Critique : Fou d’amour

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Fou d’amour

France, 2015
Titre original : –
Réalisateur : Philippe Ramos
Scénario : Philippe Ramos
Acteurs : Melvil Poupaud, Dominique Blanc, Diane Rouxel
Distribution : Alfama Films
Durée : 1h45
Genre : Drame
Date de sortie : 16 septembre 2015

Note : 3/5

Ce serait mal connaître l’œuvre de Philippe Ramos de s’attendre avec ce film sur un prêtre porté sur les plaisirs charnels à une version française de la série à succès des années 1980 « Les Oiseaux se cachent pour mourir ». Le fait d’avoir vu l’un ou l’autre des films du réalisateur, comme l’austère Capitaine Achab, ne nous a pourtant pas préparés à la nature étrangement viscérale de Fou d’amour, ou des mémoires d’outre-tombe passablement licencieux. Le parti pris narratif d’orchestrer le récit sous forme d’un long retour en arrière, raconté par la tête coupée du curé fautif, y apporte une touche délicieusement décadente. Car ce film méchamment jouissif est tout sauf un traité à connotations religieuses sur la tentation de la chair au sein du clergé. La faute et le péché n’y jouent qu’un rôle secondaire, alors que la quête des plaisirs sexuels gouverne l’emploi du temps de ce prêtre peu orthodoxe, qui a fait de l’hypocrisie un art. Il n’y a donc pas de quoi crier au scandale face à l’appétit gargantuesque en termes érotiques de l’homme en soutane. Mieux vaut en effet s’abandonner corps et âme aux égarements plaisants, dont le protagoniste a d’ores et déjà payé le prix très élevé dès le début du film.

Synopsis : En décembre 1959, un prêtre est guillotiné. Quelques mois auparavant, il a été affecté à la paroisse de Albon, un petit village reculé dans les montagnes. Le prêtre s’y est intégré rapidement, grâce à ses rapports privilégiés avec la châtelaine Armance, comme lui une personne intéressée par la littérature. Il a fondé un club de foot pour les garçons du village, ainsi qu’une troupe de théâtre pour les adultes. Or, son centre d’intérêt principal sont les femmes, qu’il sait séduire en nombre avec sa voix soyeuse et son visage angélique. Tout irait pour le mieux dans ce microcosme de la débauche discrète, si le curé n’était pas tombé sous l’emprise de Rose, une adolescente non-voyante qui se joint à la troupe de théâtre.

Une fragilité détestable

Melvil Poupaud joue avec finesse sur son côté diabolique dans ce film, qui ne fait point la distinction entre anges et démons. Son curé n’affiche aucun remords. De toute façon, comment le pourrait-il puisque la justice des hommes a tranché en sa défaveur ? Il n’empêche que ce personnage atypique court sans relâche après l’assouvissement de ses désirs, tout en sachant que cette ruse le mènera à sa perte. Ce satyre a beau multiplier les subterfuges pour jongler avec ses nombreuses maîtresses, son état de béatitude charnelle déclinera dès qu’il ne se soucie plus d’être le maître du jeu. Sa rencontre avec Rose, à première vue l’innocence même, le confronte à une forme de réalité affective et sociale sans commune mesure avec ses galipettes sexuelles auprès des ménagères frustrées du village. La passion de la chair tourne alors à l’obsession. L’encadrement mûrement étudié des écarts du code ecclésiastique se transforme en une frénésie dépourvue d’un cran d’arrêt. Ce n’est pas tant l’amour qui a frappé le personnage principal, privé de nom puisqu’il ne se définit que par son style de vie lubrique, mais une folie insidieuse, qui le détruit intérieurement avant même qu’il ne passe à l’acte meurtrier.

Vous m’avez fait peur, mon père

La mise en scène déroule ce psychodrame savoureux au rythme de dispositifs formels variés. A commencer par la voix off, d’habitude vraiment pas notre support d’explication préféré, qui revêt pourtant ici une importance cruciale pour la réussite du projet filmique. Elle participe à une mise en abîme prodigieuse des sentiments et du raisonnement moral, tout en nous poussant presque malgré nous à nous identifier avec cet individu a priori abject. Ce qui est, soyons réalistes, une tâche facile, parce que les fantasmes du curé sont ceux, inavoués, de l’humanité tout entière ou presque. Le fait de les vivre – peut-être pas au grand jour, mais néanmoins d’une manière assez décomplexée pour ne pas se poser des questions gênantes de conscience – en fait un héros bizarre du règne de la libido. Un plan révélateur du film, celui que nous avons choisi comme image d’appel de notre texte, le montre comme le saint patron de ces pauvres femmes. Or, aussi rassurante cette iconographie paraisse-t-elle dans un contexte religieux, elle prend une tournure dangereusement machiavélique dans le cadre d’une manipulation par l’orgasme. Ce qui nous amène à la représentation de la sexualité, étonnamment pudique et idéalisée, qui remplit toutefois amplement son rôle de facteur d’épanouissement exclusif, dans un univers rural sinon marqué par la pauvreté et l’ennui causé par la bienséance provinciale.

Conclusion

Nous serions tentés de surnommer Fou d’amour le monologue du pénis. Car la moindre action du prêtre, à l’exception de la parenthèse dans le désert nullement concluante, y est dictée par son goût immodéré pour la chair féminine. Qu’un film aussi peu vulgaire puisse naître d’une telle prémisse, pervertie davantage par le sort macabre de l’étalon impénitent, nous conforte dans notre opinion que Philippe Ramos est l’un des réalisateurs français les plus injustement méconnus de sa génération. Ignoré par le grand public, il a su créer une filmographie aussi belle que singulière. Au fil de cette dernière, il ne cherche jamais la facilité, mais il a au contraire le courage d’assumer pleinement ses choix artistiques, quitte à inviter le spectateur à une ouverture d’esprit plus large et en fin de compte bénéfique.

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