Critique : Le Colibri

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Le Colibri

Italie, France, 2022
Titre original : Il colibri
Réalisatrice : Francesca Archibugi
Scénario : Laura Paolucci, Francesco Piccolo et Francesca Archibugi, d’après le roman de Sandro Veronesi
Acteurs : Pierfrancesco Favino, Kasia Smutniak, Bérénice Bejo et Laura Morante
Distributeur : Paname Distribution
Genre : Drame
Durée : 2h06
Date de sortie : 2 août 2023

2/5

Dans le cinéma italien, les films choraux à dominante mélodramatique n’ont pas vraiment notre faveur. Mais comme il y a toujours pire, la réalisatrice Francesca Archibugi pousse le délire cinématographique encore un peu plus loin avec Le Colibri. Car au lieu de se contenter d’évoquer en long et en large la vie d’un médecin tiraillé entre deux femmes, elle morcelle son récit à tel point que ce dispositif du puzzle alambiqué devient la seule et unique raison d’être du film. Le passage du coq à l’âne, des erreurs du passé à celles du présent, devient alors vite fatiguant, aussi parce que le caractère du protagoniste reste fâcheusement diffus. Il traverse avant tout comme un témoin hébété les chocs successifs qui rythment sa vie, sans jamais réellement se ressaisir et prendre les choses en main.

Le stoïcisme un brin blasé avec lequel Pierfrancesco Favino affuble son personnage est assez révélateur du creux humain, qui gangrène cet exercice de style passablement vain. Au moins, il s’en sort légèrement mieux que Kasia Smutniak en surcharge névrotique pénible et Laura Morante dont l’âge réel ne semble jamais correspondre à celui de son personnage de mère distante au fil du temps. Le seul à insuffler un minimum d’authenticité humaine à ce simulacre d’une biographie tourmentée reste Nanni Moretti dans le rôle du psychiatre, à la bonne distance de ce spectacle désolant pour y faire figure de conseiller empathique. Quant à Bérénice Bejo, contrairement à ce que la bande-annonce pourrait nous faire croire, elle est peu présente dans le film, les mauvais coups du sort accaparant trop l’emploi du temps de son amant idéalisé pour qu’il s’occupe durablement d’elle.

© 2022 Fandango / Rai Cinema / Orange Studio / Les Films des Tournelles / Paname Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Quand il était adolescent, Marco Carrera était secrètement amoureux de la jeune Française Luisa Lattes, qui habitait dans la maison au bord de la mer à côté de celle de ses parents. Suite à un drame familial, ils se sont promis de ne jamais concrétiser leur coup de foudre. Quand Marina, la femme de Marco devenu médecin, prend connaissance de cette affaire à distance, elle lui avoue à son tour qu’elle ne l’a jamais aimé. Seule leur fille commune Adele permettra à Marco d’envisager une vie sans amour romantique.

© 2022 Fandango / Rai Cinema / Orange Studio / Les Films des Tournelles / Paname Distribution Tous droits réservés

Du fil à retordre

Le plus grand, voire le seul compliment que l’on puisse faire à Francesca Archibugi, c’est qu’elle ne nous perd jamais entièrement dans les dédales de son histoire à tiroirs. On ne sait certes pas toujours exactement où on en est. Mais la structure morcelée du film s’agence malgré tout en quelque chose d’à peu près organique dans son désordre vaguement sous contrôle. Notre reproche principal vise dès lors cette obsession à découper en petits morceaux de film une histoire, qui aurait aisément pu nous engager davantage d’un point de vue affectif, si elle avait osé abandonner à un moment donné son régime du hacher menu. Car autant cette virtuosité affectée crée encore l’illusion au début du film, autant elle finit par se suffire à elle-même au bout de deux heures de torsion narrative excessive.

Quel est le but de ce va-et-vient maniéré entre des épisodes de malheur conjugal ou familial qui se suivent et se ressemblent, tellement le point de vue de la narration devient brouillon ? En effet, on est sans doute censé suivre la vie de ce pauvre homme à qui l’épanouissement a été refusé pour cause de mauvais coups du sort et s’en émouvoir, bien sûr. Or, l’écran de fumée du montage rapiécé s’avère si épais qu’il focalise toute notre attention sur lui. Ce qui aurait pu être la grande épopée d’une vie vécue contre vents et marées, digne des pires clichés qui pullulent dans des séries interminables diffusées à la télévision l’après-midi, se transforme d’entrée de jeu en une machine à l’acrobatie narrative douteuse, car trop obnubilée par elle-même.

© 2022 Fandango / Rai Cinema / Orange Studio / Les Films des Tournelles / Paname Distribution Tous droits réservés

Assez pleurniché

Face à la forme à la prétention parfois insoutenable, le fond fait de même pâle figure. La passivité du personnage principal en fait un héros peu engageant. Marco a tendance à attendre que les choses et les gens viennent vers lui, une attitude hésitante qui trouve sa manifestation la plus concrète dans la drôle de relation qu’il entretient avec Luisa. Sauf que cet amour impossible se voit rapidement éclipsé par toutes les autres choses de la vie courante qui lui tombent dessus. Ainsi, pas un quart d’heure de film ne se passe sans qu’une mort accidentelle ou un autre malheur tragique ne vienne secouer notre pauvre point d’identification faiblard. Hélas, la mise en scène ne trouve guère les moyens filmiques adéquats pour hiérarchiser ces déconvenues et éviter de la sorte de sombrer dans l’inflation du malheur.

L’absence de véritables enjeux dramatiques se fait donc cruellement sentir, une fois qu’il devient clair que la seule ambition de Francesca Archibugi consiste à faire virevolter son récit dans tous les sens imaginables, peu importe les dégâts en termes d’adhésion du public. In extremis, elle fait amplement appel au maquillage peu crédible pour instaurer un faux ton de sagesse, alors que ses personnages n’ont nullement eu l’occasion de mûrir devant nos yeux. L’émotion souhaitée pour l’action finale du film reste par conséquent inexistante, alors que pareil sujet morbide avait donné lieu à une œuvre infiniment plus touchante il y a vingt ans du côté canadien avec Les Invasions barbares de Denys Arcand. Bref, même le départ solennel de Marco est bâclé, ce qui ne nous étonne guère, après toutes les épreuves bancales qu’il a dû traverser pour en arriver là !

© 2022 Fandango / Rai Cinema / Orange Studio / Les Films des Tournelles / Paname Distribution Tous droits réservés

Conclusion

C’est avant tout un regret profond que nous inspire Le Colibri. Plutôt que d’investir toutes ses forces créatives pour faire joliment du surplace, le film de Francesca Archibugi s’épuise irrémédiablement dans le labyrinthe de ses multiples niveaux temporels. En fin de compte, personne ne s’en sort indemne, ni l’acteur principal Pierfrancesco Favino, rarement vu si léthargique, voire risible quand il doit réagir à la plus néfaste des nouvelles, ni les actrices sacrifiées sans scrupules sur l’autel des névroses féminines et des lubies masculines. Au moins, Nanni Moretti y reste fidèle à lui-même, c’est-à-dire l’observateur ironique et doucement amusé de ce spectacle sans queue, ni tête.

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