Almanya

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Almanya

AlmanyaAlmanya

Allemagne : 2011
Titre original : Almanya – Willkommen in Deutschland
Réalisateur : Yasemin et Nesrin Samdereli
Scénario : Yasemin et Nesrin Samdereli
Acteurs : Aylin Tezel, Vedat Erincin, Lilay Huser, Rafael Koussouris
Distribution : Eurozoom
Durée : 1h 41min
Genre : Comédie
Date de sortie : 30 mai 2012

Globale : [rating:2.5][five-star-rating]

L’immigration turque en Europe, chronologiquement réputée dernière vague en ce sens des « Trente Glorieuses », s’est portée massivement sur la RFA, essentiellement pour des raisons d’opportunité, dont la principale est la coopération du patronat ouest-allemand avec les Chambres de métiers locales – envisagée d’abord en vue d’investissements du premier grâce aux secondes en Turquie, elle va rapidement s’orienter vers le transfert de main d’œuvre, et un flux de « Gastarbeiter » (« travailleurs-hôtes ») s’organise donc vers la RFA. En France l’immigration turque ne sera que résiduelle – la RFA, avec un meilleur niveau de rémunération et la cote élevée du mark, était nettement plus attractive que l’Hexagone (les immigrés turcs en Allemagne de l’Ouest deviennent les « seigneurs d’Allemagne », quand ils reviennent en vacances au pays en voiture, avec tout un échantillonnage de produits manufacturés et denrées diverses inaccessibles pour leurs concitoyens, et sont ainsi les meilleurs « lobbyistes » pour un départ vers l’Eldorado occidental – les seuls déshérités d’origine, à l’image des « Yilmaz » du film, sont rejoints par des jeunes ménages qui ont du travail en Turquie, mais aspirent à mieux ailleurs). L’Allemagne compte aujourd’hui 1,7 millions de personnes d’origine turque. Les deux sœurs Samdereli, Yasmine et Nesrin, en font partie, qui ont écrit ensemble « Almanya », réalisé par la seule Yasmine (premier « long » pour la jeune femme, après un « court » remarqué, « Kismet » en 1999, et quelques contributions télévisuelles).

Synopsis : Hüseyin Yilmaz est parti de Turquie pour la RFA en 1964 afin d’assurer une meilleure vie à sa famille restée au pays. Cependant il apprend lors de sa première visite aux siens (quelques années plus tard seulement) que Veli son fils aîné fait l’école buissonnière – l’autorité du père doit lui faire cruellement défaut. Hüseyin obtient une mesure de regroupement familial, et fait donc venir en RFA femme et enfants. Ils vont y faire leur vie –naît même un quatrième enfant, le seul techniquement Allemand. 45 ans ont passé et certains événements se précipitent : Hüseyin et son épouse Fatma viennent d’être naturalisés (avec enthousiasme pour Fatma et réticence pour son mari) et l’ancien Turc vient d’être convié à une cérémonie d’hommage aux immigrés en présence de la chancelière d’une Allemagne (« Almanya » en langue turque) réunifiée depuis 1990 (il devra y prononcer un discours en qualité de 1.000.001ème immigrant de la grande vague des années 60 – le 1.000.000ème, un nommé Rodriguez, présenté en images d’archives au début du film, n’étant plus disponible, suppose-t-on), Veli est au bord du divorce, Muhamed (le puîné) a déjà divorcé et est au chômage, Canan, la fille étudiante de Leyla (seule fille elle-même des quatre enfants Yilmaz) vient de découvrir qu’elle était enceinte (de David, son compagnon anglais) et Cenk (seul enfant d’Ali l’ «Allemand » et de Gabi, Allemande de souche avec les cheveux blonds et yeux bleus attendus) est en pleine crise d’identité – le petit garçon de 6 ans ne peut intégrer à l’école aucun des camps lors des matchs de foot organisés entre « Allemands » et « Turcs », les premiers le renvoyant aux seconds, et réciproquement. C’est le moment que choisit le patriarche pour un retour groupé en Turquie : il a en effet acheté une maison dans le village d’Anatolie dont Fatma et lui sont originaires, il sait qu’elle est à restaurer et espère qu’enfants (et/ou petits-enfants) sauront (re)trouver leurs racines et participer à des travaux fédérateurs. Mais le destin est en chemin….

 Almanya

Le meilleur….

Chaque cinéaste est bien sûr entier maître de l’éclairage qu’il veut donner à son propos (plus encore quand il est autant à l’écriture qu’à la réalisation). Yasmine Samdereli (secondée au scénario par sa sœur Nesrin) a choisi de parler immigration sous forme de « saga » familiale (nourrie à l’évidence de souvenirs personnels), et elle a opté pour un ton léger, multipliant les anecdotes cocasses, alors que le fond de l’histoire pouvait très facilement tirer la geste (l’ «épopée» Yilmaz) vers le tragique (et le risque périphérique redoutable du larmoyant). On doit la remercier de cette volonté d’informer (problème grave que celui de l’immigration, avec son corollaire d’identité malmenée pour les populations concernées – y compris, voire surtout, pour les 2èmes, 3èmes générations et plus) tout en évitant les discours pontifiants. Au crédit d’ «Almanya », on portera ainsi quelques passages piquants (souvent oniriques), comme le rêve d’Hüseyin (Vedat Erincin) à la veille de sa naturalisation avec sa synthèse saisissante et plaisamment caricaturale sur les « valeurs » allemandes, ou le cauchemar du Muhamed de 5 ans présentant un redoutable Christ en croix.

La meilleure idée des scénaristes est ce que l’on pourrait appeler l’ «effet Babel ». Petit rappel : après le Déluge, les premiers hommes entreprennent de construire une tour d’une hauteur exceptionnelle, avec l’ambition d’atteindre les nuages, et donc le royaume de Dieu. Ce projet orgueilleux est arrêté brutalement par l’Eternel, qui les empêche d’aller plus loin en rendant pluriel leur langage jusque-là commun (« Babel » est proche de l’hébreu signifiant « brouiller ») – ne se comprenant plus, ils doivent se séparer et se dispersent sur toute la surface terrestre (naissance des langues et des nations). Un des axes narratifs principaux d’ « Almanya » est le récit (en trois épisodes) que fait Canan (Aylin Tezel), la fille de Layla (Şiir Eloğlu) à son jeune cousin Cenk (Rafael Koussouris), le fils d’Ali (Denis Moschitto). Moderne Shéhérazade, elle lui retrace l’histoire récente des Yilmaz, depuis l’« enlèvement » de Fatma (Lilay Huser) par Hüseyin, jusqu’à l’arrivée et la vie en Allemagne de la famille déracinée, lui en détaillant les épisodes les plus significatifs. L’enfant, qui se dit uniquement « allemand » (sa mère, Gabi – Petra Schmitdt-Schaller – est une native « d’origine » et Ali son père est le seul de la fratrie de quatre à être né en RFA) n’est jamais encore allé en Turquie (les Yilmaz ayant cessé d’y aller depuis longtemps, même pour de courtes vacances) et affirme ne pas comprendre le turc (dont il s’avérera pourtant lors du voyage en Anatolie qu’il possède certains rudiments). Canan fait alors s’exprimer tous les Yilmaz en allemand quel que soit le temps du récit, comme Hüseyin jeune (Fahri Ogün Yardim) et Fatma jeune (Demet Gül), lors même qu’ils sont encore à Istamboul (le couple ayant quitté son village natal pour la mégalopole après le « rapt »), et fait parler les « autres », tous ceux qui ne sont pas les proches de Cenk, dans un sabir de fantaisie, c’est-à-dire en fait les Allemands ! Cette variation sur le langage a évidemment tout de la métaphore sur l’identité et au-delà sur l’incompréhension « babelisante » entre les peuples. On notera que si Babel est de l’héritage commun judéo-chrétien (Torah et Ancien Testament), certains passages du Coran semblent bien faire état de quelque chose de similaire, et cette confusion des langages, à fort effet d’image et de symbole, peut être reprise et exploitée sans vraie surprise par des auteurs de confession musulmane comme les sœurs Samdereli.

 Almanya

. et le moins bon !

Le titre original complet du film est « Almanya – Willkommen in Deutschland », cette quasi apostille du « Bienvenue en Allemagne » résonnant automatiquement en direction du succès (phénomène autant qu’immérité) du film de Dany Boon. Les distributeurs français ont préféré gommer cette association, en ne retenant que « Almanya » et ses implications plus nouvelles de « brouillage » envisagées au-dessus. Pourtant (malheureusement) le climat général et nombre d’épisodes sont nettement dans la mouvance « Chtis » (facile de remplacer l’ « émigration » Nord/Sud, par celle Est/Ouest, même si l’amplitude géographique est d’une autre dimension ; et les préventions xénophobes des voisines de Fatma alors sur le départ pour la RFA rappellent les préventions et autres réductions caricaturales serinés à Kad Merad à la veille de son « exil », tout comme la découverte des us et coutumes allemands est en écho des étrangetés nordistes). Inévitable ? Sur le fond sans doute, mais les procédés d’ « Almanya » ont la même facilité gênante à cet égard que les « Chtis », ruinant pour partie la trouvaille « babelisante ».

Autre bémol : le « road movie » vers l’Anatolie est compliqué d’un épisode macabre appelant un peu trop un parallèle avec un autre succès récent (plus modeste, et en version « indé »), celui du pétillant « Little Miss Sunshine »….. Si l’on conjugue ces « hommages » sclérosants avec une approche trop idéale (ces Turcs sont finalement parfaitement intégrés, même si vaguement en quête de repères et de racines ; le seul qui restera en Anatolie sera Muhamed, que rien ne retient plus en Allemagne, puisqu’il n’y a plus ni épouse ni travail, et peut donc envisager de reconstruire la maison achetée sur photo par Hüseyin, laquelle est réduite à une simple façade, ouvrant sur un superbe paysage de début du monde, symbole assez réussi de tous les possibles), on a souvent l’impression que les « problèmes » ne sont pas l’essentiel du film, comme on pourrait s’y attendre eu égard aux enjeux importants en cause, mais tout au plus prétexte à une chronique souriante autant que superficielle. Tout en respectant la tonalité optimiste voulue, Yasmine et Nasrin Samdereli auraient pu plus innover dans le fond (d’autant qu’il leur aura fallu plus de sept ans pour mettre la touche finale au scénario, et que la réflexion paraît bien courte, surtout pour être influencée au passage dans le sens rappelé plus haut !). Une courte scène dans le métro mise à part, les préjugés réciproques entre Allemands et immigrés sont à peine effleurés, et la famille Yilmaz, si emblématique de la réussite matérielle des « seigneurs d’Allemagne » (voiture, appartement, produits divers de la société de consommation, épargne etc.), est sans doute trop « réussie » sur le plan sociétal (mariage d’Ali avec une non-musulmane au beau fixe côté beaux-parents, grossesse illégitime de Canan avec un non-musulman qui « passe » elle aussi, par exemple). Beaucoup (trop) d’angélisme, et un film aux allures de sucrerie orientale et de tableau pompier (académique), avec un (presque) final édifiant (Cenk ânonnant le discours de son défunt grand-père en ses lieu et place devant Angela Merkel ) : un peu trop lisse que tout cela, décidément.

Résumé

Vouloir parler de manière apaisée et fédératrice de l’immigration est louable : ne pas perdre ses racines (culture, identité), tout en ayant le sentiment d’appartenir à une nouvelle communauté…. Ce beau projet, après une projection « Hors compétition » à la Berlinale de février dernier, a été récompensé par deux Prix du cinéma allemand (« Deutscher Filmpreis) en avril 2012 (la « Lola » du meilleur Scénario, et la « Lola » d’argent), un très bon box-office ayant d’ailleurs précédé cette reconnaissance officielle. Force est pourtant de constater que les moyens cinématographiques mis en œuvre dans cet « Almanya » déçoivent, remettant le chef-d’œuvre annoncé (du genre ample fresque tragi-comique) à la place plus modeste d’oeuvrette gentille, pavée de bonnes intentions et plus ripolinée qu’éclatante.

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