Critique : Frantz

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Frantz

Frantz afficheFrance, Allemagne : 2016
Titre original : –
Réalisateur : François Ozon
Scénario : François Ozon, Philippe Piazzo, d’après l’œuvre de Ernst Lubitsch
Acteurs : Pierre Niney, Paula Beer, Ernst Stötzner, Marie Gruber
Distribution : Mars Films
Durée : 1h54
Genre : Drame
Date de sortie : 7 septembre 2016


Note : 4.5/5

Réalisateur prolifique, François Ozon est également un réalisateur inégal, capable de toucher le fond, comme dans Swimming Pool, et d’enchanter les spectateurs, comme Dans la maison. Pour son 16ème long métrage en 18 ans, François Ozon s’est très librement inspiré de Broken Lullaby, un film américain de Ernst Lubitsch, lui-même adapté d’une pièce de dramaturge français Maurice Rostand. La réussite est totale, faisant de Frantz une œuvre majeure dans la filmographie de François Ozon, voire même, tout simplement, son meilleur film !

Synopsis : Au lendemain de la guerre 14-18, dans une petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France. Mais ce jour-là, un jeune Français, Adrien, est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette présence à la suite de la défaite allemande va provoquer des réactions passionnelles dans la ville.

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Pourquoi lit-on des critiques ?

Que recherche-t-on lorsqu’on lit ce que d’autres ont écrit sur un film ? En fait, il n’y a pas une réponse à cette question, mais plusieurs ! Déjà, cela dépend à quel moment se déroule cette lecture : avant ou après qu’on ait soi-même vu le film ? Si on lit des critiques avant d’avoir vu un film, c’est surtout pour essayer de deviner si les chances sont grandes ou, au contraire, très faibles qu’on puisse trouver, à titre personnel, un intérêt à aller le voir. Le synopsis du film, ainsi que les noms du réalisateur et des interprètes ont déjà fourni une première indication que l’avis des critiques va éventuellement confirmer ou infirmer. On notera à ce sujet qu’il peut s’avérer important d’avoir une certaine expérience de celle ou de celui dont on lit la critique, de façon à pouvoir la nuancer à l’aune de ses critiques précédentes. En tout cas, dans ce cas de figure, il y a une chose que l’on refuse : en apprendre trop sur l’histoire que raconte le film, l’arrivée de surprises inattendues faisant partie du plaisir qu’on peut prendre à la vision d’un film ! Lorsqu’on a déjà vu le film, ce qu’on attend d’une critique est fondamentalement différent : comme lorsqu’on sort d’une salle de cinéma et qu’on discute avec des amis sur le film qu’on a vu avec eux, on souhaite confronter son avis avec celui d’autres personnes, s’informer sur des éléments liés au film et qui vous intéressent et, parfois, chercher à mieux comprendre ce qui, en voyant le film, est resté obscur pour vous. Très souvent, les films se prêtent à l’écriture de critiques plus ou moins polyvalentes, qui répondent à peu près aussi bien à ce que recherchent celles et ceux qui n’ont pas encore vu le film qu’aux spectateurs qui viennent de le visionner. Mais il y a aussi des films qui ne se prêtent pas à cette « facilité » et Frantz en fait partie : pour le spectateur potentiel, en apprendre très peu sur ce film, c’est déjà trop, au point qu’il n’était même pas imaginable de donner le titre français du film de Ernst Lubitsch, identique à celui de la pièce de Maurice Rostand. Par conséquent : si vous n’avez pas encore vu Frantz, sachez que c’est un grand film de cinéma, qu’on ne peut que vous conseiller d’aller le voir, mais quittez aussitôt cette critique, quitte à y revenir lorsque vous aurez vu le film.

 

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Un film sur les mensonges

En principe, si vous lisez ces lignes, c’est que vous avez déjà vu le film. Inutile, par conséquent, de vous racontez l’histoire. Par contre, il est intéressant de revenir sur certaines scènes. Pour commencer, celles où Anna s’efforce de tirer les vers du nez d’Adrien sur la relation qu’il a entretenue avec Frantz. On sent que ces questions le mettent mal à l’aise et que, tout au moins au début, il se contente, après un certain temps, de répondre dans le sens de la question posée. En tant que spectateur, on sent que ce qu’il dit s’écarte de la vérité mais on a du mal à deviner cette vérité : on lui propose d’avoir été un ami de Frantz, mais, après tout, n’a-t-il pas été plus qu’un ami ? En fait, Frantz est, entre autre, un film sur le mensonge et, plus particulièrement, sur une forme particulière de mensonge : le mensonge bienveillant, celui qui cherche à éviter de faire du mal à ceux à qui il est destiné. Adrien ment jusqu’au moment où il n’en peut plus de le faire. Anna ment, parce qu’elle cherche à protéger ceux qui sont devenus ses parents et qui se sont attachés à Adrien au point de souhaiter le voir remplacer Frantz dans le cœur d’Anna. Adrien se ment à lui-même en cherchant à satisfaire une mère abusive en épousant Fanny alors que, de toute évidence, c’est Anna qu’il aime. Au final, le spectateur ressort du film en ayant un jugement favorable sur la plupart de ces mensonges, Anna et le couple Hoffmeister ayant réussi, grâce à eux, à retrouver goût à la vie. Seul, passe mal le mensonge qu’Adrien se fait à lui-même tellement on aurait souhaiter le voir continuer sa vie auprès d’Anna. Mais, aux côtés de l’ancienne fiancée de Frantz, aurait-il réussi à oublier, toute sa vie durant, l’horreur de l’événement qui l’avait conduit auprès d’elle ? Il est intéressant, à ce sujet, de constater que François Ozon s’est écarté dès le début de la pièce de Maurice Rostand et du scénario de Ernst Lubitsch, dans lesquels le spectateur apprend dès le début ce qui s’est passé entre Frantz (Walter dans la pièce et chez Lubitsch) et Adrien (Paul), puis il a respecté assez scrupuleusement la pièce et le scénario pour s’en écarter complètement à partir du moment où Adrien confesse la vérité à Anna. En effet, Anna, ou plutôt Elsa, contraint alors Adrien, ou plutôt Paul à rester chez les Hoffmeister / Hölderlin afin de remplacer Frantz / Walter.

Très beau mélodrame, Frantz est également un film qui fustige les guerres et les hommes qui les déclarent, ou qui les acceptent, ou qui en redemandent. Mais, après tout, ne continuons pas, là aussi, à étudier le mensonge ? L’autre mensonge, celui qui répand le mal, celui que, dans l’Europe en train de s’industrialiser, certains ont diffusé pour allumer la mèche, dans un camp comme dans l’autre, croyant que la guerre allait leur être favorable d’un point de vue économique. En tout cas, il est frappant de constater que dans la « famille » Hoffmeister, les femmes acceptent d’entrée de jeu la présence du français Adrien, alors que le Docteur Hoffmeister s’avère beaucoup plus lourd à la détente, ne voyant en Frantz, lors de leur première entrevue, qu’un représentant de ceux qui ont tué son fils. Ne parlons pas de la population mâle de Quedlinbourg, qui n’a de cesse de rejeter Adrien. Au point que le Docteur Hoffmeister, finalement conquis par cet ami français de son fils, se voit obligé de faire remarquer à ces hommes qui, manifestement, n’ont rien compris que, dans cette guerre qui vient de s’achever, ce sont eux, les pères, qui, d’un côté comme de l’autre, ont envoyé leurs fils à la mort, et que, d’un côté comme de l’autre, eux, les pères, trinquaient à la mort des fils d’en face. Un peu plus tard, Ozon renvoie les deux camps face à face en montrant des français qui, eux aussi, n’ont rien compris, entonner une Marseillaise sous sa forme la plus belliqueuse.

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La distribution et la musique

Ce film qui parle de l’amour, du remords, du souvenir qu’on doit aux êtres chers, ce film qui évoque la poésie, la peinture et la musique, ce film rempli d’une très grande émotion, François Ozon a choisi de le tourner presque entièrement en Noir et Blanc. On a du mal à croire que ce sont des raisons économiques qui l’ont poussé à faire ce choix, des décors se prêtant mieux à la couleur étant, parait-il, d’un coût plus élevé. On a du mal à le croire tellement la photographie de Pascal Marti est magnifique et parfaitement adapté à ce que nous montre le film. D’autant plus que ce choix permet d’inclure quelques scènes en couleur, dès lors qu’il est question de moments de bonheur, que ces moments soient inventés ou réels. Dans la distribution, on ne peut qu’apprécier le jeu très nuancé de Pierre Niney, tout en le félicitant pour le travail qu’il a effectué pour s’exprimer en allemand et laisser une impression crédible lorsqu’on le voit jouer du violon. Toutefois, la grande révélation du film s’appelle Paula Beer, l’interprète d’Anna. Agée de 21 ans, elle était jusqu’à présent inconnue dans notre pays, mais on peut être certain qu’elle est à l’orée d’une grande carrière internationale, tellement elle dégage un magnétisme qu’on ne retrouve que chez les très grandes comédiennes. Et, en plus, elle s’exprime très bien en français !

Par ailleurs, Frantz est un film dans lequel la musique est importante. Celle qu’a composé Philippe Rombi pour le film est magnifique, tout à fait dans l’esprit de certaines compositions allemandes du début du 20ème siècle, et elle a en plus le bon goût de ne jamais être envahissante. On peut se montrer un peu surpris d’entendre le nocturne n°20 de Chopin interprété au violon, mais l’adaptation pour cet instrument existait avant le film et le résultat est superbe.

 

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Conclusion

Avec Frantz, François Ozon prouve qu’il est arrivé au sommet de l’art cinématographique, cet art dans lequel il a fait ses premiers pas avec de nombreux court-métrages et qu’il pratique depuis près de 30 ans. Il faut en effet beaucoup de doigté et de maîtrise pour réussir à marier avec autant de bonheur de l’émotion jamais forcée, des surprises de scénario jamais « téléphonées » et une très juste réflexion sur les conflits armés et leurs conséquences. Et, en plus, il nous permet de faire connaissance avec Paula Beer, une jeune comédienne allemande dont tout laisse à penser qu’elle est à l’orée d’une très grande carrière.

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