Critique : L’Ornithologue

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lornithologue-afficheL’Ornithologue

Portugal, 2015
Titre original : O Ornitologo
Réalisateur : Joao Pedro Rodrigues
Scénario : Joao Pedro Rodrigues, Joao Rui Guerra da Matag
Acteurs : Paul Hamy, Joao Pedro Rodrigues, Xelo Ciago
Distribution : Epicentre Films
Durée : 1h57
Genre : Drame
Date de sortie : 30 novembre 2016

Note : 4/5

Le nouveau film de Joao Pedro Rodriguez, son 5ème long-métrage, sort le 30 novembre. C’est également aux alentours de cette période que le Centre Pompidou a pris l’initiative d’organiser une rétrospective consacrée au cinéaste portugais, du 25 novembre 2016 au 2 janvier 2017. Parallèlement à cette actualité cinématographique, les éditions de Pompidou profitent de cette aubaine afin d’éditer un ouvrage d’entretiens autour du cinéaste, par ailleurs le premier livre édité en France traitant de l’œuvre du metteur en scène lisboète. Actualité intense dont le principal intérêt est de mettre en lumière la sensibilité profondément singulière et originale de Joao Pedro Rodrigues. Son nouveau métrage, une transposition à la fois moderne et subversive du mythe de Saint-Antoine de Padoue, est d’une richesse ample et dense, une plongée dans un monde archaïque revisité à l’aune d’une vision contemporaine. À titre informatif, ne lisez pas ce qui suit si vous voulez profiter de ce film hors-norme, prenant des sentiers inattendus pour le spectateur. La vision de L’Ornithologue se déguste mieux lorsque l’on est vierge de toutes idées préconçues.

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Synopsis : Dans le dessein d’observer différentes espèces aviaires, un ornithologue, Fernando, prend la décision d’aller dans un parc naturel, isolé de tout. Alors qu’il remonte la rivière, celle-ci devient plus véhémente au fur et à mesure de son avancée. Maîtrisant dans un premier temps la situation, il ne peut empêcher le chavirement du kayak. Gisant dans une mare, inanimé, il est secouru par deux pélerins de Chine. Point de départ d’un voyage énigmatique.

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Portrait en creux d’un cinéaste ?

Le début du film ne laisse en rien présager de la suite, ô combien étrange et surréaliste. Au contraire, les premiers plans, semblables à un documentaire animalier, témoignent d’un certain réalisme propre à ce type de production. Surtout, ils démontrent un sens du cadre évident ainsi que l’appétence du réalisateur pour l’observation des volatiles. Un intérêt qui remonte à son adolescence. En effet, biologiste de formation, il s’était destiné à devenir ornithologue suite à ses études universitaires. La magnificence des images, alliées au son naturel environnant, confèrent à cette séquence liminaire un caractère hypnotique. Cependant, au sein de cet univers normé quelques notes étranges, discordantes, apparaissent par petites touches : dans un geste dialectique plein d’humilité, Rodrigues inverse le point de vue de la caméra. Ainsi, le spectateur se retrouve à épouser le point de vue des oiseaux. Manière de ridiculiser la vanité d’une partie des êtres humains, engoncés dans leurs certitudes de supériorité vis-à-vis de l’espèce animale. Par ailleurs, ce renversement subjectif, ou contrechamp, est présent dans certaines scènes tout au long du film. Dans ces cas-là, le spectateur attentif remarquera que Fernando revêt l’apparence de Joao Pedro Rodrigues, et non de Paul Hamy. Le film serait-il un portrait en creux du cinéaste portugais ? Pendant que le film s’enlise progressivement dans une étrangeté plus ostentatoire, la mise en scène devient elle-même plus baroque.

 

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Du documentaire au film de survie

Peu après son accident, Fernando est recueilli par deux voyageuses, deux chinoises bigotes désireuses de se rendre à Saint-Jacques de Compostelle. D’abord affables, elles vont finalement ligoter Fernando dans son sommeil afin qu’il ne s’échappe pas. Dans une posture christique explicite (vaguement SM aussi), Fernando implore ses geôlières de le libérer sur le champ. En vain… Du fait qu’il s’est proclamé athée, Fernando subit l’ire de ces deux personnes. Finalement, après maints efforts, Fernando parvient à dénouer ses liens pendant la nuit. Suite à ça, il erre au sein de la forêt dans l’espoir de trouver une issue. Alors que le début du film lorgnait vers le documentaire, le film bifurque sans crier gare vers un des pans du cinéma de genre : le cinéma de survie, le tout sans se départir d’un fantastique de bon aloi.

A cet égard, l’une des grandes qualités de L’Ornithologue est son aptitude à emmener l’histoire vers des contrées incertaines sans que le spectateur puisse présager de la suite des événements. Ainsi, peu après, il tombe sur une sorte de rituel effectué par quatre personnes, ces derniers étant affublées de costumes étranges, entre satanisme et religion païenne. Ensuite, au bord d’une rivière, il rencontre un jeune berger, nommé Jesus. D’abord méfiants l’un de l’autre, une sympathie réciproque va naître. De fil en aiguille, leurs corps vont se mélanger dans une étreinte passionnelle. Puis, le drame… Voyant que Jesus est en possession d’un de ses pulls, Fernando lui demande tout de go la provenance de celui-ci. Etant muet, il ne peut répondre. La tension monte, la bagarre éclate. Jesus sort son couteau, leur deux corps se roulent dans le sable. Finalement, Jesus meurt par inadvertance au milieu de la mêlée. Ici, Rodrigues retrouve le caractère primitif de certains films de Pasolini, une certaine innocence « antique » propre au metteur en scène du Decameron. Nudité des corps, honnêteté et innocence des sentiments. A l’image de Saint-Antoine qui, selon quelques textes apocryphes, eût rencontré Jesus au cours de des pérégrinations. Ici, Rodrigues revisite le mythe à travers un angle homo-érotique.

Ce sentiment de surprise est amplifié par le caractère antinomique d’une grande majorité de scènes : Fernando est, dans un premier temps, choyé par les deux chinoises avant d’être attaché vigoureusement. Fernando et Jesus font l’amour avant que la mort ne les sépare. Coexistence des contraires et aspect antithétique à la fois déstabilisant et grisant. Grisant car le spectateur est dans l’incapacité de deviner la suite. L’univers dépeint dans le film est un monde en constante évolution, irréductible au moindre immobilisme, à la moindre logique. Le film sort des ornières classiques du récit et épouse une narration faite de brusque chambardées, d’à-coups, de virages soudains…

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Un récit initiatique

L’Ornithologue est, finalement, un récit initiatique au cours duquel Fernando, personnage athée, devient Saint-Antoine dont on connaît pour ce dernier, via divers récits anciens, sa modestie, son progressisme, son refus du matérialisme, son éloquence… Afin d’incarner ce dernier, Rodrigues a opté pour l’acteur français Paul Hamy dont le corps musculeux et la beauté fragile confère à la figure de Saint-Antoine un aspect plus enviable, plus généreux aussi. Geste de transsubstantion cinétique audacieux de la part de Rodrigues. Au fur et à mesure du film, Fernando s’ôte progressivement tous les atours qui eussent pu le rappeler à son ancienne identité : il brûle ses empreintes digitales, jette son portable, seul élément qui l’attachait à l’extérieur… Acte suicidaire auquel cas le film pourrait être interprété comme un passage symbolique du passage de la vie à la mort. Ou, plus simplement, ne serait-ce que la mue d’une personne athée en un être ayant la foi. Une transition symbolique.

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Conclusion

Peu évident de résumer en quelques lignes la richesse de ce cinquième long-métrage de Joao Pedro Rodrigues. Il peut s’apprécier sur un plan métaphorique, mais aussi à un niveau strictement formel. A la fois documentaire animalier, long-métrage fantastique lorgnant parfois vers le genre plus trivial du cinéma de survie (« survival » pour les aficionados), récit initiatique et symbolique sur la foi, L’Ornithologue est à la fois tout cela et bien plus.

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