hasard de manière récurrente dans Hold you tight. C’est que la vocation principale de ce film – et plus généralement du monde cinématographique imaginé par le réalisateur Stanley Kwan – n’est point de renforcer nos certitudes, mais au contraire de nous plonger dans un état de flottement à la sensualité poisseuse. Le contrat est a priori rempli avec ce film étrange, que de mauvaises langues pourraient facilement discréditer comme décousu et opaque, sans aucune satisfaction concrète à la fin de son récit alambiqué. Il s’agit en effet d’un film débordant de sensations diffuses, qui n’a strictement rien à faire du raisonnement adepte d’une logique dramatique irréfutable. Le choc des attirances, des frustrations et avant tout, aussi bizarre que cela puisse paraître, d’un engourdissement inextricable y suscite une sorte de transe, à prendre ou à laisser pour les spectateurs les plus dubitatifs envers ce chant funèbre, parfois perdu dans ses propres délires formels.

Synopsis : La femme d’affaires Moon doit se rendre à Taiwan pour son travail, mais meurt dans un accident d’avion. Son mari, l’informaticien Ah Wai, est inconsolable. Il envisage de vendre leur appartement commun et fait alors appel à l’agent immobilier gay Tong. Ce dernier n’est pas le seul à tourner autour du veuf obnubilé par le chagrin, puisque le maître-nageur Dou Jie entretient lui aussi un lien trouble avec le couple brisé à jamais par la catastrophe.

Un orgasme pour la fin du monde

Stanley Kwan doit sa place en marge du cinéma chinois à son intérêt nullement honteux pour le monde gay. Son dernier film à avoir eu l’honneur d’une sortie en France, il y a plus de quinze ans déjà, Lan Yu Histoires d’hommes à Pékin, reflétait ainsi magistralement les difficultés qu’ont les homosexuels à vivre librement en accord avec leur orientation sexuelle en Chine. Hold you tight est même de quelques années antérieur à ce film-là, ce qui ne l’empêche pas de démarrer comme un fantasme érotique gay guère réservé aux initiés. Entre la sodomie de Tong dans un sauna, l’insistance avec laquelle le corps de Ah Wai est montré, de préférence dénudé, et la masturbation de Jie sous la douche, à première vue en réaction à l’indifférence décrite comme robotique de la part du futur veuf, il y a entièrement de quoi faire dans le rayon de la pornographie artistique. Et puis, cette sensualité peut-être même un peu trop ostentatoire passe progressivement à l’arrière-plan, au profit du trouble plus profond des sentiments. Car notre impression première, d’assister à une sorte d’orgie de libidos tortueux, languissants de conquérir le bellâtre inatteignable, s’avère fausse. Les rapports entre les personnages sont en effet plus complexes que les conventions narratives veulent initialement le faire croire, quitte à ce que la trame dramatique ait tendance à s’égarer, au fil d’une superposition de niveaux dans le temps et l’espace qui brouillent dangereusement les pistes.

Sans arrière-pensées ?

Pas évident en fait de ne pas complètement perdre de vue qui est amoureux de qui à un moment donné, ni d’en déduire un épaississement de l’étoffe romantique, qui ne lorgne dès lors qu’occasionnellement du côté d’un érotisme pour le moins équivoque. Tandis que Tong reste, sous les traits de l’imperturbable Eric Tsang, le seul repère véritablement fiable au sein d’un récit, qui risque plusieurs fois de s’emballer dans un morcellement en mosaïque peu clair, son drôle d’adversaire indirect, l’énigmatique Jie, interprété avec une dose considérable de désinvolture par Yu-Luen Ko, enchaîne à un rythme imprévisible les déclarations d’amour contradictoires. Ce va-et-vient entre le passé et le présent, le deuil et la passion, semble néanmoins correspondre à un projet d’abstraction assez ambitieux, pour lequel Stanley Kwan ne dispose pas nécessairement des moyens adéquats. Il réussit cependant à relier pratiquement tous les éléments disparates de l’intrigue dans un tourbillon convenablement enivrant, à l’exception plutôt déconcertante du personnage secondaire de la vendeuse du vidéo-club, la seule à pâtir d’un contexte anémique, peu importe qu’il soit d’ordre social ou sexuel, rendant sa présence quelque peu superflue pour agencer son réseau particulier de jouissances maintes fois déçues.

Conclusion

Que penser de Hold you tight, sinon que son réalisateur y exprime tout ce qui a dû lui tenir à cœur à la fin des année 1990, avec d’un côté une liberté de mœurs appréciable, et de l’autre une forme esthétique chargée d’écarts qui l’est beaucoup moins ? C’est un film qui installe le trouble, avec une adresse et une hardiesse, qui le laissent prendre des risques parfois démesurés, mais qui montre simultanément un aspect de la vie à Hong Kong – un froid glacial en termes affectifs peut-être encore plus insoutenable qu’ailleurs dans cette cité à cheval entre les cultures – que peu de cinéastes ont osé aborder de front.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici