Berlinale 2019 : Qui a peur de Pauline Kael ?

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Qui a peur de Pauline Kael ?

États-Unis, 2018

Titre original : What She Said The Art of Pauline Kael

Réalisateur : Rob Garver

Scénario : Rob Garver

Intervenants : Gina James, Quentin Tarantino, David O. Russell, Paul Schrader, John Boorman, Robert Towne

Distribution : Dean Medias

Durée : 1h36

Genre : Documentaire de cinéma

Date de sortie : 16 novembre 2022

3,5/5

Savoir un jour écrire sur le cinéma comme seule Pauline Kael savait le faire, avoir un tel ascendant sur l’industrie, le public et les élites intellectuelles qu’on peut donner un coup de pouce essentiel à un cinéaste ou au contraire défaire son travail par un simple trait de plume acerbe : c’est le rêve de tout critique, n’est-ce pas ? Ce n’est pas tout à fait le nôtre, puisque nous apprécions chaque jour de notre présence au Festival de Berlin le luxe et le privilège de pouvoir choisir librement les films que l’on souhaite voir, gardant ainsi intacte notre passion du Septième Art, alors que les plaintes plus ou moins appuyées de nos chers confrères, venus de France ou d’ailleurs, nous donnent l’impression peu plaisante que couvrir un festival serait une expérience éreintante. Nous espérons partager cependant au moins partiellement, un tout petit peu, avec cette chroniqueuse sans pitié son amour inconditionnel du cinéma. A cet égard, le documentaire What She Said The Art of Pauline Kael de Rob Garver, présenté dans le cadre de la sélection Panorama Dokumente, remplit parfaitement son contrat, même si son passage en vitesse sur une vie qui a connu autant de hauts que de bas, de moments de génie que de polémiques entrées dans les annales, l’empêche d’être guère plus qu’une introduction aux textes volontairement tendancieux de la critique légendaire.

© Rob Garver / 29pictures Tous droits réservés

Synopsis : Pauline Kael a été probablement l’une des critiques de cinéma les plus puissantes et personnelles du 20ème siècle. Engagée pendant près d’un quart de siècle, de 1967 à ’91, au prestigieux magazine hebdomadaire The New Yorker et auteure de treize livres sur le cinéma, elle disséquait sans merci les films qu’elle n’aimait pas. Redoutée particulièrement par les grands studios, les icônes du cinéma à l’égard desquelles elle faisait rarement preuve de révérence et ses confrères avec qui elle se livrait d’amères batailles verbales, Kael a joué un rôle de choix dans la promotion du Nouvel Hollywood, ainsi que dans celle du métier de critique, réservé encore presque exclusivement aux hommes quand elle avait commencé à l’exercer.

© Rob Garver / 29pictures Tous droits réservés

Retour sur l’âge d’or de la critique

Aux États-Unis, il existe un véritable culte parmi les cinéphiles de quelques heureux élus dans le monde de la critique professionnelle, dont on trouvera au mieux un équivalent français du côté de André Bazin ou de Jean Douchet. Or, l’édition récente des écrits complets du premier n’a certainement pas dû se vendre à des milliers d’exemplaires et le documentaire dédié au deuxième, Jean Douchet L’Enfant agité de Fabien Hagege, Guillaume Namur et Vincent Haasser, n’a sans doute pas non plus attiré en plus grand nombre les spectateurs dans les salles lors de sa sortie il y a un an. Ne serait-ce que grâce à la taille incomparablement plus grande du marché potentiel d’intellectuels et autres fins connaisseurs de l’Histoire du cinéma, désireux d’en savoir plus sur les influenceurs d’antan, la critique américaine jouit depuis longtemps de ces phénomènes d’admiration collective pour des gens comme Roger Ebert et Pauline Kael. Cette dernière a l’immense avantage sur son contemporain du petit écran de n’avoir cherché à aucun moment de transmettre un goût consensuel. Bien que son rapport au cinéma ait d’abord été instinctif, elle a très souvent trouvé l’expression qui fait mouche, la formulation intelligente de ses pensées iconoclastes tant appréhendées par les réalisateurs qu’elle adorait descendre en flammes. Perçue peut-être à tort comme une langue de vipère, en campagne contre le bon goût prôné par ses confrères confortablement installés dans leur médiocrité, elle bénéficie dans ce documentaire d’un jugement plus nuancé quant à ses qualités et ses défauts, tout aussi excessifs les uns que les autres.

© Rob Garver / 29pictures Tous droits réservés

Tout perdu au cinéma

Pourtant, le point récurrent qui nous a le plus frappé à la vision de What She Said The Art of Pauline Kael, c’est la lucidité avec laquelle la critique a su regarder le monde autour d’elle et se regarder soi-même. Victime à répétition d’un machisme qu’elle a souvent dénoncé dans ses écrits et matériellement peu gâtée par son travail pendant la première longue partie de sa carrière d’exception, elle n’a pourtant jamais abandonné une certaine ironie salutaire. Son humour noir jubilatoire se manifeste par exemple au détour d’un extrait d’entretien, où elle explique son aversion contre les films d’horreur par son quotidien d’ores et déjà suffisamment terrifiant de femme habitant à New York. Ce sont par ailleurs plus ces interventions narquoises et des extraits de critiques adroitement calés sur des bribes de films, allant du muet Ménilmontant de Dimitri Kirsanoff jusqu’à Avatar de James Cameron, qui dévoilent la nature ou en tout cas le propos principal de Pauline Kael que les interventions de collègues, de disciples et de professionnels du cinéma ayant souffert sous son mépris blessant. La structure très découpée du documentaire, avec le déroulé chronologique de la vie de son sujet comme seul fil conducteur – la lecture de ses textes par Sarah Jessica Parker restant à l’image de l’actrice assez fade –, permet en effet de dégager peu d’autres axes de réflexion sur l’impact culturel de sa vision du cinéma. Mieux vaut donc considérer le film de Rob Garver comme une formidable incitation à se créer sa propre passion intime et à ne pas avoir peur de nager contre le courant, quitte à se faire des ennemis aussi vénérés qu’Orson Welles, David Lean et George Roy Hill.

© Rob Garver / 29pictures Tous droits réservés

Conclusion

A nous désormais de choisir notre camp : soit de perpétuer la tradition des « Paulettes », soit de peaufiner notre équilibre personnel d’analyse entre l’expression d’une subjectivité mesurée et un recul qui se veut toujours un minimum constructif. Bref, nous n’aurons jamais un tempérament de pitbull hautement intelligent et ingénieux dans sa communication, comme Pauline Kael savait si bien le cultiver. Il n’empêche que What She Said The Art of Pauline Kael est une merveilleuse célébration du cinéma sous toutes ses formes, simultanément vilipendé et défendu à outrance par celle qui courait parfois le risque de devenir sa propre caricature et, on l’espère, promu avec amour par nos modestes articles, qui n’auront jamais le même retentissement que les siens. De toute façon, le statut de faiseuse de rois de Pauline Kael sera très difficile à dupliquer de nos jours, où le paysage médiatique est plus que jamais éclaté en mille supports et sources d’information. Un fait de progrès médiatique sur lequel le documentaire a la sagesse de revenir au moins brièvement.

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