Critique : Une nouvelle amie

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une nouvelle amie afficheUne nouvelle amie

France, 2013
Titre original : –
Réalisateur : François Ozon
Scénario : François Ozon, d’après l’oeuvre de Ruth Rendell
Acteurs : Romain Duris, Anaïs Demoustier, Raphaël Personnaz
Distribution : Mars Distribution
Durée : 1h47
Genre : Drame
Date de sortie : 5 novembre 2014

Note : 4/5

Deux ans après Laurence Anyways de Xavier Dolan, c’est à François Ozon de s’intéresser au personnage d’un homme qui se travestit en femme. C’est-à-dire de mettre en scène un être qui n’est pas né femme, mais qui cherche à le devenir. Romain Duris incarne là le plus beau personnage féminin du film, et joue peut-être aussi l’un des meilleurs rôles de sa carrière.

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Synopsis : Laura, une jeune mère de famille, meurt prématurément. Sa meilleure amie Claire avait promis de veiller sur son mari, David, et leur petite fille, Lucie. Le jour où Claire rend visite à David, elle découvre, dans le salon, assise de dos, une grande femme blonde… Mais «elle» n’est autre que David lui-même, habillé en femme et lisant Elle magazine. La suite du film raconte la relation que nouent Claire et David autour de ce secret. Relation qui aboutit à la naissance d’un nouveau personnage : Virginia, une version féminine de David et, pour Claire, une nouvelle amie.

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Le chamboulement des désirs

Dès lors que David s’habille en Virginia, surgit chez Claire une fascination irrésistible pour… qui, en fait ? Pour cet être ambigu qu’est David jouant à la femme ? Ou bien pour Virginia seule ? Pour l’homme qu’elle devine malgré tout derrière Virginia ou encore, à travers Virginia, pour sa meilleure amie ? Car David porte les vêtements de sa femme défunte, laquelle, de son vivant, avait toujours attiré les regards envieux de Claire… Claire et David-Virginia commencent à nouer une relation platonique, mais intime, une relation innocente d’abord, mais qui les fait se comporter comme des amants coupables. Dans un premier temps, le désir ne s’exprime que de façon fantasmatique. Des scènes de rêve ou d’hallucination à la Hitchcock, parfois comiques mais souvent inquiétantes, suggèrent la complexité des désirs qui se croisent au sein du quatuor quasi amoureux David-Laura-Claire-Virginia, à côté duquel Raphaël Personnaz joue le rôle insipide du mari de Claire.

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Une nouvelle amie n’est pas pour autant un film sur la sexualité. Il exprime plutôt la porosité entre les genres et entre les désirs, le chamboulement complet d’une cartographie libidinale jusque là clairement établie. Car dès lors que David quitte – ou déguise – sa peau d’homme, Claire envisage d’autres possibles. Et ce n’est pas tant la sexualité de David qui est intéressante que son besoin de se travestir en femme voire, si une telle chose est possible, de changer de genre.

La fabrique d’un corps

Qu’est-ce qui est en jeu dans ce film intimiste, si ce n’est l’appropriation par un homme – mari et père de famille qui plus est – des codes esthétiques, corporels et même sentimentaux de la féminité ? Outre l’intérêt psychologique de ce film intimiste, le plus fascinant est la façon dont Ozon filme la métamorphose d’un corps, la manière dont le personnage masculin se compose un corps de femme. Le corps de Virginia cristallise tous les éléments propres à une certaine image de la féminité (chevelure blonde brushinguée, talons aiguilles, déshabillé transparent, voix langoureuse,…) qui n’est pas du tout présente chez l’autre personnage féminin, Claire. Plus que des simples vêtements, David s’approprie une posture, une démarche, une voix, c’est-à-dire des attitudes corporelles et comportementales.

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Le tout début du film montre un autre corps, celui de Laura, qui se prépare pour la cérémonie de son mariage. À la façon des blasons du XVIe siècle, ces poèmes en vers qui célébraient la femme à travers une partie du corps (voir le blason du «beau tétin» de Clément Marot), la caméra montre des fragments de corps. D’abord, elle cadre uniquement la bouche, puis seulement un œil, puis une petite zone de la cuisse, etc. Cette séquence initiale, qui exhibe un corps morcelé, annonce tout le film : il s’agit toujours de faire voir la manière dont se compose (et se décompose) le corps féminin.

Au milieu du film, dans la maison de campagne, Claire et Virginia se préparent avant de dîner, chacune devant son miroir. La caméra procède à nouveau par des gros plans sur telle ou telle partie du corps et du visage. David, parce qu’il trouve cela plus convenable à l’égard du mari de Claire, s’habille en Virginia, Claire quant à elle accentue une féminité qu’elle n’adopte habituellement pas. Mais au cours de cette soirée entre amies, le désir ne s’accomplit jamais. C’est justement quand Claire prend une allure plus masculine ou du moins plus neutre – col à revers sous une veste noire – que le désir s’embrase.

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L’illusion du genre ?

La scène de sexe met en avant le déshabillage de Virginia, révélant tout le travail préalable de composition, d’arrangement complexe d’un corps : placement de la perruque, fixation du maquillage, pose de faux seins en silicone, enfilage de jarretelles, d’une robe, et enfin d’un trench et d’un foulard qui rappellent fortement la tenue du personnage de Melvil Poupaud dans Laurence Anyways. Mais l’allure séduisante et féminine de Virginia dévoile peu à peu ce qu’elle a d’artificiel, livre les secrets de sa préparation, pour finalement se défaire – à cause de l’intrusion du corps biologique et résolument masculin de David –, exactement de la même façon que le visage de Virginia se décompose quand elle entend une phrase interdite et destructrice qui brise (peut-être) l’illusion du caractère purement construit du genre.

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Résumé

Dans un film qui ne tombe ni dans la comédie simpliste souvent employée pour ce genre de thème, ni dans l’extravagance parfois écrasante du film de Dolan, François Ozon explore les revirements identitaires d’un personnage très actuel et, en même temps, incroyablement singulier. Même si une fin un peu plus acérée n’aurait pas nui à la dynamique du film, Une nouvelle amie vaut la peine d’être vu pour la finesse de ses personnages et de sa narration, la justesse du jeu des acteurs, et l’élégance dans le traitement de ce thème finalement peu exploré du travestissement.

1 COMMENTAIRE

  1. Très bonne critique! ça me permet de comprendre encore un peu mieux ce film. J’ai été bluffée par Romain Duris, et j’ai adoré le personnage de Claire qui devient de plus en plus féminine au cours du film grâce à Virginia

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