Critique : Nope

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Nope

États-Unis, Japon, Canada, 2022
Titre original : Nope
Réalisateur : Jordan Peele
Scénario : Jordan Peele
Acteurs : Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Brandon Perea et Michael Wincott
Distributeur : Universal Pictures International France
Genre : Fantastique / Avertissement
Durée : 2h10
Date de sortie : 10 août 2022

3/5

En désormais trois films en tant que réalisateur, Jordan Peele a réussi à se forger une réputation à l’écart de ses origines artistiques de comique potache. L’humour n’est certes pas complètement absent de Get Out, Us et Nope. Mais dans le meilleur des cas, on pourrait interpréter ces histoires effrayantes comme des commentaires satiriques sur la conscience collective des Américains à un moment donné. Au fond, elles exploitent des peurs ancestrales, mises au goût du jour par l’intermédiaire d’une représentation savamment ciblée de minorités le plus souvent laissées de côté par le cinéma hollywoodien. Attention, on n’ira pas jusqu’à affirmer que Peele soit le digne héritier de Spike Lee, un cinéaste qui n’a au demeurant jamais flirté avec le genre fantastique. Toutefois, par son propos pas dépourvu d’arrière-pensées lucides et son style globalement peu pompeux, il ne nous paraît pas complètement exagéré de rapprocher son univers de celui de M. Night Shyamalan. La quête pathologique de la chute en moins, un langage cinématographique assez sophistiqué en plus.

Ainsi, dans Nope, il est au moins autant question d’une exclusion qui ne dit pas son nom que d’une aventure d’extra-terrestre rocambolesque et en fin de compte pas totalement engageante. Tandis que cette dernière suit avec une certaine prévisibilité la recette des films de monstres, au moins aussi ancienne que Les Dents de la mer de Steven Spielberg, le portrait dressé au fur et à mesure des personnages se distingue par sa prise de distance par rapport aux stéréotypes de représentation qu’on croyait enracinés de façon indécrottable dans le cinéma américain grand public.

© 2022 Glen Wilson / Monkeypaw Productions / Dentsu / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Synopsis : Quelque temps après la mort de son père Otis Haywood, un célèbre dresseur de chevaux pour le cinéma, Otis junior peine à remonter la pente. Il est à présent seul à s’occuper de la ferme familiale et des chevaux, alors que sa sœur Emerald poursuit d’autres pistes artistiques. Elle pense cependant avoir trouvé le filon d’or, en filmant des événements étranges qui se produisent dans leur vallée, au fin fond de la Californie. Peu versés dans l’installation d’équipements de vidéosurveillance susceptibles de résister aux pannes de courant causées par les phénomènes inexpliqués, ils font appel au technicien et fan de légendes d’extra-terrestres Angel pour les aider.

© 2022 Glen Wilson / Monkeypaw Productions / Dentsu / Universal Pictures International France Tous droits réservés

OJ Made in America

Afin qu’un film d’horreur ou fantastique fonctionne réellement, il faut soit un méchant terrifiant, soit un héros avec lequel on ne peut que s’identifier corps et âme. Or, dans Nope, Jordan Peele a choisi une voie encore différente, peut-être pas entièrement probante en termes de sursauts multiples, quoique suffisamment originale pour qu’on s’y intéresse de près. Rien de vraiment valorisant n’est à écrire sur cette force menaçante, qui vient hanter à intervalles réguliers la bourgade et ses habitants étrangement coupés du monde extérieur. Surtout pas, une fois que sa transformation physique ne la fait plus ressembler à rien, en tout cas pas à un ennemi contre lequel toute résistance serait inutile.

Par contre, le personnage principal que Daniel Kaluuya interprète avec un flegme rafraîchissant rompt avec ces protagonistes appelés à devenir vigoureux et valeureux, une fois que le mauvais sort s’est abattu sur eux. A leur opposée, son OJ est la passivité même. Ce n’est pas un lâche à proprement parler, ni un grand paresseux pour qui ses responsabilités de jeune entrepreneur ne signifient plus rien, face à son impossibilité de faire le deuil de son père. Il se définit davantage par le titre du film. Non, ce n’est pas le bon moment pour jouer au héros. Et non, il n’est pas prêt à se dépasser, tant que la survie de son cercle intime n’est pas en jeu. En plus, c’est un homme tellement réservé et en retrait du monde, que sa seule et unique effusion de sentiments se produit lorsqu’il se réjouit avec sa sœur du jackpot, en apparence si proche à atteindre.

© 2022 Glen Wilson / Monkeypaw Productions / Dentsu / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Au lointain, le spectacle doit continuer

Ce flegme manifeste constitue un contrepoids des plus saisissants envers la volonté de se mettre en scène à tout prix de la plupart des autres personnages. Les deux plus grands coupables de cette façade étincelante derrière laquelle se cachent de lourds traumatismes sont la sœur de OJ et le gérant du parc d’attractions à qui le jeune dresseur se voit obligé de céder plusieurs de ses chevaux. Keke Palmer dans le rôle de l’artiste un brin bordélique, une grande débrouillarde qui est pourtant incapable de mener seule à bien ses nombreux projets, est par défaut le moteur de l’action. Un moteur qui ne tourne pas sans accroc, en dépit de la volonté du scénario de boucler in extremis la plupart des fils tendus au cours du récit. De même, l’homme de spectacle que Steven Yeun campe avec une foi inébranlable est vite dépassé par l’écart de plus en plus profond entre ses velléités d’ancien enfant-vedette et la réalité macabre de l’attraction qu’il comptait dompter.

Ce qui nous ramène à la notion de bête sanguinaire qui sous-tend le film de bout en bout. Peu importe la nature préservée du décor – un plateau de télévision au milieu des années 1990 ou bien une discussion détendue entre père et fils autour de l’enclos –, le mal peut frapper à chaque instant. Dommage alors que son incarnation reste trop ambiguë pour nous tenir en haleine ! Cette légère lacune provient sans doute aussi du fait que les personnages opèrent largement en vase clos. Personne ne vient à leur aide sous forme d’autorité régulatrice. Et c’est donc exclusivement la question laissée en suspens de la part de Angel, Brandon Perea dans un emploi de faire-valoir très peu développé, lors du repas avant l’affrontement final sur l’utilité de toute cette agitation, qui vient tant soit peu interroger le bienfondé moral de cette opération de récupération mercantile, orchestrée par la fratrie Haywood.

© 2022 Glen Wilson / Monkeypaw Productions / Dentsu / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Conclusion

Est-ce que Nope fera date dans la filmographie de Jordan Peele, voire dans l’Histoire du cinéma fantastique ? Quelques semaines après sa sortie au cinéma, il est évidemment encore beaucoup trop tôt pour pouvoir le déterminer. Il n’empêche que le troisième film du réalisateur s’inscrit dans une réappropriation fort appréciable du genre par des conteurs et leurs personnages, trop longtemps considérés comme les premiers à sacrifier sur l’autel d’un compte à rebours meurtrier. En somme, il s’agit d’un film d’épouvante se situant légèrement en décalage par rapport à la norme hollywoodienne. Pas assez pour démarrer tout un nouveau mouvement de contre-courant afro-américain, mais suffisamment intelligent pour ouvrir le champ de réflexion des possibles hypothétiques à explorer dorénavant.

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