Critique : Inside Llewyn Davis (Contre)

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inside afficheInside Llewyn Davis

Etats-Unis : 2013
Titre original : Inside Llewyn Davis
Réalisateur : Ethan Coen, Joel Coen
Scénario : Ethan Coen, Joel Coen
Acteurs : Oscar Isaac, Carey Mulligan, Justin Timberlake
Distribution : StudioCanal
Durée : 1 h 45
Genre : Drame
Date de sortie : 6 novembre 2013

Globale : [rating:1.5][five-star-rating]

Il y a 13 ans, les frères Coen nous avaient régalés avec O’Brother, une comédie jubilatoire dans laquelle la musique jouait un rôle important. Cette musique, c’était un mélange de bluegrass et de « old-time music », des genres typiquement américains qui, même dans leur pays d’origine, ne jouissaient plus d’une grande popularité au moment de la sortie du film. Aux Etats-Unis, la bande originale du film s’est vendue à 8 millions d’exemplaires et a fortement contribué à relancer la pratique et l’écoute de ces musiques. Avec Inside Llewyn Davis, c’est au tour de la musique folk, celle qui se pratiquait à Greenwich Village à la fin des années 50 et au début des années 60, de bénéficier d’un coup de projecteur de la part des frères Coen.

Synopsis : Inside Llewyn Davis raconte une semaine de la vie d’un jeune chanteur de folk dans l’univers musical de Greenwich Village en 1961. Llewyn Davis est à la croisée des chemins. Alors qu’un hiver rigoureux sévit sur New York, le jeune homme, sa guitare à la main, lutte pour gagner sa vie comme musicien et affronte des obstacles qui semblent insurmontables, à commencer par ceux qu’il se crée lui-même. Il ne survit que grâce à l’aide que lui apportent des amis ou des inconnus, en acceptant n’importe quel petit boulot. Des cafés du Village à un club désert de Chicago, ses mésaventures le conduisent jusqu’à une audition pour le géant de la musique Bud Grossman, avant de retourner là d’où il vient.

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Un loser attachant

C’est à New-York, dans le quartier de Greenwich Village du tout début des années 60, que nous entraîne les frères Coen. A cette époque, dans ce quartier, la vie des musiciens pratiquant la musique folk tourne autour de quelques salles dans lesquelles ils peuvent se produire régulièrement, les plus réputées étant le Gaslight Cafe et le Gerde’s Folk City. Llewyn Davis est un de ces musiciens, il squatte régulièrement les appartements de ses amis, qu’ils soient eux-même musiciens ou couple très aisé amateur de folk. Bien qu’ayant eu la chance de se faire enregistrer sur un petit label, Llewyn Davis est plutôt du genre « loser », et même s’il entreprend un voyage jusqu’à Chicago pour essayer de se faire engager par un manager réputé, il ne fait pas grand chose pour abandonner ce statut. Certes, Llewyn est un être attachant, mais il est surtout ronchonneur, têtu et négligeant. Cette forme d’irresponsabilité va même jusqu’à laisser s’échapper un chat qu’on lui avait confié en même temps qu’un appartement. A ses côtés sur les petites scènes de Greenwich Village, d’autres musiciens commencent à se faire un nom. C’est ainsi que si seuls les amateurs de folk reconnaîtront assez facilement Tom Paxton dans le personnage de Troy Nelson, ce sera le cas de tous les spectateurs s’agissant de Bob Dylan lorsqu’il apparaît, interprété par Benjamin Pike,à la toute fin du film. Le film le laisse deviner : d’ici peu, il sera une grande vedette internationale.

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Une histoire prise par le petit bout de la lorgnette

On peut se demander pourquoi les frères Coen ont tenu à faire savoir que Inside Llewyn Davis avait été inspiré par « The Mayor of MacDougal Street », l’autobiographie écrite par le chanteur de folk Dave Van Ronk. Résultat quasiment surréaliste : ce film arrive à être présenté, tout au moins dans notre pays, comme étant un biopic dans lequel Llewyn Davis seraitDave Van Ronk. Pourtant, quiconque a lu ce livre sera surpris de ne trouver qu’un nombre très limité de points communs entre Llewyn et Dave, entre ce que racontent le film d’un côté et le livre de l’autre. Alors que le livre couvre avec une grande richesse la majeure partie de la vie d’un homme mort à près de 66 ans, le film se contente d’aborder par le petit bout de la lorgnette la vie d’un chanteur de folk quelconque sur une durée d’une année située entre janvier 1960 (ouverture de Gerde’s Folk City) et janvier 1961 (arrivée de Bob Dylan à New-York). En aucun cas, Llewyn ne peut être Dave : voix rocailleuse de Dave, voix plutôt douce de Llewyn, grand et gros gabarit physique de Dave, gabarit moyen de Llewyn, répertoire majoritairement blues chez Dave, répertoire le plus souvent proche du folk gaélique chez Llewyn. On n’en finirait pas de lister les différences entre Llewyn et Dave, la plus importante peut-être étant que Llewyn nous est montré comme étant un véritable SDF, un célibataire perpétuellement hébergé par des amis alors qu’au début des années 60, Dave Van Ronk était marié et il était un des seuls, parmi ses collègues musiciens, à habiter son propre appartement. En fait, tout cela ne serait pas bien grave si, au moins, le film couvrait, ne serait-ce qu’un petit peu, les deux volets les plus importants du livre de Dave Van Ronk : d’un côté, l’importance de la politique dans ce milieu folk new-yorkais, une politique toujours orientée à gauche, voire à l’extrême gauche, avec les querelles habituelles que connaissent les groupuscules de cette partie de l’échiquier politique ; de l’autre, d’autres querelles, tout aussi importantes, celles concernant le monde musical en général et le monde du folk en particulier, avec le mépris des traditionalistes purs et durs envers les interprètes un peu plus « commerciaux ». Malheureusement, rien de tout ça n’apparaît dans le film à l’exception d’un échange verbal : lors d’un voyage en voiture vers Chicago, un jazzman interroge Llewyn Davis  : « Qu’est-ce que tu joues ? », « du folk », « Ah bon, je te croyais musicien ! ». Le bilan est maigre ! On regrettera donc que le film se contente d’historiettes sentimentales, de la recherche d’un chat qui s’est échappé d’un appartement, d’un voyage en voiture vers Chicago et des difficultés que l’on rencontre pour se faire héberger lorsqu’on n’a pas de domicile personnel. Il faut dire que le choix, certes très sympathique, de donner in extenso les interprétations des nombreuses chansons dont le film nous gratifie, ne laisse que peu de temps pour raconter une histoire. Reconnaissons par contre le plaisir qu’on a eu à entendre en entier, grâce à ce parti pris, une très belle interprétation de « The Last Thing On My Mind », une des chansons les plus connues de Tom Paxton, ainsi que « Five Hundred Miles » (« J’entends siffler le train »!) par un trio qui ressemble beaucoup à Peter, Paul and Mary.

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Une œuvre mineure des frères Coen

Si toutes celles et tous ceux qui espéraient se voir présenter une peinture honnête et la plus exhaustive possible de ce qu’était ce petit monde de la musique folk à New-York au début des années 60 peuvent légitimement être déçus, ne verront ils que du négatif dans le film des frères Coen ? Admettons donc qu’ils pardonnent aux réalisateurs d’avoir gâché une occasion de nous montrer comment un style musical très confidentiel pouvait arriver en quelques années à révolutionner l’histoire de la musique populaire ! Après tout, Inside Llewyn Davis a obtenu le Grand Prix du Jury au dernier Festival de Cannes et rencontré pas mal de succès auprès des spectateurs de ce Festival ! En fait, si ce film est très contestable au niveau du fond, il n’est pas sans qualités. Il y a d’abord la qualité des images : elles sont dues au Directeur de la photographie, le français Bruno Delbonnel, le responsable des images dans Amélie Poulain. Il y a aussi tout ce qui concerne la partie musicale du film : comme dans O’Brother, c’est le grand producteur et musicien T-Bone Burnett qui en avait la responsabilité et, comme d’habitude, il délivre une copie parfaite. Bien aidé, il faut dire, par le fait que, dans ce film, comme dans Honky Tonk Man, Tender Mercies,  Walk The Line, Crazy Heart, etc ., les comédiens américains prouvent une fois de plus leur excellence lorsqu’ils s’attaquent aux répertoires country et folk : les chansons interprétées par Oscar Isaac qui joue Llewyn Davis ainsi que l’interprétation de The Last Thing On My Mind par Stark Sands (Troy Nelson / Tom Paxton) en sont des exemples particulièrement marquants. Toutefois, ces qualités évidentes ne font pas de ce film autre chose qu’une œuvre mineure des frères Coen et c’est probablement la faiblesse insigne de la sélection 2013 qui lui a permis d’obtenir le Grand Prix du Jury du Festival de Cannes 2013.

Résumé

Toutes celles et tous ceux pour qui il est suffisant de voir à l’écran  l’histoire somme toute assez banale d’un loser et d’entendre  l’interprétation de quelques belles chansons pourront trouver du plaisir à la vision de Inside Llewyn Davis. Par contre, celles et ceux qui veulent s’informer sérieusement sur la génèse de la vague folk du début des années 60 feront mieux de se diriger vers le livre de Dave Van Ronk (la traduction en français vient de sortir chez Robert Laffont sous le titre « Manhattan Folk Story ») ou vers les biographies de Dylan ou de Phil Ochs. Quant au cinéma, on espère beaucoup que The Songpoet, le documentaire consacré à Eric Andersen par Eric Lamont, aura une approche plus satisfaisante pour les amateurs de folk que Inside Llewyn Davis. En tout cas, il devrait couvrir une période beaucoup plus intéressante que celle de Inside Llewyn Davis, celle qui commence au moment où se termine le film des Coen, avec l’arrivée de Bob Dylan. Toutefois, il faudra attendre  2014 pour le voir !

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