Berlinale 2017 : Le Dernier Vice-roi des Indes

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1946

Le Dernier Vice-roi des Indes

Royaume-Uni, 2017
Titre original : Viceroy’s House
Réalisateur : Gurinder Chadha
Scénario : Paul Mayeda Berges, Gurinder Chadha et Moira Buffini
Acteurs : Hugh Bonneville, Gillian Anderson, Manish Dayal, Huma Qureshi
Distribution : Pathé
Durée : 1h47
Genre : Drame historique
Date de sortie : 5 juillet 2017

Note : 3,5/5

Amateurs d’épopées romantiques à l’ancienne, réunissez-vous, ce film est fait pour vous ! Présenté hors compétition lors du 67ème Festival de Berlin, Viceroy’s House aurait pu y être un choix de film d’ouverture plus adéquat que ne l’a été en fin de compte la biographie filmique plutôt laborieuse de Django Reinhardt. Les grands sentiments y sont sollicités sans la moindre retenue, sur fond de recréation d’un contexte historique explosif et infiniment plus ambigu que ne le laisserait supposer le propos manichéen du film. Plus de trente ans après Gandhi de Richard Attenborough, le cinéma anglais essaye encore de réécrire l’Histoire, en donnant à l’empire britannique un rôle édulcoré et surtout en tirant les ficelles d’une noblesse simpliste avec un naturel complètement désuet. Ces premières lignes pourraient donner l’impression que nous ayons détesté le septième film de la réalisatrice Gurinder Chadha, alors que le contraire diamétralement opposé est le cas. Tout en ayant parfaitement conscience de ses limitations manifestes, nous y avons détecté une manière superbement nostalgique de faire du cinéma. Exit donc une forme de narration plus réaliste et éclairée, au profit d’un conte édifiant, où l’eau de rose coule à flot et où les grands bouleversements historiques sont le résultat de l’incompatibilité majeure entre des opinions plus naïves que mal intentionnées.

Synopsis : En 1947, le héros de guerre Lord Mountbatten est envoyé par le gouvernement anglais en Inde, afin d’y superviser la rétrocession pacifique de l’ancienne colonie. Une fois arrivé sur place avec sa femme Edwina et leur fille, il s’aperçoit que la tâche est quasiment impossible à accomplir, à cause des tensions sociales entre Musulmans, Sikhs et Hindous, qui risquent de faire imploser le subcontinent. Afin d’éviter une guerre civile sanglante, il décide de dépêcher le processus, quitte à rester à l’écoute des exigences du meneur de la ligue musulmane Jinnah, qui souhaite la partition en deux pays distincts, le Pakistan et l’Inde. Au même moment, le jeune serviteur Jeet prend son service dans la résidence du nouveau gouverneur. Il y croise la secrétaire et traductrice Aalia, dont il était tombé amoureux lorsqu’il était encore un gardien de prison au Punjab, en charge de son père, le résistant musulman Ali Rahim. Or, la jeune femme est d’ores et déjà promise à un homme de sa communauté parti faire la guerre pour les Anglais, ce qui complique autant le projet romantique de Jeet que l’instabilité politique croissante.

Pas trop tard pour les héros

Qu’est-ce que le cinéma, sinon une échappatoire de la confusion qui règne ces temps-ci dans le monde réel, en mesure de donner un court moment de répit au spectateur tracassé par ses problèmes personnels et des inquiétudes d’ordre collectif ? La dimension d’évasion du Septième Art s’est quelque peu perdue dernièrement, ne serait-ce qu’à cause de la volonté diffuse de la part des réalisateurs et des scénaristes de toujours coller plus à l’actualité dans la course folle à la pertinence. Viceroy’s House nous délivre avec entrain de cette morosité ambiante, non pas parce qu’il serait sujet à l’autre extrême, de voir le monde dans un rose bonbon indigeste, mais grâce à son retour décomplexé à une conception plus directe des puissances qui gouvernent ce bas monde. Il serait même envisageable de considérer ce film comme le signe annonciateur tant attendu de la renaissance du premier degré, après tant d’années de mises en abîme et de dédales de références plus détachés les uns que les autres. Ici, les personnages font face aux problèmes qui leur sont posés d’entrée de jeu du mieux qu’ils peuvent, avec un souci joliment démodé pour des idéaux qui dépassent leur destin personnel. Ce qui ne signifie point que le scénario évolue dans un vide pragmatique, obnubilé par l’intensité des passions amoureuses et des urgences d’administration politique. Les événements tragiques qui ont contribué en Inde il y a soixante ans à l’exode de millions d’habitants et à la mort d’un nombre astronomique d’entre eux résonnent en effet étrangement dans le contexte d’un continent européen depuis longtemps uni et paisible, qui se trouve désormais au croisement de choix stratégiques potentiellement lourds de conséquences.

L’excès fait la force

Dans le domaine des péchés mignons cinématographiques, à savoir des films qui ne sont probablement pas très bons d’un point de vue objectif, mais qui nous séduisent par leur aptitude à nous faire avaler sans peine telle ou telle énormité, Viceroy’s House figure parmi ceux dont la défense nous procure le plus de plaisir. Il participe du miracle originel du cinéma qui est censé nous ramener à une forme d’innocence d’approche et de réception que trop de films trop élaborés risquent de nous faire perdre au fur et à mesure. Cela ne veut pas dire que la mise en scène de Gurinder Chadha ne serait pas sophistiquée dans sa tentative – à notre avis réussie – de nous plonger pendant près de deux heures dans une opération de dépaysement enchanteresse et pourtant attachée étroitement à une leçon d’Histoire à peu près impartiale. Car comme dans la plupart des grandes révolutions arrachées au confort trompeur du maintien du statu quo, il n’y a pas de vrais gagnants dans ce film ; juste des opportunistes qui pensaient alors tirer leur épingle du jeu, bien que la partie entre le Pakistan et l’Inde soit jusqu’à ce jour loin d’être terminée, la menace nucléaire en supplément cauchemardesque. Le volet romantique de l’intrigue, avec ce couple beaucoup trop beau pour être crédible et néanmoins très cohérent dans la surenchère habile des clichés qui anime globalement le récit, pourrait sonner atrocement faux dans ce tourbillon historique, à lui seul assez dense pour remplir des heures de film. Il confère toutefois un visage humain – aussi caricatural soit-il – à cette catastrophe d’un peuple, ainsi plus immédiatement accessible qu’un cours d’Histoire richement documenté.

Conclusion

Admettons-le, nous avions initialement glissé cette production à première vue très commerciale dans notre emploi du temps de la Berlinale, afin de prendre des nouvelles du beau Manish Dayal. Nous en sortons agréablement surpris, voire modérément enthousiaste, grâce à cette épopée à la facture intemporelle, qui – à l’image de Autant en emporte le vent ou du Docteur Jivago – procède au mélange jamais avare en pathos entre des circonstances historiques troubles et un amour jugé impossible à cette époque mouvementée.

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