Critique : 1917

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1917

Royaume-Uni, États-Unis, 2019

Titre original : 1917

Réalisateur : Sam Mendes

Scénario : Sam Mendes & Krysty Wilson-Cairns

Acteurs : George MacKay, Dean-Charles Chapman, Mark Strong, Andrew Scott

Distributeur : Universal Pictures International France

Genre : Guerre

Durée : 1h59

Date de sortie : 15 janvier 2020

3,5/5

Fraîchement récompensée de deux Golden Globes majeurs, cette épopée de guerre arrive sur les écrans français avec une réputation d’incroyable tour de force technique. 1917 est tout à fait cela, certes, avec ses effets de montage extrêmement discrets et la photo splendide de Roger Deakins, qui nous plonge dans l’action et la sublime en même temps à un niveau esthétique rarement atteint dans un film de guerre. Mais derrière cet écran de fumée spectaculaire, d’une expertise bluffante qui se prolonge jusque dans la musique symphonique de Thomas Newman, le réalisateur Sam Mendes nous conte avec une efficacité redoutable l’absurdité de la guerre. Les détracteurs de ce devoir de mémoire héroïque nous diront qu’il n’est guère le premier à le faire et que par certains aspects, son huitième long-métrage ressemble à la mission suicide qui servait de fil rouge à Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg. Et en effet, même si le cadre historique diffère évidemment, il y a quelque chose d’un commando insensé dans cette course contre la montre pour apporter un message qui devrait éviter le massacre inutile de plusieurs centaines de soldats britanniques. L’exploit de la mise en scène et d’une équipe technique de premier choix consiste alors d’un, de ne pas terminer ce calvaire du martyr sur la même note larmoyante que chez les rescapés du débarquement en Normandie, et de deux, de ne jamais perdre de vue la fragilité de chaque instant en général et de la vie en particulier au sein d’un engrenage simultanément militaire et cinématographique qui force le respect.

© François Duhamel / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Synopsis : En avril 1917, les forces britanniques et allemandes se font face dans un statu quo aussi meurtrier qu’immobile dans le nord de la France. Le retrait supposé de l’armée allemande donne l’espoir à l’état-major de pouvoir enfin gagner quelques kilomètres de terrain sur l’ennemi. Quand il apprend qu’il ne s’agit en fait que d’une ruse stratégique afin de mieux attirer les soldats britanniques dans un piège, le général Erinmore envoie les caporaux suppléants Blake et Schofield apporter une missive urgente de retrait à la 2ème division,à laquelle appartient le frère aîné de Blake. Les deux amis ont moins de vingt-quatre heures pour traverser les lignes ennemies et éviter peut-être ainsi un bain de sang.

© François Duhamel / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Ils ont pris la mer dans une passoire

Alors que la nature de la guerre change de fond en comble en ce 21ème siècle désormais bien entamé, avec ses affrontements qui se déplacent de nos jours sur des champs de bataille virtuels ou bien qui demeurent redevables au cercle vicieux de la guerre par procuration, quel avenir reste-t-il au film de guerre à l’ancienne ? Vous savez, ces grandes fresques où l’horreur de la boucherie barbare était quelque peu relativisée par l’appel fervent à une forme archaïque d’héroïsme, le tout bonifié, si l’on peut dire, par des acteurs de renom, pas nécessairement soumis au même degré d’inflation absurde que dans Le Jour le plus long. Il y a quelques vestiges sans gravité de cette époque révolue du cinéma de papa dans 1917, notamment du côté de l’apparition de comédiens aussi éprouvés et respectables que Colin Firth, Andrew Scott, Mark Strong et Benedict Cumberbatch pour incarner des officiers qui font face – chacun à sa manière, quoique toujours avec une humanité impressionnante – à la gestion au contraire inhumaine d’une probable déroute. Sinon, Sam Mendes adopte ici une démarche plus proche de celle de Christopher Nolan dans Dunkerque sorti deux ans et demi auparavant, à savoir associer le spectateur au plus près aux enjeux de l’intrigue, sans tomber dans un pathos démesuré. Car même l’emphase de la belle partition de Thomas Newman participe dans le cas présent à un effort collectif d’immersion dans le chaos, fait d’accalmies trompeuses et de coups de tonnerre assourdissants, dont la plupart des personnages ne sortiront pas indemnes.

© François Duhamel / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Jusqu’au dernier survivant

L’impuissance pourrait ainsi être considérée comme le maître-mot d’une intrigue, qui chérit avant tout l’urgence du moment présent, au détriment de quelque considération philosophique plus abstraite que ce soit. L’impuissance de deux hommes en chemin non pas vers la victoire, mais vers une simple tentative maladroite d’éviter le pire, qui ne leur confère même pas le pouvoir de nuisance du grain de sable dans un mécanisme usé par la guerre. L’impuissance face à la violence du hasard, qui veut qu’un enchaînement d’événements en apparence bénins aboutisse invariablement à un résultat néfaste. Puis, surtout, l’impuissance imposée par la mort, omniprésente, voire presque banale dans les tranchées jonchées de cadavres à des niveaux variés de décomposition. Cette absence d’emprise est reflétée de façon remarquable sur les traits de plus en plus fatigués de George MacKay dans le rôle de Schofield. A l’opposé de son compagnon d’infortune, encore habité par un certain idéalisme et un sens du devoir sans arrière-pensées, cet élu malgré lui a l’air de ne plus se faire d’illusions sur rien. Au fur et à mesure des étapes potentiellement éliminatoires, il affiche pourtant une détermination exemplaire à mener à bien sa mission. Jusqu’à ce sprint final, magistralement filmé, dans lequel est condensé le courage solitaire d’un homme, bousculé sans ménagement au gré du vent de l’Histoire.

© François Duhamel / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Conclusion

Après sa double parenthèse de James Bond, Sam Mendes revient décidément en forme à un type de film plus réaliste. L’extravagance stylistique est toujours de mise dans 1917, bien qu’elle se mette au service d’une histoire aussi simple et sobre qu’une incursion à première vue maudite en territoire ennemi. Le recours au pathos et à une figure héroïque à l’état pur ont alors beau rythmer le récit, ils n’en sont pas vraiment le point central. Ce serait plutôt la symbiose prodigieuse entre des prouesses techniques époustouflantes d’un côté et la sincérité sans fard de la narration de l’autre, qui fait gagner ses lettres de noblesse à ce film de guerre mémorable !

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