Critique : Paterson

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Paterson

Etats-Unis, 2016
Titre original : Paterson
Réalisateur : Jim Jarmusch
Scénario : Jim Jarmusch
Acteurs : Adam Driver, Golshifteh Farahani, Masatoshi Nagase
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h58
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 21 décembre 2016

Note : 3/5

Le cinéma de Jim Jarmusch oscille entre deux univers, certes pas mutuellement exclusifs, quoique engageants à des niveaux différents. Sur un ton sans exception très détendu et cool, une sorte de contemplation zen pleine de sagesse, le réalisateur a pour habitude soit de s’improviser en artiste du néant, soit de soumettre souverainement des genres normalement plus actifs à son sens aigu de l’observation tranquille. Nous sommes nettement plus réceptifs à la deuxième option, qui nous a enthousiasmés dans le passé, grâce à des œuvres sublimes comme Ghost Dog La Voie du samouraï et The Limits of control. Son nouveau film Paterson, présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, appartient par contre au groupe d’histoires très minimalistes, dont le charme indéniable se situe dans de petits détails, à la fois mignons et complètement dérisoires. Rien ou presque ne se passe en effet au fil du quotidien minutieusement routinier d’un conducteur de bus dans une petite ville provinciale, passionné de poésie et pourtant réduit à une existence très banale, dont les éclats créatifs authentiques sont largement absents. La mise en scène de Jim Jarmusch confère certes une noblesse cinématographique toute relative au portrait de ce plouc intellectuel, mais dans l’ensemble, le film ne tente à aucun moment de dépasser les limites modestes qu’il s’est fixées.

Synopsis : Paterson travaille comme conducteur de bus dans une petite ville du New Jersey, qui porte le même nom que lui. Tous les matins, il se lève pratiquement à la même heure, prépare son petit-déjeuner, va à pied jusqu’au dépôt de bus et commence son service après avoir écrit quelques vers dans son cahier secret de poésie. Le soir, il admire les nouvelles créations culinaires et les décorations inventives de sa femme Laura, avant de finir sa journée devant une bière dans le pub local, sur la route de la promenade de son chien Marvin.

L’identité heureuse de l’Amérique

Au début de Paterson, on pense encore pouvoir échapper à la monotonie, qui a gagné depuis longtemps le protagoniste. Nous découvrons petit à petit les étapes successives de son rythme de vie inébranlable, par le biais d’un processus d’élimination systématique des éventuelles zones d’ombre, sources asséchées sans merci de quelque mystère que ce soit. S’agit-il d’un rêve éveillé ? Sommes-nous dans un monde parallèle, préservé de la révolution numérique ? Ou bien, l’indifférence apparente de Paterson va-t-elle être anéantie par une bifurcation à laquelle on ne s’attend plus, après que lundi, mardi et mercredi se sont déroulés pratiquement à l’identique ? Comme à son habitude, la mise en scène de Jim Jarmusch ne nous réserve aucune surprise tonitruante. Car même les événements minuscules, susceptibles de faire dérailler le train-train quotidien qui avance pourtant à une vitesse risible, sont amenés avec un tel calme que leur intensité se perd dans le flux de paroles plus ou moins inspirées. Le personnage principal semble entièrement satisfait de son cadre de vie modeste, ainsi que de son petit jardin secret d’écriture poétique. A cause de cet immobilisme assumé, il devient un piètre centre d’intérêt pour un récit, qui cultive l’art du surplace, plutôt que de se lancer dans la quête d’une quelconque évolution de l’univers régulier qu’il décrit sans états d’âme.

Poésie du quotidien

A condition d’affectionner la variation infime dans la répétition, il y a néanmoins de quoi se laisser enchanter par ce film doucement hypnotisant. La belle photo de Frederick Elmes et le jeu des acteurs principaux, Adam Driver et Golshifteh Farahani, très crédibles dans leur emploi d’un couple hors du temps et hors des contraintes réelles de la vie d’adulte, participent à la sensation pas déplaisante d’un dépaysement vers l’univers personnel de Jim Jarmusch. Ici, l’aspiration à la beauté, aussi ridicule soit-elle, prime sur les manifestations les plus contemporaines de la méchanceté, volontairement évacuée du cadre. Même les méfaits pas si anecdotiques que cela du vilain bouledogue ne peuvent ainsi durablement troubler la sérénité de Paterson, qui glisse au pire vers une mélancolie passagère. Ni rage, ni fureur donc dans ce film qui interprète le folklore de l’Amérique profonde avec un détachement certain. Autant d’impassibilité court souvent le risque de susciter l’ennui, voire l’agacement. Depuis ses débuts, il y a un quart de siècle, le réalisateur a toutefois su perfectionner son style si apaisant, qui opère une fois de plus dans le film présent, un joli conte qui se distingue par l’étude sans préjugés d’un quotidien lénifiant.

Conclusion

Si vous avez un jour aimé un film de Jim Jarmusch, il y a de fortes chances que vous aimeriez également tous les autres ! En effet, la filmographie du réalisateur brille par une incroyable cohérence dans la forme et le fond, à laquelle il est en même temps compréhensible de rester hermétiquement fermé. En tout cas, Paterson y ajoute un élément honorable, dont la vocation n’a jamais été de provoquer un enthousiasme débordant, mais qui sait séduire par son charme quelque peu désuet.

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