Critique : La Fille du train

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la-fille-du-train-afficheLa Fille du train

Etats-Unis, 2016
Titre original : The Girl On The Train
Réalisateur : Tate Taylor
Scénario : Erin Cressida Wilson, d’après l’oeuvre de Paula Hawkins
Acteurs : Emily Blunt, Rebecca Ferguson, Haley Bennett, Justin Theroux
Distribution : Metropolitan FilmExport
Durée : 1h53
Genre : Thriller
Date de sortie : 26 octobre 2016

1,5/5

En quête de films noirs tarabiscotés avec personnages forts, ambigus voire carrément troubles depuis la vision de Gone Girl de David Fincher, nombreux sont les cinéphiles à avoir cru dans le potentiel de cette histoire de disparition étrange et d’enquête menée par une jeune femme dont le point de vue n’est pas forcément fiable. Las… Nombreux sont ceux qui devraient déchanter à la vision de cette bien décevante série B aux rebondissements bien improbables.

Synopsis : Rachel Watson emprunte chaque jour le même train. Elle invente un passé aux autres passagers et observe des inconnus dans les maisons qui défilent devant la fenêtre de son wagon. Obsédée par un couple qu’elle épie à chaque trajet, elle s’inquiète de la disparition de la femme blonde dont elle jalousait la vie apparemment parfaite. Dépressive depuis que son mari l’a quittée pour une autre, elle n’est guère crédible lorsqu’elle tente de prévenir la police.

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La fille duraille

Le fantôme de Gone Girl, le film noir complexe et virtuose réalisé par David Fincher plane donc clairement sur cette adaptation par Tate Taylor d’un roman à énigmes de Paula Hawkins, avec un même goût pour les faux-semblants alambiqués. Le prologue est prometteur, avec Emily Blunt irréprochable, communiquant aisément la détresse de cette femme totalement paumée. Son air constamment hagard dans ce prologue et un maquillage finement esquissé permettent de faire comprendre finement (ce sera l’une des rares traces de subtilité dans le film, profitons-en), avant de le voir et de l’entendre durant une discussion sympathique avec une mère et sa fille, qu’elle boit un peu trop. Le travail de maquillage minimaliste mais révélateur est à saluer au passage. Dans un entretien avec le Hollywood Reporter, l’actrice précise que la maquilleuse de plateau Kyra Panchenko (qui a travaillé sur Kill Bill) avait utilisé «du fard à paupières gris sous [ses] yeux pour en faire ressentir les cernes». Elle a également porté diverses teintes de lentilles de contact, rose, rouge ou jaune, pour différencier son niveau d’ivresse, entre ébriété modeste et gueule de bois sévère. Son personnage n’est donc, a priori, pas dénué d’intérêt. Elle n’est pas réellement sympathique, rebutante même, son harcèlement de sa «remplaçante» Anna relevant d’un tempérament presque criminel, certainement à la limite de la légalité, comme on le découvrira petit à petit (sans trop en dévoiler).

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Ceci n’est pas Gone Girl

Très vite néanmoins, l’on déchante. Dès ce prologue d’ailleurs. Certes, sa détresse est bien campée mais cette voix-off exagérément explicative ennuie rapidement et ressemble trop à des béquilles trop confortables pour un scénariste paresseux. La coupable en l’occurrence est Erin Cressida Wilson, à qui l’on doit pourtant le très réussi La Secrétaire de Steven Shainberg (l’ancêtre de 50 Nuances de Grey) mais aussi les moins convaincants Chloe d’Atom Egoyan (le remake de Nathalie d’Anne Fontaine) et Men, Women & Children de Jason Reitman, même si l’on peut avoir des doutes a posteriori sur le texte d’origine qui n’est peut-être pas de qualité supérieure. Les gros problèmes de l’histoire sont d’abord la succession de manipulations qui nuisent à la compréhension du spectateur le plus attentif et ensuite l’éternelle bien pratique perte de mémoire liée ici à une forte consommation de breuvages alcoolisés. Déjà sur le personnage de Rachel, la vision que l’on avait d’elle se révélera altérée par les tromperies d’un autre personnage qui exagère son état. C’est presque malin mais totalement impossible à accepter par la façon dont elle est dépeinte, la mise en scène avec flashback trompeur étant la cerise sur le gâteau. Tromper l’auditoire est un art difficile pour que l’effet ne soit pas agaçant. Tous les auteurs de romans ne sont pas Gillian Flynn, tous les réalisateurs de leurs adaptations ne sont pas David Fincher, Flynn ayant admis d’ailleurs qu’elle juge le scénario, travaillé avec Fincher, supérieur à son propre ouvrage. Tate Taylor semble n’avoir comme seule vision que celle de livrer un produit bien huilé. Son abus de ralentis et de fausses pistes auxquelles l’on coupe court plus ou moins vite n’aide pas à relever l’opinion mesurée sur la qualité de son implication. Fincher est pointilleux, Taylor est moins précis dans l’architecture de son canevas narratif.

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Les autres passagers sont priés de laisser leurs bagages et de descendre du train

Les réserves sur le reste du film reposent pour beaucoup encore sur les autres personnages, dont sa rivale. Victime constante des rares personnages qu’elle croise, elle ne permet pas à son interprète Rebecca Ferguson de susciter le même enthousiasme que sur Mission Impossible Rogue Nation où elle nous avait impressionné avec son rôle d’espionne qui aurait pu être prévisible. Ici elle est bien fade, à l’exception d’une des dernières scènes où elle nous fera bien rire (c’est clairement involontaire). Les inspecteurs de police gravement incompétents ne sont guère relevés par des interprètes qui ne semblent guère y croire eux-mêmes dont la pourtant géniale (souvent) Allison Janney qui conduit un interrogatoire dans les toilettes. Haley Bennett (Megan, la disparue, vue dans Les Sept Mercenaires) et Justin Theroux (Tom, l’ex-mari) laissent au mieux indifférent, elle se contente d’être jolie, lui attend patiemment de retrouver le plateau de The Leftovers. Édgar Ramírez est un improbable psychanalyste qui ne sert qu’à ouvrir de fausses pistes mais accordons le pompon d’un jeu soit creux soit navrant (conservons une part de mystère ici) au pauvre Luke Evans (le méchant de Fast & Furious 6, dont le frère incarné par Jason Statham tente de le venger dans le 7) qui, lorsqu’il rencontre pour la première fois miss Blunt lui demande s’ils se sont déjà croisés, simplement parce que quelques minutes plus tôt il regardait dans sa direction lorsqu’elle était dans le train (beaucoup trop de scènes dans ce train d’ailleurs). Un tel échange est réellement consternant, comme si l’acteur lâchait dans ses dialogues un élément du scénario qu’il a lu mais que son personnage ne peut pas connaître. Oser conserver un tel passage, s’il est présent dans le livre, confirme le manque d’ambitions artistiques de l’adaptateur mais surtout de Tate Taylor à qui l’on doit La Couleur des sentiments.

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Si Tate Taylor et sa scénariste ne s’ingéniaient pas à ce point là à tromper, troubler le spectateur comme dans une production télévisuelle anonyme, ils s’en sortiraient certainement mieux. Ce qu’avait compris, à nouveau Fincher & co. Non seulement Rosamund Pike brillait par la complexité de son jeu et des actes de son personnage, pourtant guère crédibles si l’on y réfléchit quelques minutes mais l’intégralité de ses partenaires également, de Ben Affleck à la révélation Carrie Coon (autre actrice de The Leftovers) en passant par, miracle des miracles, Tyler Perry (pour ceux qui connaissent l’étrange carrière du bonhomme) étaient enthousiasmants car leurs actes étaient au minimum compréhensibles. Ils étaient faibles, honnêtes, loyaux, pervers, sympathiques. Ils étaient définissables et compréhensibles. Soyons justes, l’histoire étant racontée du seul point de Rachel, il leur est difficile à tous d’exister mais d’autres acteurs présents au générique se sortent plus honorablement de ce projet. Lisa Kudrow, l’ex Phoebe de Friends, réussit ses trois brèves apparitions pourtant anecdotiques et Laura Prepon (That 70’s Show ; Orange is the new black) attachante dans le rôle de la colocataire de Rachel. Son personnage, posé, humain, généreux est le seul être de chair et de sang dans cette galaxie de clichés sur pattes. Ah chaque fois qu’on la voit, on se dit «tiens, un être humain et pas une simple virgule posée page 54 du scénario». On peut avoir de l’empathie pour elle, elle est là, à l’écran, et marque les esprits.

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Conclusion

Les rebondissements de plus en plus improbables et des révélations tardives à l’intérêt limité (voire carrément ridicules) nuisent à l’intérêt de ce thriller bien décevant, vaguement drôle involontairement, plus destiné aux après-midi de M6 ou de TF1 en étant généreux. Tout comme le sulfureux Basic Instinct avait engendré toute une série de sous-produits d’érotique chic de plus en plus moraux, Gone Girl commence à entraîner une nouvelle vague de thrillers faussement intelligents et vraiment bêtes, comme ce long-métrage très évitable, malgré les quelques noms intéressants au générique dont Danny Elfman à la musique, que l’on a connu plus inspiré…

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