Critique : Faute d’amour (Deuxième avis)

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Faute d’amour

Russie, France, Belgique, Allemagne, 2017
Titre original : Nelyubov
Réalisateur : Andreï Zviaguintsev
Scénario : Oleg Neguine et Andreï Zviaguintsev
Acteurs : Marianna Spivak, Alexeï Rozine, Matveï Novikov, Marina Vassilieva
Distribution : Pyramide
Durée : 2h07
Genre : Drame
Date de sortie : 20 septembre 2017

Note : 3,5/5

L’antagonisme hérité de la Guerre froide, à travers lequel les médias occidentaux remplissent consciencieusement leur rôle de propagande politiquement correcte, qui cherche à dépeindre le peuple et la culture russes comme des entités irréconciliables avec notre philosophie basée – pour faire bref – sur l’idéal de la liberté, nous a tout l’air d’être caduc. Car au delà des vieux clivages politiques, qui alimentent encore tant soit peu et en parfaite fidélité aux préjugés archaïques la haine de l’autre et la méfiance à son égard, le quotidien des hommes et des femmes des deux côtés de l’ancien rideau de fer s’est brutalement uniformisé sous la pression d’une mondialisation galopante. Ainsi, le cadre social qui étoffe magistralement le fait divers à l’origine de l’histoire de Faute d’amour ne se distingue pas tellement de ce que l’on pourrait voir chez d’autres maîtres d’une modernité nihiliste, comme Michael Haneke et Ulrich Seidl, sans y déceler pour autant un lien étroit avec les états d’âme cyniques, cultivés du côté du cinéma autrichien. Le malaise profond que Andreï Zviaguintsev orchestre avec brio dans son cinquième film, récompensé du Prix du jury au dernier Festival de Cannes, dépasse en effet toute considération platement nationale, pour mieux disséquer le dysfonctionnement des misérables vestiges de ce que l’on appelait autrefois la famille. Il s’agit d’un film fort et sans concessions, lugubre et pessimiste, soit, mais en même temps investi d’une assurance narrative qui force le respect.

Synopsis : Aliocha est le fils unique de Boris et Genia, qui sont sur le point de divorcer. Alors que l’appartement familial doit prochainement être vendu et que le couple se décompose violemment, Aliocha disparaît soudainement, sans laisser de trace. Trop occupée par son travail dans un institut de beauté et par sa nouvelle relation avec un homme plus âgé, Genia met un certain temps avant de se rendre compte que son fils n’est plus dans sa chambre. Face à la passivité de Boris, lui aussi absorbé par l’attention qu’il doit porter à sa copine enceinte, elle prévient la police pour déclarer la disparition inquiétante. Mais puisque l’administration russe est particulièrement lente et impuissante, il ne reste aux parents angoissés qu’à faire appel à une association de bénévoles, spécialisée dans la recherche de jeunes fugueurs.

Les parents terribles

Cela relève presque du miracle filmique que nous parvenons à nous intéresser au sort de personnages aussi antipathiques que ceux de Faute d’amour ! Or, les schémas d’identification conventionnels n’ont jamais vraiment préoccupé Andreï Zviaguintsev, un réalisateur dont le style tire son incroyable vigueur de l’intensité avec laquelle il observe les méfaits de ses protagonistes. Dans le cas présent, ce sont avant tout le milieu social et la façon impassible dont la caméra le filme qui définissent ce couple au bord du gouffre, puis poussé dans ses derniers retranchements à cause d’un imprévu qui finit par contredire au moins en partie toute l’hostilité que Boris et Genia se vouent mutuellement. Pendant la majeure partie du récit, il ne serait pas exagéré de qualifier ces derniers de zombies affectifs, incapables de s’investir émotionnellement dans la quête d’un fils, dont ils avaient tendance auparavant à percevoir la présence et les besoins d’une manière cruellement superficielle et désengagée. La carapace dure et impénétrable de ces parents tout à fait indignes ne se craquelle que très ponctuellement, au moment de la confrontation à la morgue, un décor aussi glauque que la sensation d’abattement moral qui règne sur le film dans son ensemble. Sauf que cet instant qui aurait pu leur permettre de se ressaisir, de laisser suivre à l’effusion déchirante des larmes une mise en question sincère, s’évapore sans laisser de trace. Pire encore, il fait sombrer alors définitivement Boris et Genia dans leur posture de retrait d’une existence authentique. Dès lors, ils seront privés d’amour et surtout prisonniers d’un cycle comportemental imposé par un confort matériel, diamétralement opposé au vide moral qui les gangrène depuis l’intérieur.

Séquence d’appel dans le vide

Curieusement, les facteurs de cette perte d’humanité ou tout au moins de celle d’une spécificité russe, que l’on y cherchera d’ailleurs en vain, à l’exception de ce simulacre d’une milice, obligée de prendre la relève des forces de l’ordre inefficaces au plus haut point, évoluent d’après tout ce qui fait la fierté – et pour certains la malédiction – du monde occidental. Plus aucune communication ne paraît possible dans cet univers filmique, qui reflète pourtant de près les dérives d’une époque, où le flux des informations passe certes par une multitude de gadgets électroniques, mais dont la compréhension basée sur l’écoute ne fait plus partie des us et coutumes. Même le sacrifice suprême de cette course à la froideur mécanique de l’âme, ce pré-adolescent visiblement très mal dans sa peau, n’y fait plus le poids, puisque la narration le dégrade au niveau de simple prétexte pour le désarroi indécrottable de ses parents, à tel point que son devenir concret ajoute au mieux un brin de mystère au malaise omniprésent. Dans ce sens, le récit n’épouse qu’en apparence la forme du thriller, lui préférant de plus en plus celle, crue et néfaste, du constat social accablant, car dépourvu du moindre espoir de rédemption. Il n’y a donc aucune lueur réconfortante à espérer de la part de ce film, qui reflète par contre à la perfection un monde depuis longtemps en panne totale de repères.

Conclusion

Le Bannissement a beau rester notre film préféré de Andreï Zviaguintsev parmi ceux que nous avons vus, Faute d’amour procède avec brio au prolongement de l’univers grave et beau de ce réalisateur hors pair ! Tout le malheur d’une époque se retrouve en quelque sorte dans ce conte oppressant, à la fois incisivement moderne et hors du temps, grâce au regard jamais complaisant qu’il porte sur ses personnages monstrueux à degrés variables.

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