Berlinale 2016 : Fuocoammare, par-delà Lampedusa (Ours d’or)

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fuocoammare-affixheFuocoammare, par-delà Lampedusa

Italie, 2016
Titre original : Fuocoammare
Réalisateur : Gianfranco Rosi
Scénario : Gianfranco Rosi
Acteurs : –
Distribution : Météore Films
Durée : 1h47
Genre : Documentaire
Date de sortie : 28 septembre 2016

Note : 3,5/5

L’un des thèmes au cœur de cette 66ème édition du Festival de Berlin est celui de la migration, de l’exil, des réfugiés, de l’engagement en temps de crise. Pour Fuocoammare (Fire at Sea en anglais, la mer en feu en français), le documentariste Gianfranco Rosi s’est immergé pendant plusieurs mois à Lampedusa pour nous confronter à ce qu’il définit dans la conférence de presse officielle de la Berlinale 2016 comme la pire tragédie vécue dans le monde depuis l’Holocauste. Un cri hélas justifié à la vision de son film qui a vivement secoué les spectateurs de la Berlinale 2016.

Synopsis : L’île de Lampedusa est située à 200 kilomètres au sud de l’Italie, un lieu de passage obligé pour des milliers de migrants espérant s’installer en Europe et y trouver une vie nouvelle. Ils y trouvent hélas souvent la mort sous les yeux impuissants des garde-côtes et autres secours potentiels, dont un médecin de ce petit bout de terre de 20km2 bouleversé depuis des années par les milliers de corps qui se déversent sur leurs côtes et les survivants dont il doit panser les plaies physiques et morales. Ce ne sont plus (seulement) les pêcheurs perdus en mer qu’il faut repérer dans la nuit noire pour les rendre à leurs proches mais ceux qui sont parqués dans des bateaux surchargés.

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Sans commentaires, ou presque

Gianfranco Rosi rend justice à ces hommes, femmes et enfants qui ont tenté de fuir la misère et les conflits en Afrique en traversant un océan sur des navigations de fortune, entassés dans des conditions catastrophiques par des trafiquants d’hommes. Lampedusa, ce lien étroit entre nos deux continents, est devenu un symbole de mort mais aussi de notre honte face à notre inaction alors que nous savons maintenant clairement ce qui est en jeu. Comme le cinéma de Virgil Vernier (Andorre ou Mercuriales en particulier), pour ne citer qu’un exemple de comparaison sur la forme, ce documentaire est dénué de commentaires extérieurs et se comprend à travers les images récoltées et montées par le réalisateur, dont le but était de braquer les projecteurs du monde sur une «tragédie qui se passe nous nos yeux et dont nous sommes tous responsables».

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Pour saisir encore plus l’ampleur de cette tragédie, il laisse la parole la plus riche en informations (la seule quasiment) à un témoin direct de ces drames en cascades, le docteur Pietro Bartolo dont le témoignage, récolté en janvier dernier et ajouté au film après le premier montage qui lui a permis au film d’être sélectionné en compétition à Berlin, est éprouvant. Il précise qu’il fait régulièrement des cauchemars, ce que l’on comprend aisément à l’écoute de ses souvenirs importants pour saisir la violence de ce qu’il a vu. Il est depuis le début des années 90 le témoin actif mais néanmoins impuissant de ce drame humanitaire d’une ampleur croissante. Son désespoir à lui aussi lors de la même conférence de presse de Berlin était palpable, ce que l’imagine aisément lorsqu’il évoque les multiples cadavres d’enfants et de femmes (certaines enceintes avec des détails que l’on n’avait pas osé imaginé) et les autopsies qu’il a pratiquées, avec là encore des précisions sordides mais nécessaires pour lui à dire à voix haute, pour nous à entendre. Ses rencontres avec les blessés brûlés lors du voyage ne sont pas moins traumatisantes. L’autre grand moment de paroles est cette litanie glaçante, ce slam d’un migrant qui évoque son odyssée à partir de la nécessaire fuite du Nigéria, la fuite dans le désert, les emprisonnements barbares en Lybie et surtout les viols des femmes, les morts atroces, les actes barbares de l’État Islamique, le désespoir de ses concitoyens. S’ils fuient, s’ils viennent «chez nous», ce n’est pour nulle autre raison que pour une question de vie ou de mort. Son chant funèbre fait de lui la voix de ceux qui ne peuvent plus parler.

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Faire travailler l’oeil paresseux de l’Europe

Pour autant, Gianfranco Rosi n’oublie pas les habitants de Lampedusa. S’ils ne sont pas mêlés à ces victimes, ils sont là, proches, plus ou moins ignorants de ce qui se passe si près de chez eux. Samuele, garçon de douze ans, drôle et facétieux, est le candide de Rosi, notre principale connexion avec cette plaisante île, non pas paradisiaque, mais tristement banale, comme l’une de nos côtes à nous avec sa plage, ses rochers, ses sous-sols marins. Cela se passe en Italie, mais cela pourrait se passer en France. Le pré-adolescent nous fait rire lorsqu’il s’adresse à ce même médecin avec ses craintes d’apprenti hypocondriaque, avec sa faconde bien italienne (l’on sent déjà le futur macho) et au lieu d’amoindrir la charge de la dénonciation, ce contrepoint la renforce, montrant qu’à un cheveu de la vie normale, quotidienne, la mort plane, bien plus proche qu’il ne peut l’imaginer, étant encore innocent des heurts du monde. Décalage humoristique inattendu, il a aussi une fonction plus marquante de symbole, son patch sur l’oeil reflétant un certain aveuglement généralisé, les cactus qu’il détruit à coups de lance-pierres puis répare avec un bout de scotch ne sont pas loin de représenter les responsabilités de notre continent, dont les dirigeants bouleversent l’équilibre du monde avant de le réparer bien maladroitement.

 

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Conclusion

Le documentaire est rarement mis en avant dans les compétitions officielles des grands festivals internationaux mais ce Rosi là, sans lien familial avec un autre témoin de son temps via la fiction (Francesco), a su trouver sa place. Après avoir reçu le Lion d’or à Venise en 2013 pour Sacro Gra, il n’est pas interdit de penser que Gianfranco Rosi pourrait remporter l’Ours d’or cette année, ou au minimum figurer au palmarès. On ne peut qu’espérer qu’il trouve un plus large public en France que ce précédent opus, ce premier choc de la compétition étant un film d’une grande force, par son sujet évidemment mais aussi par son traitement cinématographique. Un cinéma engagé qui dépasse son statut d’oeuvre éminemment politique par son traitement complexe.

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