Berlinale 2020 : Nackte Tiere

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Nackte Tiere

Allemagne, 2020

Titre original : Nackte Tiere

Réalisatrice : Melanie Waelde

Scénario : Melanie Waelde

Acteurs : Marie Tragousti, Sammy Scheuritzel, Michelangelo Fortuzzi, Luna Schaller

Distributeur : –

Genre : Drame d’adolescents

Durée : 1h24

Date de sortie : –

3/5

Parmi les nouveautés de cette 70ème édition du Festival de Berlin figure la section « Encounters », qui remplace, si nos calculs sont bons, celle du cinéma culinaire, affectionnée jadis par le gourmand en chef sortant Dieter Kosslick. Bien qu’il soit encore trop tôt, en ce deuxième jour de la Berlinale, pour être sûr et certain de sa réussite, si l’on peut en juger à partir du premier film du programme, celui-ci dispose tout de même d’arguments de poids pour un avenir passionnant. A partir d’un sujet à première vue problématique – un groupe de jeunes qui passe ses dernières semaines avant le bac dans un état d’oisiveté collective, uniquement entrecoupé de brèves explosions de violence – , ce premier film nous livre le portrait à fleur de peau de personnages, dont les motivations troubles forment précisément la base de leur intérêt à titre individuel.

Dans Nackte Tiere, la réalisatrice Melanie Waelde ne s’encombre pas de la tâche fastidieuse des explications conventionnelles sur l’arc de progression dramatique que ses personnages sont censés accomplir. Elle va plutôt leur laisser libre jeu en termes de présence poisseuse, quoique étonnamment pas si malsaine, ainsi que de flottement en sursis, avant que l’âge adulte ne les sensibilise encore plus à la responsabilité. Ce premier film n’appartient pas pour autant au genre édifiant du roman d’apprentissage projeté sur un écran de cinéma. Il procède davantage par le biais de la captation fascinante d’une ambiance qui l’est encore plus, grâce au jeu d’une sauvagerie brillamment intériorisée de la part de Marie Tragousti dans le rôle de Katja. Cette jeune femme au tempérament volcanique se dérobe à toute catégorisation sommaire, au profit d’un rôle à l’intensité inclassable.

© Czar Film / Media Luna New Films Tous droits réservés

Synopsis : Katja ne peut réellement se défouler qu’aux séances d’entraînement de judo. Elle s’y livre des combats féroces avec Sascha, un ami de lycée qui a depuis longtemps abandonné toute idée de la séduire. Ensemble, ils fréquentent un groupe d’amis qui gravite autour de Benni, un adolescent en état d’échec scolaire imminent, qui vit seul dans son appartement. Katja fait de son mieux pour jongler entre la discipline draconienne de son sport de combat et les états d’âme plus vagues de son cercle d’amis.

© Czar Film / Media Luna New Films Tous droits réservés

Benni II

Puisque ni l’avant, ni l’après de l’intrigue assez minimaliste ne sont explicités dans Nackte Tiere, on peut sans doute prendre la liberté d’imaginer d’où vient cette bande de potes en pleine crise de transition entre l’insouciance de l’adolescence et les choix à opérer pour la vie d’adulte. Pratiquement coupés du reste du monde, avec lequel ils entretiennent des rapports pour le moins tendus, symbolisés par les remarques laconiques hors champ de la prof et des altercations physiques avec des parents, eux aussi très peu présents à l’image, Katja et son entourage ont créé un microcosme proche de l’autarcie affective. Cependant, il y règne une incroyable complicité, un sentiment de compréhension intime qui ne peut exister qu’à partir d’une honnêteté sans concession, jusqu’à la brutalité pas toujours enjouée des paroles et des actes. Le véritable électron libre y est Katja, une jeune femme brute et entière, en quelque sorte la cousine aînée de la fille ingérable dans Benni de Nora Fingscheidt, présenté en compétition à Berlin l’année dernière et distribué en France à partir du mois de mars. La différence d’âge entre ces deux personnages, que nous nous permettons d’associer librement, n’aura guère apporté de la sagesse à Katja. Cette dernière exprime sans filtre sa colère viscérale. Contre les adultes qu’elle traite de victimes et qu’elle menace aveuglement de violences physiques. Et contre ceux dont elle devrait se sentir le plus proche, mais envers lesquels elle a l’air de ne pas savoir sur quel pied danser : celui de l’amie et confidente, de la grande sœur, de la mère de substitution ou bien de l’amante à la libido glaciale.

© Czar Film / Media Luna New Films Tous droits réservés

Vraiment perturbée et indestructible

Ce dilemme permanent et usant, Marie Tragousti le porte en elle au fil d’un tour de force des plus respectables. Son personnage n’a rien d’aimable et encore moins d’attachant. Et pourtant, sa lutte intérieure transparaît de façon éclatante à l’image. Dans ce contexte, la volonté manifeste de la part du scénario de ne pas trop délimiter les traits du personnage doit s’avérer bénéfique. Tout juste indique-t-il quelques repères, exigeants du côté du gymnase, plus abstraits lorsqu’il s’agit de définir la douce variation des relations sentimentales et sexuelles qu’elle entretient à tour de rôle avec ses compagnons. Ce qui ne veut pas dire que Melanie Waelde a conçu son premier long-métrage selon le principe éprouvé du récit d’éducation sentimentale, rendu bien glauque par la mentalité nihiliste que l’on attribue trop facilement à la jeunesse contemporaine. L’analyse sociale est infiniment plus fine ici, aussi parce que l’absence d’attaches rassurantes sous forme de parents réellement impliqués dans la vie de leur progéniture oblige les personnages d’improviser un minimum au cours des derniers jours de leur adolescence. Le fruit surprenant de cette curieuse divagation cinématographique sous tension est une cohérence de ton exceptionnelle. Car à aucun moment, le propos du film ne cherche à trahir les troubles contradictoires de ses personnages. Ces derniers ne sont par ailleurs nullement engoncés dans une trame narrative, au bout de laquelle les jeunes devraient avoir expié leurs fautes pubères, afin de pouvoir accéder à l’âge adulte avec une sagesse désabusée.

© Czar Film / Media Luna New Films Tous droits réservés

Conclusion

Même si notre emploi du temps berlinois ne devrait plus mettre une œuvre sélectionnée à Encounters devant nos yeux d’ici la fin de notre séjour, Nackte Tiere défend avec conviction l’exigence de cette nouvelle section du festival, à savoir de soutenir des travaux filmiques ambitieux d’un point de vue esthétique et structurel. En effet, pour son premier film, la réalisatrice Melanie Waelde ne s’est pas rendue la tâche facile avec cette histoire aux nombreux éléments potentiellement déroutants. Qu’elle ait néanmoins réussi à en faire une expérience aussi ambiguë que le format ni large, ni carré adopté pour le cadrage, elle le doit simultanément à la qualité impressionnante de l’interprétation de Marie Tragousti et à sa propre assurance en termes de narration au flux détendu, quoique jamais tributaire d’une complaisance voyeuriste.

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