Madeleine Collins
France, Belgique, Suisse, 2020
Titre original : –
Réalisateur : Antoine Barraud
Scénario : Antoine Barraud et Héléna Klotz
Acteurs : Virginie Efira, Quim Gutierrez, Bruno Solomone et Jacqueline Bisset
Distributeurs : Paname Distribution / Ufo Distribution
Genre : Thriller
Durée : 1h46
Date de sortie : 22 décembre 2021
2,5/5
Instaurer d’entrée de jeu le trouble ou la confusion, tels sont à la fois l’enjeu et le risque de chaque thriller qui vise à tenir le spectateur en haleine du début jusqu’à la fin. Dans le cas de Madeleine Collins, présenté en avant-première au Festival d’Albi, le démarrage de l’intrigue s’effectue plutôt laborieusement. Il faudra du temps avant d’assembler les pièces du puzzle narratif, susceptible de conférer un sens à ce prologue d’une banalité affectée. Or, à ce moment-là, notre intérêt pour le personnage principal, une femme mystérieuse aux deux identités soigneusement compartimentées, a déjà suffisamment baissé pour ne pas nous faire crier à l’ingéniosité scénaristique face à cette révélation tardive. En effet, la mise en scène de Antoine Barraud reste trop longtemps dans la mollesse et le flou pour justifier cet ultime sursaut d’action, précédé d’une intrigue au contraire bien trop sage à notre goût.
Nos réserves ne sont pas nécessairement à mettre sur le compte de Virginie Efira, l’actrice du moment qu’on a l’impression de voir dans un film par semaine ces derniers temps. Après être passée récemment chez Paul Verhoeven et Guillaume Canet, elle se démène comme elle peut ici avec un rôle à la fragilité psychologique guère explorée. Est-elle une mangeuse d’hommes, une manipulatrice machiavélique ou bien une psychopathe ? Toutes les hypothèses sont sur la table, avant que le récit ne se décide en faveur de l’option la plus bancale.
Autour d’elle, les autres personnages servent principalement à décorer cet univers feutré et pourtant gangrené par le mensonge. Tandis que les hommes remplissent tant bien que mal l’emploi de l’amant séducteur pour Quim Gutierrez et celui du mari aux reins sociaux solides pour Bruno Solomone, les femmes doivent se contenter de faire à peine plus que de la figuration. Ce qui est tout de même dommage pour des actrices aussi talentueuses que Jacqueline Bisset et Valérie Donzelli ! Une seule exception existe pourtant à cette impression de gâchis regrettable : le choix étonnant du réalisateur Nadav Lapid dans la peau d’un homme totalement en dehors de la zone de confort du personnage principal, quoique le seul à comprendre réellement cette femme tourmentée.
Synopsis : Belle et indépendante, Judith mène une double vie entre la Suisse et la France. Du côté helvétique, elle élève pendant quelques jours par semaine une petite fille avec son amant Abdel. Et du côté français, elle est l’épouse exemplaire du chef d’orchestre Melvil et la mère de deux fils adolescents. Son travail de traductrice lui permet de naviguer librement entre ces deux mondes, prétextant un déplacement professionnel à l’étranger quand il est temps de passer de l’un à l’autre. Comment en est-elle arrivée là et, surtout, combien de temps saura-t-elle encore sauver les apparences ?
La double vie de Judith
Le trouble de l’identité est l’une des figures incontournables du thriller. De cet enjeu dramatique, le genre a pu tirer le meilleur, notamment dans les films de Alfred Hitchcock, et le pire, lorsque le délire du protagoniste contamine irrémédiablement la forme du film dans son ensemble. Madeleine Collins se situe quelque part à mi-chemin entre ces deux extrêmes en termes de qualité. Notre frustration à son égard résulte même de sa fâcheuse tendance à contourner toute prise de risque. Ainsi, une fois la mise en place de la prémisse terminée, le récit se contente d’accompagner Judith dans son va-et-vient presque routinier entre ses deux cadres de vie. Des univers parallèles dont les contradictions et les points de friction demeurent dans le flou pendant un temps interminable.
Et même lorsque le spectateur a toutes les clés en main afin de comprendre le pourquoi du comment de cette situation intenable, il ne s’en dégage aucune satisfaction profonde, ni regain de tension narrative. Judith a alors beau perdre pied dans ce labyrinthe d’attaches sentimentales et familiales, elle reste aussi énigmatique qu’auparavant. C’est que son sort ne nous engage déjà plus, à l’image de ces films d’horreur, fort ingénieux pour créer un cadre angoissant, puis complètement démunis quand il s’agit de résoudre l’intrigue. Sauf que le troisième long-métrage de Antoine Barraud, six ans après Le Dos rouge et huit après Les Gouffres, peine d’emblée à cultiver une ambiance réellement suffocante.
Chutes de tension
Quitte à nous répéter, le bât blesse en fait dès cette première séquence, révélatrice autant de quelques pistes de rapprochement empruntées par la suite sans trop d’ingéniosité dramatique que de la vigueur perfectible de la mise en scène. Cette dernière ménage le suspense hors cadre avec une insistance qui a de quoi nous laisser perplexe. Surtout parce que l’action visible est des plus banales, avec cette flânerie dans un magasin de vêtements à la décoration étrangement vieillotte, peuplé de vendeuses au discours commercial presque agaçant. Si le but de cette mise en bouche filmique était de nous préparer à toutes sortes de tergiversations et de demi-vérités par la suite, elle aurait au moins le mérite d’être conforme à la facture globale de Madeleine Collins.
Car il s’agit d’un film en panne d’un centre de gravité. Rien d’anormal à cela, nous diriez-vous, puisque le personnage principal lui-même flotte entre deux mondes qui ont l’air d’ignorer tout l’un de l’autre. Il n’empêche qu’on aurait bien aimé y voir une prise en main plus ferme de la part du réalisateur, afin de rendre plus palpitante cette quête déboussolée d’un peu de quiétude familiale. Sans vouloir trop vous révéler des tenants et des aboutissants de l’histoire, c’est à cela qu’elle se résume en fin de compte, ce qui n’est pas vraiment beaucoup, au vu de l’orchestration poussive de ses éléments assez divergents.
Conclusion
On exagérerait grandement en affirmant que l’intrigue de Madeleine Collins nous a fascinés du début jusqu’à la fin. Au contraire, le film de Antoine Barraud – servi tant bien que mal par une distribution pas toujours utilisée à bon escient – traverse plusieurs passages mous avant de permettre à son protagoniste d’enfin lâcher du lest et devenir une femme réellement libre. A notre humble avis, c’est trop peu, trop tard pour rendre ce film sincèrement engageant. Pourtant, il y aurait eu de quoi faire à partir de la mise en place de cette double vie à la respectabilité trompeuse, aux accents suisses aussi discrets que bien sentis.