Critique : Le Trésor de la Sierra Madre

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Le Trésor de la Sierra Madre

États-Unis, 1948
Titre original : The Treasure of the Sierra Madre
Réalisateur : John Huston
Scénario : John Huston, d’après le roman de B. Traven
Acteurs : Humphrey Bogart, Walter Huston, Tim Holt et Bruce Bennett
Distributeur : Warner Bros. France
Genre : Aventure
Durée : 2h06
Date de sortie : 11 février 1949

4/5

Ce n’est pas parce qu’un film est considéré comme un classique qu’il faut aveuglément croire cet adoubement collectif au rang de chef-d’œuvre intemporel. Afin de résister réellement à l’épreuve du temps, chaque film célébré de la sorte devrait garder intact son lien avec le public au fil des années. Quoi de mieux à faire donc en plein creux de l’été, que de revisiter ce long-métrage marquant de l’après-guerre, grâce aux festivités autour du centenaire du studio l’ayant produit ?

Et quel soulagement de constater que Le Trésor de la Sierra Madre se montre toujours à la hauteur de sa réputation, à savoir d’être un divertissement de haut vol, doublé de quelques considérations philosophiques qui n’ont rien perdu de leur valeur en près de quatre-vingts ans ! L’une des pièces maîtresses de l’illustre carrière de John Huston se distingue en effet par sa capacité à anoblir une aventure des plus spectaculaires à travers un fond moral, qui ne se laisse à aucun moment rabaisser au niveau nauséabond du sermon édifiant.

Car le personnage principal que Humphrey Bogart y interprète si brillamment est tout sauf un héros au sens convenu du terme. Ainsi, l’intrigue a beau se dérouler au milieu des années 1920, toute la désillusion très répandue après la guerre s’y manifeste, notamment par le regain en force d’un état d’esprit égoïste, voire nihiliste. L’appât du gain sous sa forme la plus crue aura alors le dernier mot du bel effort collectif, qui aurait pu permettre au groupe de trois chercheurs d’or de s’en sortir une fois pour toutes.

Que cette mésaventure ne se termine pas en tragédie, le récit magistralement construit l’a prévu d’emblée, grâce à la figure du vieux sage que Walter Huston y campe à la perfection. Sans lui, le délicat équilibre au sein du groupe de prospecteurs s’effrite rapidement, tout comme sa présence et son expérience considérable agissent d’une manière particulièrement bénéfique sur ses associés et sur le film dans son ensemble.

© 1948 Mac Julian / Warner Bros. France Tous droits réservés

Synopsis : En 1925, l’Américain Fred C. Dobbs a échoué sans le sou dans la ville mexicaine de Tampico. Il subsiste tant bien que mal en faisant la manche et en acceptant de petits boulots mal payés. Son compagnon d’infortune est son compatriote Curtin, bloqué dans la même situation sans issue que lui. Quand les deux mendiants disposent pour une fois d’un peu d’argent, ils décident de l’investir dans une expédition dans les montagnes de la Sierra Madre, afin d’y chercher de l’or. C’est le vieux baroudeur Howard qui leur en a donné l’idée et qui se joint à eux comme guide et associé à part entière.

© 1948 Mac Julian / Warner Bros. France Tous droits réservés

Bien mal acquis ne profite jamais

On a tendance à l’oublier, mais l’aspect qui évolue peut-être le plus au cours de l’Histoire du cinéma, c’est la gestion du temps filmique. Ainsi, Le Trésor de la Sierra Madre n’a nullement peur de prendre le sien. Attention, le scénario magnifiquement ciselé de John Huston n’en gaspille pas une seconde ! Mais il sait allouer une durée conséquente aux galères mexicaines qui poussent les deux personnages principaux à sauter le pas vers l’inconnu. Des poissons hors de l’eau dans une ville étrangère qui ne veut pas d’eux, ils sont tout aussi peu préparés au quotidien éreintant des prospecteurs. Avant de s’échiner avec leurs mulets sur des chemins escarpés, l’aventure commence d’ores et déjà lors d’une séquence de voyage en train, où nos potentiels futurs millionnaires tirent sur des bandits comme le faisaient autrefois les pionniers américains sur le peuple autochtone de l’Amérique.

Au détail près que ce n’est pas leur défense courageuse qui a sauvé la mise, mais l’arrivée hors champ de la cavalerie mexicaine. Ce rapport trouble à la violence, jumelé avec un sentiment d’impuissance qui ne dit pas son nom, refait surface à intervalles réguliers au cours de l’intrigue. Tout comme les nombreuses morts rythmant l’histoire se passent presque toujours hors cadre, pour mieux signifier une part de pouvoir sur la vie qui échappe irrémédiablement à nos héros, ceux-ci sont essentiellement des pions sans volonté sur l’échiquier des rapports de force qui veillent sur leur aventure rocambolesque, quoique écrite d’avance. En guise de commentateur ayant anticipé déjà toutes les éventualités, le vieux Howard se fait néanmoins autant avoir que ses acolytes au recul moins philosophe.

© 1948 Mac Julian / Warner Bros. France Tous droits réservés

Mangez au moins cinq haricots par jour

Or, le propos clairement fataliste du film n’adopte jamais un ton lourd ou sermonneur. Bien que le personnage excentrique que Walter Huston incarne avec un naturel désarmant soit pour beaucoup dans l’ironie jubilatoire du Trésor de la Sierra Madre, la mise en abîme morale va sensiblement plus loin. Elle peut faire escale du côté d’un certain mysticisme, comme par exemple lors de l’intervention prétendument divine qui assurera ensuite à Howard l’entrée dans un pays de Cocagne insoupçonné. Dans l’ensemble, elle reste par contre omniprésente dans chacune des actions du trio de protagonistes, aussi anodines puissent-elles paraître. L’incroyable économie des moyens d’expression cinématographique dont John Huston y fait preuve garantit dès lors que le récit fonctionne parfaitement dans sa double incarnation simultanée de divertissement rondement mené et de pamphlet au fondement moral sophistiqué.

Qui est alors censé tirer son épingle de ce jeu sinon truqué, au moins couru d’avance ? Pas les personnages, vous l’aurez compris, puisqu’ils récolteront une piètre récompense pour tous leurs efforts fournis. Les spectateurs, certainement, grâce à cette double pertinence assez incroyable en termes de lecture du film. Cette dernière peut s’effectuer à la fois comme simple passe-temps, n’ayant rien à envier aux blockbusters contemporains, et en tant que mise en garde sérieuse contre la cupidité de l’âme humaine. La longévité exemplaire et la qualité indémodable du quatrième long-métrage de John Huston résultent alors aussi de l’aisance avec laquelle il a l’air de s’amuser de tout ce cirque autour du veau d’or.

© 1948 Mac Julian / Warner Bros. France Tous droits réservés

Conclusion

Placé quelque part sur le piédestal poussiéreux réservé aux films adulés que tout le monde semble connaître mais que plus personne n’a vu, Le Trésor de la Sierra Madre demeure une œuvre investie d’une vérité qui dénote. La maestria cinématographique avec laquelle John Huston y dissèque bon nombre de travers de la nature humaine – facilement enivrée par la richesse matérielle dès que le pactole pointe son nez à l’horizon – n’est égalée que par les interprétations jouissives de son père Walter en éminence grise facile à dévier de son compas moral et de Humphrey Bogart en crapule dont toute l’étendue de la lâcheté et de la pourriture intérieure tarde à se faire jour.

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