Critique : Premier Contact

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Etats-Unis, 2016
Titre original : Arrival
Réalisateur : Denis Villeneuve
Scénario : Eric Heisserer, d’après la nouvelle «L’Histoire de ta vie» de Ted Chiang
Acteurs : Amy Adams, Jeremy Renner, Forest Whitaker
Distribution : Sony Pictures Releasing France
Durée : 1h56
Genre : Science-fiction
Date de sortie : 7 décembre 2016

4,5/5

Voir Denis Villeneuve, grand cinéaste contemporain pratiquant un cinéma totalement affranchi des diktats des gros studios, sachant allier somptuosité de la forme et faculté à interroger notre morale en confrontant ses personnages à des situations radicales, s’attaquer à la science fiction, avait forcément de quoi provoquer l’excitation des spectateurs en manque de spectacle intelligent. Dépeignant la fameuse arrivée sur Terre de vaisseaux extra-terrestres dont nul ne sait s’ils sont là avec des intentions pacifiques ou pour détruire l’espèce humaine, on peut dire qu’il investit un genre usé jusqu’à la corde, déjà riche d’œuvres définitives sur le sujet. On pense bien évidemment à l’ultime Rencontres du 3ème type, du moins dans un premier temps. Le Contact de Robert Zemeckis n’est également pas loin, avec cette linguiste chargée d’interpréter les paroles d’entités dont l’homme ne peut s’empêcher, fidèle à ses principes guerriers, de se méfier, et d’envisager leur anéantissement pur et simple. Mais au lieu de broder tranquillement sur des thèmes déjà maintes fois abordés par le cinéma de science fiction, Denis Villeneuve, fidèle à sa vision sans compromis du cinéma, décide d’étirer sur tout le film les ultimes minutes du chef d’œuvre de Spielberg. Ce qui peut laisser redouter un pensum verbeux et prétentieux sur le papier, se transforme, par l’intelligence hors normes du cinéaste et sa croyance infinie en le pouvoir du médium cinématographique, en œuvre d’art de grande ampleur, instantanément majeure.

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Synopsis : Lorsque de mystérieux vaisseaux venus du fond de l’espace surgissent un peu partout sur Terre, une équipe d’experts est rassemblée sous la direction de la linguiste Louise Banks afin de tenter de comprendre leurs intentions. Face à l’énigme que constituent leur présence et leurs messages mystérieux, les réactions dans le monde sont extrêmes et l’humanité se retrouve bientôt au bord d’une guerre absolue. Louise Banks et son équipe n’ont que très peu de temps pour trouver des réponses.

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Immergé dans un univers déchirant

Dès l’introduction, on retrouve le talent pur du cinéaste pour immerger le spectateur dans son univers, par la simple force de sa mise en scène, sans avoir recours au moindre dialogue. Sur le sublime « On the nature of Daylight » composé par Max Richter, nous voyons défiler pendant 5 minutes une vie en accéléré, avec ses bonheurs et ses tragédies, évoquant carrément les premières minutes en état de grâce de Là-haut des studios Pixar. La prestation bouleversante de Amy Adams qui, par la subtilité des expressions qu’elle arrive immédiatement à faire passer, rend cette introduction absolument déchirante, faisant presque monter les larmes, alors que le film vient à peine de commencer. On ne peut s’empêcher de repenser à l’ouverture de Incendies, qui réussissait également à déchirer les tripes par sa simple éloquence visuelle, et la parfaite utilisation de la musique. Lorsque l’on réussit à capter l’attention du spectateur en si peu de temps, l’essentiel du travail, du moins pour un cinéaste aussi doué que Denis Villeneuve, est accompli. Mais il ne faut pas voir dans cette affirmation quelque chose de péjoratif, le reste du métrage étant du même acabit.

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Avec une économie de moyens proprement stupéfiante, on se retrouve littéralement transporté dans l’univers dépeint. On n’est plus spectateur passif, et dès lors que l’on a été capté, plus rien n’existe autour de nous, il ne reste que les images, d’une pureté cristalline qui laisse quasiment extatique à chaque plan. On n’oubliera pas de sitôt la première vision du vaisseau vers lequel se dirigent les personnages, et à ce moment précis, on ne peut s’empêcher de repenser instinctivement au fameux Monolithe de 2001, grandeur nature. De l’extérieur, le design est déjà saisissant, de l’intérieur, l’architecture du vaisseau provoque un véritable vertige sensoriel, contaminant tout le reste du film. Bien évidemment, les adeptes des blockbusters bourrins remplis d’explosions, du type Roland Emmerich, seront priés de rester chez eux, ou d’aller voir autre chose. Car, comme d’habitude avec Villeneuve, il s’agit avant tout d’un drame humain, au plus près des émotions de ses personnages. On voit tout l’amour que le cinéaste porte sur ses comédiens, dont il tire le meilleur. Si Amy Adams livre une prestation au-delà des superlatifs qui la place d’ores et déjà en en sérieuse prétendante pour les Oscars, d’une fragilité qui brise le cœur, ses partenaires ne sont pas en reste, en particulier Jeremy Renner, plus habitué aux performances borderlines, ici dans un registre sensible qu’on ne lui connaissait guère, et dans lequel il excelle particulièrement.

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Intelligence de l’approche, humanisme foudroyant

Si le film s’en tenait uniquement à l’aspect science fictionnel basique, il serait déjà une grande réussite du genre, bien supérieure à ce qu’a pu nous livrer Christopher Nolan avec Interstellar. Mais le scénario va bien au-delà de cet aspect premier degré, et, comme dans les plus grands romans du genre (le film est d’ailleurs une adaptation de la nouvelle Story of your life de Ted Chiang), il s’agit avant tout d’une brillante analyse des ramifications géo politiques qu’un tel sujet engendre naturellement. Car qui dit vaisseaux extra terrestres débarquant un peu partout sur Terre, dit crainte d’une guerre mondiale. La peur de l’inconnu et l’impossibilité de l’homme à tenter un dialogue pacifique sont de parfaits vecteurs d’histoires fortes, tant elles résonnent en chacun de nous, particulièrement en ces temps troublés. Le film montre à quel point organiser des dialogues entre les différents leaders du monde, pour espérer trouver une solution autre que destructrice, peut être laborieux, les flashs infos ne faisant que troubler un peu plus les gens, les confortant dans l’idée que l’Autre est dangereux et que la seule solution est guerrière. Là encore, n’importe quel cinéaste aurait pu tomber dans l’exposé scolaire et didactique de sujets aux possibilités dramatiques pourtant infinies. Mais l’intelligence de l’approche, d’un humanisme foudroyant, a là encore de quoi laisser rêveur, tant les pièges sont tous évités avec une aisance qui force le respect. Comme Spielberg dans tant de ses films, Villeneuve livre un traité sur la paix qui, loin d’asséner son propos avec lourdeur, ne fait que véhiculer des valeurs, qui pourront être jugées de naïves par les éternels haineux, mais ne pourra que réconcilier les autres avec la nature humaine, encore capable d’un peu de compréhension mutuelle lorsqu’elle le veut.

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Un dernier acte éblouissant

Ce qui frappe également ici, c’est la fluidité du montage, tant les différentes strates du récit sont parfaitement agencées, ne créant jamais de confusion, captivant jusqu’à l’ultime seconde, malgré un montage éclaté comme les affectionne particulièrement le cinéaste. Le film n’est jamais prétentieux ou pompeux, malgré les considérations quasiment existentialistes du script inhabituellement dense de Eric Heisserer. Si l’on est si surpris par le déroulement de l’histoire, c’est justement parce que l’on ne s’attend pas à être ainsi bousculé dans nos certitudes. Le film ne cherche pas à nous manipuler en faisant apparaître à chaque scène le signal « attention film à twists «. C’est parce que l’on est totalement immergé dans le film, sans se poser de questions sur la signification de telle ou telle scène, que l’on se retrouve si surpris au final. Car, sans rien révéler, le film rabat totalement ses cartes lors d’un dernier acte proprement éblouissant modifiant totalement nos repères temporels, tout en restant limpide, au contraire là encore d’un Christopher Nolan qui se perdait totalement dans la conclusion de Interstellar, dans une bouillie pseudo métaphysique totalement indigeste. Même si les deux films avaient pour ambition de raconter la vie et l’Amour par le prisme de la science fiction, le côté très froid inhérent au cinéma Nolanien, est heureusement absent ici. Malgré sa très grande solennité, habitude du cinéaste considérée comme un défaut par ses détracteurs, et le score très sourd proche de celui de Sicario, accentuant la sensorialité de l’ensemble, le film reste totalement universel dans ses préoccupations, et chaque spectateur pourra à n’en pas douter se retrouver dans les dix dernières minutes capables de provoquer un profond bouleversement dont il est difficile de se remettre. Avec un lyrisme étincelant qui évoque carrément les meilleurs travaux de Terrence Malick, le cinéaste, jusque là surdoué provoquant des réactions viscérales sur le spectateur, tutoie en quelques minutes des hauteurs que peu d’autres, dans le cinéma actuel, hollywoodien ou d’ailleurs, pourront prétendre approcher.

A ce moment précis, il peut fièrement rejoindre Stanley Kubrick au Valhalla des cinéastes majeurs de l’histoire du cinéma. Cela faisait quelque temps que ça lui pendait au nez, cette fois c’est clair, cet homme a réalisé un chef d’œuvre qui fera date. Car s’il y a des films impressionnants par leur virtuosité formelle et l’excitation qu’ils produisent, il y en a d’autres qui évoquent tant de choses en chacun de nous, que l’on se dit qu’ils nous poursuivront pour encore longtemps. Nul doute que le dernier plan devrait ravager bien des cœurs, par sa beauté pure et totalement éloignée du cynisme ambiant.

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Conclusion

Croire encore en la profondeur des émotions humaines, que seuls des comédiens sont capables de transmettre, sans s’en remettre uniquement à la palette graphique, est déjà en soi une preuve de l’intelligence et de la sensibilité de ce grand metteur en scène dont on peut désormais tout espérer, tant il a atteint ici une sorte de perfection ayant franchement de quoi le placer en confiance absolue concernant le reste de sa carrière. Et il en faut une bonne dose pour s’attaquer à la suite de ce monument de la science fiction qu’est le Blade Runner de Ridley Scott. L’attente nous séparant de sa sortie, fin 2017, n’en est que plus insoutenable, mais nul doute qu’il saura encore nous surprendre. En attendant, si vous aimez la vie et le cinéma, ou tout simplement si vous considérez que le cinéma c’est la vie, précipitez vous dans les salles dès le 7 décembre pour vous prendre un véritable uppercut émotionnel.

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