Critique : Fitzcarraldo

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1946

Fitzcarraldo

Allemagne, Pérou, 1982
Titre original : –
Réalisateur : Werner Herzog
Scénario : Werner Herzog
Acteurs : Klaus Kinski, Claudia Cardinale
Distribution : Potemkine Films
Durée : 2h37
Genre : Aventure
Date de sortie : 2 juin 1982

Note : 3,5/5

On peut voir la folie à l’œuvre dans cette épopée démesurée, qui ne conte pas seulement l’odyssée d’un homme obsédé par une idée fixe, mais qui est également elle-même la source de légendes abracadabrantes sur l’un des derniers chapitres de la collaboration diabolique entre un acteur et un réalisateur. Prix de la mise en scène au festival de Cannes, Fitzcarraldo mène brillamment au paroxysme cet amour-haine entre Kinski et Herzog, sur fond d’une histoire bien de son temps – les années 1980 – et pourtant animée d’une majesté universelle.

Vivalopera

Synopsis : L’entrepreneur mégalomane Fitzcarraldo ne vit que pour l’opéra. Il est descendu des milliers de kilomètres sur l’Amazone, rien que pour entendre Caruso chanter à Manaus, la nouvelle métropole péruvienne du caoutchouc. Le rêve insensé de Fitzcarraldo consiste à construire lui-même un Opéra dans la petite ville d’Iquitos, qui serait inauguré par le célèbre chanteur en personne. Malgré le soutien infaillible de son amie Molly, patronne d’un bordel, Fitzcarraldo ne réussit pas à convaincre les riches propriétaires de la région d’investir dans son projet. Afin de réunir les fonds nécessaires, il se lance alors dans un autre projet, pas plus abordable : l’exploitation d’une terre a priori inaccessible par bateau.

Caruso

Viva l’opéra

L’obsession pour un art peut être une chose très belle, tant qu’elle ne prend pas des dimensions trop fanatiques. Alors qu’il arrive parfois que notre amour pour le cinéma exerce une emprise exagérée sur notre vie, il est encore à des années-lumière de celui que le personnage principal de ce film voue à l’opéra. C’est une soumission aveugle, qui prend une allure de profession de foi, par le biais des nombreuses occasions où Fitzcarraldo cherche à convertir, en vain, les autres à l’admiration de Caruso. Or, le spectacle est d’ores et déjà truqué, même doublement à travers Sarah Bernhardt interprétée par Jean-Claude Dreyfus et dont la voix émane de surcroît d’une chanteuse en dehors de la scène. De tout cela, le forcené ne voit strictement rien. Au contraire, il se sent investi d’une mission quasiment divine, simplement parce qu’un geste anodin de son idole l’aurait désigné pendant la représentation. A l’autre extrémité du récit, cette même connivence avec le caractère artificiel de l’opéra réapparaît, cette fois-ci sous forme d’un son parfaitement pur, alors que la musique aurait dû être parasitée par le bruit du bateau.

Amazonie

Apocalypse amazonienne

Entre-temps, le fou furieux, littéralement prêt à déplacer des montagnes, a gagné en sagesse et en recul. La première étape de son périple est un voyage épique en bateau, le long d’un fleuve sauvage, ce qui rime forcément avec de nombreuses aventures. La proximité temporelle avec Apocalypse now de Francis Ford Coppola, sorti trois ans plus tôt, n’est sans doute pas fortuite. Les deux films se plongent en effet corps et âme dans un univers inconnu, au fond duquel ils espèrent au mieux trouver une forme pure et vierge de folie. Que ce soit la lente perte de repères ou les différentes escales sur le chemin, il émane une sensation très semblable des deux films à ce moment-là, bien que la séquence de la plantation française ait été incluse plus tard dans la version Redux du Coppola. Toujours est-il que ces deux missions sont à première vue vouées à l’échec, si ce n’était pour la capacité remarquable de leurs commandants respectifs de s’adapter à la spirale infernale d’un changement de donne incessant.

Alaune

Hannibal Kinski

Car contre toute attente, Fitzcarraldo fait preuve de la même énergie créative pour des travaux de génie civil que dans l’imagination illusoire de son palais consacré à l’opéra. Tandis que la folie effrénée ne quitte jamais les traits de Klaus Kinski, d’ailleurs très en forme sur le tournage pour engueuler violemment ses collaborateurs pour des broutilles, son personnage emprunte la voie d’un subtil décalage de préoccupations. Il n’y a rien de prémédité à son attitude plus ou moins conciliante, qui s’adapte plutôt à des changements de donne pas toujours en sa faveur, mais dont il finira par tirer profit. En dépit des apparences, il s’agit d’un profiteur du système colonial, peut-être animé par des idéaux plus éthérés que les hommes d’affaires sans scrupules qui l’observent d’un œil méprisant, mais en fin de compte prêt à faire les mêmes concessions qu’eux pour atteindre son but. La narration de Werner Herzog se garde heureusement d’énoncer quelque message tendancieux que ce soit à ce sujet. Elle a beau s’inscrire dans la soif de découverte de pays exotiques, très en vogue à l’époque alors qu’on employait encore le terme condescendant de « tiers monde », le ton du film procède davantage à un mélange fascinant entre le documentaire et l’observation sans préjugés de la folie humaine.

Hannibal

Conclusion

Le tandem Klaus Kinski / Werner Herzog n’est pas mythique sans raison. Ce film à lui seul suffirait comme preuve magistrale de la symbiose artistique entre l’acteur fou à lier et son pygmalion plus calme, capable de canaliser cette rage explosive vers une expression dramatique de premier ordre. L’entreprise gigantesque qu’a dû représenter la production de ce film a ainsi donné lieu à une œuvre presque intimiste. Celle-ci est animée avant tout par l’exploration saisissante du parcours chahuté d’un homme aux goûts trop radicaux pour ce vil monde, qui finit néanmoins par tirer son épingle du jeu in extremis.

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