Test Blu-ray : Les rendez-vous de Satan

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1945

Les rendez-vous de Satan

Italie : 1972
Perché quelle strane gocce di sangue sul corpo di Jennifer ?
Réalisation : Giuliano Carnimeo
Scénario : Ernesto Gastaldi
Acteurs : Edwige Fenech, George Hilton, Paola Quattrini
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h35
Genre : Thriller, Giallo
Date de sortie cinéma : 7 mars 1979
Date de sortie DVD/BR : 19 novembre 2018

Deux jeunes femmes sont assassinées coup sur coup dans le même immeuble appartenant à l’architecte Andrea Antinori. Ce dernier, en échange d’une séance photo pour une campagne de publicité, propose à deux mannequins, Jennifer et Marylin, de venir s’y installer. Tandis que Jennifer, au passé trouble, échappe de peu aux assauts du tueur, les soupçons de la police se portent sur Andrea, devenu son amant…

Le film

[4/5]

La carrière d’Edwige Fenech au cinéma, particulièrement riche entre 1967 et 1982 (72 films en l’espace de quinze ans !), n’est pas spécialement bien représentée en DVD et Blu-ray en France. Entre 2000 et 2010, une petite dizaine de ses films sont sortis au format DVD, dans des éditions pas forcément toujours très folichonnes, et sous les couleurs d’éditeurs ayant souvent disparu depuis. La sortie des Rendez-vous de Satan en Blu-ray et DVD sous les couleurs du Chat qui fume constitue donc un grand événement pour les admirateurs de l’actrice française naturalisée italienne.

Il existe peut-être parmi nos lecteurs quelques irréductibles qui ne seraient pas familiers avec le cinéma bis. Il se peut également qu’il y ait parmi eux une poignée de bisseux n’étant pas tombés fous amoureux d’Edwige Fenech durant leur adolescence ; même si cela pourra paraître étonnant, c’est tout de même humainement possible : tous les goûts sont dans la nature et quelques-uns pourront se montrer insensibles à la puissance hypnotique de son regard félin. C’est très possible si, par exemple, vous ne pouvez pas saquer les chats – idem d’ailleurs si vous êtes allergique aux poils de chat(te)s. Il conviendra donc ici de revenir brièvement sur la carrière d’Edwige Fenech, qui s’impose sans la moindre peine comme une figure incontournable de la culture populaire, et comme « LA » plus grande dame du cinéma d’exploitation rital des années 60/70.

Née en Algérie le 24 décembre 1948 sous le nom d’Edwige Sfenek (ce qui coupera définitivement court à toutes les hésitations concernant la prononciation de son nom de famille), Edwige Fenech emménage quelques années plus tard avec sa mère, divorcée, à Nice. Attirée par les paillettes, elle commence à participer à des concours de beauté, et à 16 ans, remporte le prix « Miss Mannequin de la Côte d’Azur » ; en mai 1967, pendant le festival de Cannes, elle sera nommée « Lady France », titre lui donnant l’opportunité de concourir au titre de « Lady Europe ». C’est donc ainsi qu’à seulement 19 ans, repérée par je ne sais quel   obsédé sexuel  découvreur de talents, elle commence sa carrière au cinéma avec le formidable Samoa, reine de la jungle (Guido Malatesta, 1968). Après ce tournage, qui sera rapidement suivi d’un deuxième film aux côtés de Guido Malatesta (Le fils de l’aigle noir), elle emménage en Italie avec sa mère, et commence tout naturellement à enchainer les rôles, le plus souvent dans de petites productions simili-érotiques à tout petit budget, mais la consécration finira par arriver, au début des années 70, grâce au cinéma dit « de genre ».

Elle tourne donc pour Mario Bava dans L’île de l’épouvante (1970), à trois reprises aux côtés de Sergio Martino pour L’étrange vice de madame Wardh (1971), Toutes les couleurs du vice (1972) et Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé (1972), puis s’impose dans Les rendez-vous de Satan (1972) de Giuliano Carnimeo. Sa dernière participation à un giallo se fera devant la caméra d’Andrea Bianchi pour le très moyen Nue pour l’assassin (1975). A partir de 1975, elle trouve en effet un filon juteux et encore inexploité au sein de la comédie érotique italienne: celui des corps de métier, divers et variés. A partir de ce moment et jusqu’à sa retraite anticipée au début des années 80, elle deviendra donc la reine incontestée du genre, en expérimentant toutes sortes de métiers : prof (La prof donne des leçons particulières, La prof et les cancres, La prof connaît la musique), médecin (La toubib du régiment, La toubib aux grandes manœuvres, La toubib prend du galon) policière (La flic chez les poulets, La flic à la police des mœurs, Reste avec nous on s’tire) ou encore taxi (La toubib se recycle). Bien sûr, ces comédies très populaires au cœur desquelles Edwige Fenech dévoilait largement sa plastique n’ont pas eu la même pérennité que ses contributions au cinéma de genre, qui en ont fait une véritable icône du giallo.

Son succès auprès du public, essentiellement masculin, ne s’est jamais démenti au fil des années. Ainsi, plus de trente ans après qu’elle ait délaissé le cinéma pour se concentrer sur sa carrière d’animatrice télé, elle fait finalement une apparition dans Hostel 2 en 2007. La légende raconte qu’Eli Roth est parvenu à la persuader avec l’appui de son ami cinéaste Quentin Tarantino, également fan inconditionnel de l’actrice.

Mais revenons aux Rendez-vous de Satan. Quand la route d’Edwige Fenech croise celle de Giuliano Carnimeo en 1972, celui-ci n’est pas forcément très familier avec le giallo, puisque l’essentiel de sa carrière jusqu’ici était tournée vers le western, spaghetti évidemment, genre au cœur duquel il était parvenu en l’espace de quelques films à se faire un nom prometteur. A l’époque, ce nom, c’était Anthony Ascott, pseudo américanisé quasi-obligatoire à l’époque, qui sera d’ailleurs également utilisé au générique des Rendez-vous de Satan. Et pour un film tourné par un « novice » en la matière, il s’impose d’ailleurs rapidement comme un plutôt bon petit représentant du giallo.

Bien sûr, Carnimeo n’est pas seul à la barre, puisqu’il bénéficie de l’expérience au sein du genre non seulement de ses acteurs, mais également de son équipe : outre l’inusable Bruno Nicolai à la musique, on retrouvera le talentueux Stelvio Massi à la photo, ainsi que l’excellent Ernesto Gastaldi au scénario. Respectueux des codes du genre tels qu’ils ont été recyclés après l’immense succès de L’oiseau au plumage de cristal, le film prend la forme classique du « whodunit », c’est-à-dire qu’il s’agit d’une enquête policière au cours de laquelle le spectateur ne découvrira l’identité du tueur qu’à la toute fin du métrage. Bien sûr, le whodunit à la sauce giallo, dans l’Italie des années 70, cela donne toujours du Agatha Christie en mode vaguement salace, le tout saupoudré de couleurs criardes typiques de l’époque, d’un brin d’hystérie et bien sûr de scènes sexy. Du pur cinéma d’exploitation en somme, qui n’a plus qu’un lien éloigné avec le chef d’œuvre de Mario Bava Six femmes pour l’assassin, qui posait, en 1964, les bases du genre. Pour utiliser une image que tout le monde comprendra, le giallo 70’s, c’est la cousine un peu salope (un peu cagole !) du film de Bava. Mais comme on le disait déjà un peu plus haut, tous les goûts sont dans la nature, et certains trouveront d’avantage de charme à un cinéma d’exploitation qui s’assume pleinement et totalement, quitte à verser (peut-être) dans la vulgarité, qu’à des œuvres transgenres donnant l’impression d’être coincées entre deux époques.

En l’occurrence, on ne pourra pas reprocher à Giuliano Carnimeo un quelconque manque d’élégance : dès les premières minutes du film, le film impose un style visuel soutenu, et une facture technique irréprochable. La scène d’ouverture, qui prend place dans un ascenseur et nous proposera d’assister au premier meurtre, est parfaitement stylisée et dénote d’un sens du découpage assez époustouflant ; de fait, cette introduction donne indéniablement le ton, établissant en l’espace de quelques plans un suspense efficace basé sur les déplacements des gens dans l’ascenseur, qui accentuent au fil des étages la frustration refoulée du tueur. La montée du sentiment de menace est développée de façon efficace, enchaînant les gros plans et les points de vue bizarres : du grand Art. D’une manière générale d’ailleurs, les scènes de meurtres qui rythment Les rendez-vous de Satan s’avéreront absolument jouissives et variées. La scène de la mort du personnage incarné par Carla Brait, attachée dans une baignoire, s’avère tout particulièrement sadique et originale. Au rayon des originalités, le background du personnage de Jennifer (Edwige Fenech) est également assez étonnant, puisque le scénario fait explicitement un lien entre les communautés hippies, qui prônaient l’amour libre et les partouzes à gogo, et les sectes criminelles : en 1972, les massacres perpétrés en 69 par la « famille » de Charles Manson étaient encore dans toutes les mémoires…

Cependant, malgré ce que suggère le titre français du film, on ne trouvera pas de trace dans Les rendez-vous de Satan de la moindre intrigue orientée « satanisme » ou messes noires. Puisqu’une secte apparait dans le film, le distributeur français s’était probablement dit qu’il serait bon de surfer sur le succès de films tels que L’exorciste (William Friedkin, 1973), La malédiction (Richard Donner, 1976) ou encore La sentinelle des maudits (Michael Winner, 1977). Le diable n’a donc rien à faire dans notre histoire, et ne comptez pas sur critique-film.fr pour faire des blagues vaseuses mettant en parallèle la présence d’Edwige Fenech au casting et le pseudo-caractère satanique du film, les vannes éculées genre « Satan l’habite », très peu pour nous, on est des garçons sérieux dans l’équipe.

Côté réalisation, Carnimeo assure le show, avec une mise en scène souvent très énergique, n’hésitant pas à proposer de nombreux plans tournés caméra à l’épaule, à multiplier les points de vue par l’usage de miroirs, et à utiliser de fréquents décadrages afin de souligner, de façon plutôt bien pensée, l’aspect décadent et l’ambiance lourde de l’ensemble. L’intrigue du film évolue sans temps mort, et multiplie les suspects potentiels : les meurtres ont en effet tous lieu dans un vaste complexe d’appartements, et les habitants, qui semblent tous avoir des choses à cacher, sont tous présentés à la façon de véritables stéréotypes du genre. Les lieux à proprement parler sont également utilisés de façon habile, ce qui rendra les rebondissements très efficaces, d’autant que, on l’a déjà souligné, les scènes de meurtres plutôt inventives dans leur genre. Au final, Les rendez-vous de Satan s’avérera une belle petite réussite du giallo, à la fois atmosphérique, violent, décadent et coloré, avec également une petite pointe d’humour, introduite par le biais des personnages des deux policiers, hauts en couleurs : le film de Giuliano Carnimeo s’avère donc divertissant, et même sacrément réjouissant, de bout en bout. On notera également la présence d’un étrange épilogue, donnant l’impression d’une « boucle » et faisant naitre, de fait, un doute dans l’esprit du spectateur sur la culpabilité du meurtrier désigné…

Le Blu-ray

[5/5]

Avec cette édition Combo Blu-ray + DVD des Rendez-vous de Satan, Le chat qui fume nous livre à nouveau un travail éditorial impressionnant et assez extraordinaire, du genre qui impose le respect avant même le déballage puisque comme à son habitude, l’éditeur nous propose une édition limitée à 1000 exemplaires s’affichant dans un superbe digipack trois volets surmonté d’un fourreau cartonné. Comme d’hab également, la maquette est signée Frédéric Domont, alias Frhead Domont, alias BaNDiNi, et s’avère tout simplement somptueuse.

Le film de Carnimeo et les suppléments sont donc réunis sur un beau Blu-ray : chapeau bas au Chat qui fume donc, d’autant plus que la qualité du master Haute Définition est globalement excellente : pas de souci de compression, encodage maitrisé, format respecté et version intégrale… Du grand Art. Si l’image pourra paraître un poil douce sur la séquence du générique, la définition reprend ses droits par la suite ; le piqué est précis, l’image toujours parfaitement stable, les couleurs sont littéralement explosives et le grain argentique semble avoir été préservé avec soin. Les contrastes ne manquent pas de punch, et semblent même avoir été tout particulièrement boostés lors des passages nocturnes, qui affichent des noirs peut-être un chouïa trop denses. Du très beau travail donc, que l’on retrouvera également au niveau sonore, avec deux pistes (italienne / française) mixées en DTS-HD Master Audio Mono 2.0 : les deux pistes permettront une immersion idéale dans ce petit giallo des familles. Le rendu acoustique s’avère en effet relativement dynamique, d’une belle clarté, sans souffle ni craquements disgracieux, sur l’on fasse le choix de visionner le film en VO ou en VF. Rien à redire niveau technique donc, le travail du Chat est toujours fait, et bien fait. On notera que les scènes coupées, courtes et parfois vraiment très anecdotiques, sont réintégrées au métrage et proposées en version originale sous-titrée.

Passons maintenant aux suppléments : Le chat qui fume nous propose tout d’abord un entretien avec George Hilton (« Les fleurs de sang »). Ce mythique acteur du cinéma bis reviendra en un peu plus de vingt minutes sur sa carrière, ses rencontres, et les films lui ayant permis de sortir occasionnellement du western spaghetti. Il évoquera avec une certaine nostalgie son amitié avec Edwige Fenech, de même que sa rencontre avec le réalisateur Giuliano Carnimeo ; il ne tarit d’ailleurs pas d’éloges sur son travail de metteur en scène. Ses souvenirs du tournage des Rendez-vous de Satan semblent tout particulièrement liés à la ville de Gênes, qu’il apprécie beaucoup, ainsi qu’à quelques scènes en particulier. Un bandeau juste avant l’entretien prévient d’ailleurs le spectateur que les propos de George Hilton révèlent la fin du métrage : en effet, l’une des anecdotes ne peut être révélée ici sous peine de vous [SPOILER] le plaisir. L’acteur évoquera également sa perplexité devant la signification des derniers plans du film. On continuera ensuite avec un entretien avec Paola Quattrini (« Marilyn »), qui reviendra également de façon rapide sur sa carrière d’actrice, sans pour autant réussir à remettre le doigt sur des souvenirs précis du tournage du film, qu’elle a revu sans pour autant parvenir à se remémorer d’anecdotes concernant ses quelques jours de tournage. Si bien sûr c’est un peu dommage, on la pardonnera en se disant que la dame va tout de même sur ses 75 ans. Et honnêtement, vous arriveriez à vous souvenir de ce que vous avez fait au boulot durant une semaine donnée il y a 47 ans de cela ?

Ensuite, on abandonnera les acteurs pour se plonger dans une riche présentation du film par Francis Barbier (« Les rendez-vous d’Edwige »). Utilisant un ton juste, ni trop analytique ni trop superficiel, le journaliste de DeVilDead.com évoque les qualités formelles et thématiques des Rendez-vous de Satan, avec quelques illustrations par l’exemple et analyses de séquences en particulier, sans oublier bien sûr l’inévitable énumération des noms au casting du film de Carnimeo. Et comme en réponse à George Hilton dans le sujet évoqué un peu plus haut, Barbier livrera pour terminer sa propre interprétation de l’épilogue du film. Enfin, on terminera le tour des suppléments avec une petite poignée de bandes-annonces estampillées Le chat qui fume.

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