Vu sur OCS : Le Policeman

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© 1981 Michael Ginsburg / Time Life Films / Producers Circle / Warner Bros. / HBO Tous droits réservés

Au début des années 1980, la carrière de Paul Newman n’allait essentiellement nulle part. Le symbole incontournable d’une nouvelle forme de virilité dans les années ’60, l’acteur avait eu beaucoup de mal à se réinventer au cours de la décennie suivante. Au moins, contrairement à bon nombre de ses contemporains, il avait rencontré un certain succès grâce au passage derrière la caméra, en tant que réalisateur. Mais son statut de vedette, voire de légende du cinéma américain, avait besoin d’un rafraîchissement urgent pour rester pertinent. Ce dernier n’allait pas tarder à survenir après la sortie de Le Policeman. Or, la sincérité à fleur de peau d’hommes au bout du rouleau, qui allait si bien lui réussir par la suite lors de ses collaborations coup sur coup avec Sydney Pollack, Sidney Lumet et Martin Scorsese, on la trouve déjà dans ce film policier à dominante sombre.

Enfoui au fin fond du replay d’OCS dans la rubrique des productions HBO, Le Policeman séduit en fait par son regard sans concessions sur le travail routinier des flics américains en général, et le délabrement économique et social d’un quartier emblématique de New York en particulier. Ce n’est sans doute pas par hasard que le titre original du film de Daniel Petrie est moins générique que son pendant français. Fort Apache The Bronx, cela a une signification à la fois martiale et historique. La notion de défense y est très forte. Elle s’inspire du mythe de ces valeureux pionniers, qui auraient défendu jadis la civilisation américaine contre les barbares autochtones. Ce qui relève, en somme, de l’image d’Épinal, déformée par une longue tradition de patriotisme à l’état brut. Ici, le commissariat de police fait office de dernière ligne de défense contre une population d’immigrés, que l’idéologie bien rodée du rêve américain préférerait ignorer. Il s’apparente ainsi à un îlot voué aux tâches de l’assistanat social, perdu au cœur d’une jungle de précarité accrue.

© 1981 Michael Ginsburg / Time Life Films / Producers Circle / Warner Bros. / HBO Tous droits réservés

Mal payé, mal habillé et mal intégré en dehors de la communauté de ses ancêtres italiens ou irlandais, le flic fait en quelque sorte partie intégrante de ce paysage urbain dans un état de délabrement avancé. Il court après de petits criminels à en perdre le souffle. Il jure plus par la loyauté entre collègues que par un quelconque code de déontologie professionnelle. Il se retrouve tous les soirs avec ses compagnons d’infortune, à se soûler jusqu’à la reprise de service lors d’une énième journée routinière. Au fond, il ne joue qu’un rôle secondaire dans ce cirque des marginaux, où une feinte de folie comique a le potentiel de s’avérer aussi efficace que le gaz lacrymogène. On peut facilement considérer cette vision de la société américaine comme tendancieuse. Sa perspective réduirait le microcosme des cités d’outre-Atlantique à une foire glauque, en guise de résultat effrayant de siècles d’une politique raciale et sociale horriblement mal intentionnée.

Dans le cadre du film sobrement mis en scène par Daniel Petrie, ce point de vue désabusé fait néanmoins sens. La justesse des personnages y est précisément percutante parce qu’ils n’obéissent guère à un quelconque prétexte scénaristique d’enquête policière à résoudre à tout prix. L’honnêteté tourmentée du vieux Murphy n’y fait plus l’objet d’une croisade contre l’appareil policier corrompu, comme ont encore pu le prétendre les remords de son jeune confrère dans Serpico de Sidney Lumet. De même, la tueuse en série sur laquelle commence l’intrigue, une Pam Grier qui porte vaillamment les stigmates de la folie systémique de son univers délétère, n’aura finalement qu’un impact limité sur le récit. Car ce dernier se concentre avant tout sur l’absence de priorités dans un rythme journalier, ponctué par des interventions aussi cocasses sur le moment qu’inutiles à moyen terme.

Cette lucidité tragique est tout à l’honneur de Le Policeman. Le film montre certes le Bronx sous son plus mauvais jour. En le faisant, il met toutefois le doigt là où ça fait mal : dans le mécanisme de l’idéologie américaine, aux rouages d’habitude si hypocritement huilés par Hollywood, dont l’idéalisme volontariste est censé triompher encore et toujours.

© 1981 Michael Ginsburg / Time Life Films / Producers Circle / Warner Bros. / HBO Tous droits réservés

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