Berlinale 2019 : L’œuvre sans auteur

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L’œuvre sans auteur

Allemagne, 2018

Titre original : Werk ohne Autor

Réalisateur : Florian Henckel von Donnersmarck

Scénario : Florian Henckel von Donnersmarck

Acteurs : Tom Schilling, Sebastian Koch, Paula Beer, Saskia Rosendahl

Distribution : Diaphana Distribution

Durée : 3h08

Genre : Drame historique

Date de sortie : 17 juillet 2019

3/5

Nous ne savions pas le cinéma allemand aussi gourmand. Souvent, ses films se focalisent sur un seul sujet qu’ils explorent en long et en large, quoique rarement de travers, puisque la proverbiale rigueur allemande est toujours un peu le garant d’une ligne scénaristique sans excès. Après avoir à la fois ému et tenu en haleine un public mondial avec son thriller d’espionnage La Vie des autres et avoir fait naufrage à Hollywood par le biais de The Tourist, le réalisateur Florian Henckel von Donnersmarck nous revient avec une grande fresque historique, traitant à première vue d’une multitude de sujets. La Deuxième guerre mondiale précédée d’un lavage de cerveau en règle et d’un nettoyage ethnique orchestré par les nazis les plus zélés – une honte nationale qui devrait peser jusqu’à ce jour sur la conscience collective allemande –, le régime de la RDA guère plus tolérant avec son école artistique unique du réalisme socialiste, puis le monde de l’art abstrait à l’Ouest, sans doute un peu vain dans sa quête du choc par voie de performances farfelues : ce ne sont là que les thèmes principaux abordés au cours d’un long arc dramatique de plus de trois heures. Celui-ci trouve même encore le temps d’y mentionner les particularités historiques des criminels de guerre trop longtemps laissés tranquilles dans l’après-guerre, de la difficulté des gens simples à refaire leur vie au même moment, alors qu’ils avaient suivi la folie de Hitler plus par opportunisme que par conviction, voire d’un autre traumatisme grave pour l’Allemagne de la deuxième moitié du XXème siècle, coupée en deux par la logique partisane de la Guerre froide. Bref, Werk ohne Autor, présenté initialement en compétition au Festival de Venise l’année dernière et repris au Festival de Berlin dans le cadre des présélections aux prix du cinéma allemand Lola, risque de temps en temps de crouler sous la charge considérable de son ambition toute inclusive. Il s’en dégage toutefois une essence philosophique à l’ardeur nuancée, qui nous fait presque lui pardonner ses quelques écarts ouvertement mélodramatiques et manichéens.

© 2018 Walt Disney Studios Motion Pictures Deutschland Tous droits réservés

Synopsis : A la fin des années 1930, le jeune Kurt Barnert a dû quitter sa ville natale de Dresde à cause du refus catégorique de son père, enseignant, de rejoindre le parti nazi. Il revient pourtant parfois en ville en compagnie de sa tante Elisabeth, qui l’emmène dans des expositions sur l’art dégénéré qu’elle affectionne particulièrement. Après la guerre, alors que l’occupant russe impose ses lois sociales et culturelles, Kurt finit par rejoindre l’Académie des Beaux Arts. Mais il ne s’y sent pas suffisamment libre pour trouver sa voie de peintre, si possible en appliquant l’exhortation de sa tante, déportée à cause de ses troubles psychologiques sur l’ordre du gynécologue brillant Carl Seeband, de ne jamais détourner le regard.

© 2018 Walt Disney Studios Motion Pictures Deutschland Tous droits réservés

Être le meilleur ou se contenter d’être bon

Le réalisateur ne laisse en effet pas planer le doute sur qui est méchant et qui défend avec plus ou moins de véhémence un bagage idéologique politiquement correct dans Werk ohne Autor. Ainsi, l’interprétation savoureusement diabolique de Sebastian Koch représente à elle seule la valeur symbolique, quasiment caricaturale, de ce type d’homme tellement convaincu de sa propre grandeur, inhumaine et froide, qu’il arrive à toujours passer entre les gouttes. Sauf que la description qu’en tire le scénario fait preuve d’une subtilité nous laissant entrapercevoir l’homme aux pieds d’argile derrière le salaud. Cela n’est hélas pas le cas pour tous les personnages, les femmes étant notamment réduites à un emploi qui ne dépasse pratiquement pas le rôle de faire-valoir des hommes. Mais là aussi, une certaine authenticité historique, plutôt clairvoyante quant aux grands courants de la société allemande à l’Est comme à l’Ouest, soutient une vue d’ensemble finalement assez réfractaire aux idées reçues. Alors oui, certes, la première partie du film n’est pas la plus réussie, avec ses scènes du bombardement de Dresde mal fichues et l’influence écrasante de la tante, qui fait presque office de grande sœur, dont le départ forcé, puis le calvaire sous les mains de ses tortionnaires, sont filmés avec une emphase qui nous fait craindre le pire pour les deux heures de film qui restent. Heureusement, Florian Henckel von Donnersmarck se rattrape par la suite, justement en esquivant tout ce qui pourrait s’apparenter à des explications sommaires sur les événements plus ou moins anecdotiques, qui décideront du parcours imprévisible du héros, un illuminé précoce qui tarde pourtant à s’imposer selon ses propres termes.

© 2018 Walt Disney Studios Motion Pictures Deutschland Tous droits réservés

Qui suis-je ?

Ce n’est alors pas tellement la consécration de Kurt Barnert, figure vaguement fictive calquée sur l’artiste peintre Gerhard Richter, qui importe ici, mais sa lente prise de conscience artistique et existentielle. Pour observer la poursuite entreprenante de ses objectifs artistiques et privés, il faudrait repasser. Le calme, proche de la passivité, avec lequel Tom Schilling incarne son personnage ne se traduit pas pour autant par une quelconque mollesse, susceptible d’affecter le ton du film. Bien au contraire, sa force insistante, prête à subir stoïquement toutes les humiliations mesquines que son beau-père a préparées pour lui, confère une tranquillité hypnotisante au récit à laquelle nous adhérons de plus en plus volontairement. Nul besoin alors de mener en justice les bourreaux d’antan, pas plus que de glisser quelques textes rassurants sur le sort des personnages principaux à la fin du film. A ce niveau-là, la mise en scène s’affranchit sans peine de toute convention romanesque, encore esquissée au début, quand nous redoutions une biographie filmique truffée de poncifs au ton exagéré. Même sa réflexion sur l’art et la création au sens large agence une synergie convaincante entre le doux rêve de béatitude personnelle, que le protagoniste croyait naïvement avoir atteinte à la suite d’une sorte d’illumination quand il était perché sur l’arbre à la fin des années ’40, et la difficulté de l’articuler par le biais d’un travail jugé plus ou moins sévèrement par ses pairs. De ce point de vue-là, le moment clé du film serait la visite du professeur adulé, interprété en digne sosie de Joseph Beuys par Oliver Masucci, qui incite d’une certaine façon son élève à bûcher sérieusement sur ce qui le définit au fond, au lieu de suivre les lubies faussement innovantes de l’époque. L’équilibre assez délicat de ce moment charnier, qui aurait une fois de plus pu dégénérer du côté d’une grandiloquence solennelle, est représentatif de l’élégance avec laquelle le réalisateur mène globalement son histoire épique.

© 2018 Walt Disney Studios Motion Pictures Deutschland Tous droits réservés

Conclusion

Est-ce que Florian Henckel von Donnersmarck, le réalisateur allemand au nom interminable, à la carrure imposante et – la seule chose importante, en fait – à la carrière en dents de scie est enfin de retour grâce à Werk ohne Autor ? Quelques maladresses initiales pendant la première heure de ce film finalement plutôt bien rythmé ont failli semer le doute dans notre esprit toujours un peu inquiet et dubitatif. Il n’y avait pourtant pas de quoi, grâce au propos étonnamment intelligent et modéré pour ce genre de film au souffle épique, souvent prompt à s’engager dans la spirale fastidieuse de la surenchère formelle et tragique.

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