Test Blu-ray : Frayeurs

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1999

Frayeurs

 
Italie : 1980
Titre original : Paura nella città dei morti viventi
Réalisation : Lucio Fulci
Scénario : Dardano Sacchetti, Lucio Fulci
Acteurs : Catriona MacColl, Christopher George, Carlo De Mejo
Éditeur : Artus Films
Durée : 1h32
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 10 décembre 1980
Date de sortie DVD/BR : 2 octobre 2018

 

 

Dans le cimetière de Dunwich, un prêtre se suicide par pendaison, ce qui a pour conséquence d’ouvrir les portes de l’enfer, et de libérer les morts-vivants sur terre. Lors d’une séance de spiritisme, la jolie Marie succombe d’effroi après avoir reçu la vision de la mort du prêtre. Mais elle n’est pas vraiment morte, et est sauvée de justesse, avant sa mise au tombeau, par Peter, un journaliste. Les deux se rendent alors à Dunwich : il faut refermer les portes de l’enfer avant la Toussaint, dans trois jours. S’ils échouent, les morts sortiront de leurs tombes et envahiront la terre…

 

 

Le film

[4,5/5]

Il n’est point besoin d’être particulièrement érudit et/ou spécialiste en littérature anglo-saxonne pour deviner, dès les premières minutes de Frayeurs, que le scénario imaginé par Dardano Sacchetti et Lucio Fulci se veut un hommage appuyé à l’œuvre de Howard Phillips Lovecraft. En effet, dès le plan d’ouverture, le film emmène le spectateur dans le cimetière de Dunwich – ville imaginaire du Massachusetts créée par Lovecraft pour les besoins de la nouvelle « L’abomination de Dunwich » en 1929. De fait, les auteurs du film ont ainsi opté pour une façon habile de « préparer » le spectateur à ce qui va suivre, en le plaçant d’entrée de jeu au cœur d’un monde macabre, au cœur duquel il sait qu’il risque de perdre tout repère rationnel.

Mais replaçons un instant Frayeurs dans son contexte historique. Le film approchant bientôt de son quarantième anniversaire, on peut légitimement supposer que beaucoup de cinéphiles n’ont, de nos jours, pas eu la chance de le découvrir en salles à sa sortie. En raison des conditions de conservation et de disponibilité des films tournés à l’époque, on peut également supposer que, dans le cas de Fulci comme de beaucoup d’autres cinéastes parmi ses contemporains ayant essentiellement œuvré dans le cinéma « bis » ou « d’exploitation » durant les années 70/80, la perspective de découvrir l’œuvre de Lucio Fulci de façon chronologique est tout bonnement inconcevable. En 2018, il semble donc tout à fait envisageable, et voire même tout à fait probable, de découvrir L’au-delà avant d’avoir vu Frayeurs. Or, en l’occurrence, il semblerait bien que le fait de le découvrir en négligeant l’ordre dans lequel ils ont été tournés peut en quelque sorte desservir l’expérience que représente le film de Fulci.

 

 

La raison en est simple : Frayeurs s’impose en effet comme une espèce de « brouillon » de L’au-delà, fonctionnant selon la même logique narrative et esthétique, mais emportant le spectateur un peu moins « loin » dans sa vision. Les deux films fonctionnent donc selon la même mécanique, et s’avèrent très voisins l’un de l’autre : ils ont été tournés avec la même équipe technique (Dardano Sacchetti au scénario, Sergio Salvati à la photo, Fabio Frizzi à la musique…), la même actrice principale Catriona MacColl, et en suivant les mêmes inspirations littéraires (Lovecraft surtout, avec une pointe d’Edgar Allan Poe). Les films développent également tous deux une narration morcelée et volontiers irrationnelle, suivant une espèce de logique du rêve, quasi-onirique, se basant sur une atmosphère, un climat général de déliquescence, de terreur sourde et incontrôlée. La peur et la folie prennent donc le pas sur la narration, qui ne s’embarrassera pas de crédibilité, mais le rythme de l’ensemble est tel que le spectateur ne se posera finalement que peu de questions, acceptant sans broncher ce que Fulci lui jette en pâture, telle que cette séquence visuellement sublime durant laquelle Catriona MacColl se retrouve enterrée vivante – ce qui, en 1980, avec les évolutions de la médecine légale et de la thanatopraxie, parait un peu plus dur à avaler qu’à l’époque bénie d’Edgar Allan Poe.

L’ambiance doucement bizarre et irrationnelle de Frayeurs est encore renforcée par les nombreuses scènes gore du film, souvent bien craspec, visions horrifiques inspirées et réellement marquantes – difficile par exemple d’oublier la mort du personnage incarné par Giovanni Lombardo Radice, surtout si vous avez découvert le film dans votre enfance ou votre adolescence. On notera également un gros travail sur le son durant tout le métrage, qui tend encore à renforcer cette ambiance délétère : sirènes, cris d’animaux sauvages, grondements divers… Des bruits irréels, incongrus, auxquels viendra s’ajouter un nouveau cri en toute fin de métrage, menace invisible contournant le traditionnel happy end en ajoutant une dose d’inconnu à l’ensemble. Alors bien sûr, on pourra trouver d’avantage de qualités à L’au-delà, qui pousse cette esthétique macabre jusque dans ses derniers retranchements, mais malgré ses défauts, Frayeurs s’avère tout de même une réussite, qui plus est détachée des « influences » sous lesquelles croulait le cinéma de genre italien de l’époque, dans le sens où beaucoup de films se contentaient d’exploiter un filon créé par un gros succès commercial. Frayeurs en revanche n’évoluait dans le sillon d’aucun autre film, se basant sur un univers fantasmagorique certes sous influence, mais tout à fait personnel dans son genre. De plus, si le film s’impose comme une espèce de brouillon de L’au-delà, il n’est pas interdit non plus de lui préférer celui-ci, qui présente l’audace et la spontanéité des premiers jets…

 

 

Le Combo Blu-ray + DVD

[5/5]

C’est donc Artus Films qui nous propose aujourd’hui de redécouvrir Frayeurs, dans une nouvelle livraison de sa superbe collection consacrée à Lucio Fulci. Comme dans le cas de L’enfer des zombies et de L’au-delà, ce nouveau film s’offre un superbe Combo Blu-ray + DVD présenté dans un classieux mediabook garni d’un livret de 80 pages intitulé « Frayeurs : une porte vers l’univers tentaculaire de H.P. Lovecraft », et proposant des textes signés Guillaume Flouret, Gilles Menegaldo et Gilles Vannier, sous la direction de Lionel Grenier (du site luciofulci.fr), le tout étant naturellement accompagné de nombreuses photos. Ce passionnant petit bouquin revient principalement sur les diverses adaptations de Lovecraft au fil des années. En deux mots comme en cent, plus qu’aucune autre édition Blu-ray disponible de par le monde (et on sait qu’il y en a déjà beaucoup pour ce film en particulier !), le packaging de l’édition Artus Films de Frayeurs s’impose comme une véritable référence, un très bel objet de collection que l’on sera tous fiers de voir trôner sur nos étagères.

Côté technique, et comme à son habitude, l’éditeur français nous livre avec ce Blu-ray de Frayeurs une belle copie au format 1.85 respecté, et nous propose un master propre, aux contrastes soignés et à l’encodage sans faille réelle (on notera tout au plus une légère pixellisation sur les aplats des scènes les plus sombres), rendant un bel hommage à la magnifique et éthérée photo du film signée Sergio Salvati. Le rendu global est certes un peu lissé par un petit abus de DNR, mais projeté sur un écran de grande taille, c’est globalement agréable à l’oeil, on ne va pas chipoter. Côté son, on retrouvera naturellement les pistes VO et VF en LPCM 2.0 et mono d’origine, un poil étouffée par moments, un poil stridente à d’autres, mais collant toujours parfaitement à l’ambiance du film. On notera un élément amusant dans la VF : quand les deux fossoyeurs qui s’apprêtent à enterrer vivante Catriona MacColl prennent leur pause déjeuner, l’un des deux affirme avoir été au cinéma la veille afin de voir un film de Woody Allen, un réalisateur qui « aime les femmes ». Dans la version française, on a droit à un dialogue tout à fait différent :« Tiens au fait, j’ai été au cinéma hier soir. J’ai été voir un film d’horreur. T’as entendu parler de L’enfer des zombies ? » – « ah oui, il paraît que c’est un bon film… » – « mh, tu devrais aller le voir ! ».

 

 

Dans la section suppléments, on trouvera tout d’abord un entretien avec Catriona MacColl, qui évoque ses débuts et son premier film avec Lucio Fulci. Réticente à l’idée de tourner dans un film d’horreur, son agent lui avait conseillé d’accepter, tout simplement parce que « personne ne verrait ce film ». Si elle se souvient de la bonne ambiance qui régnait entre les prises, l’actrice semble en revanche garder un mauvais souvenir du tournage de la séquence du cercueil, qui l’avait angoissé, mais aussi et surtout de la séquence de la « tornade d’asticots », très désagréable à tourner et à l’occasion de laquelle Lucio Fulci avait fait preuve d’un certain sadisme, faisant durer la séquence plus que de raison.

On se régalera ensuite d’un entretien avec le décorateur Massimo Antonello Geleng, qui évoque sa rencontre et la difficulté du premier contact avec Lucio Fulci, le cinéaste s’étant avéré sceptique quant au talent du décorateur. Des réticences probablement liées au fait que Frayeurs était sa première expérience sur un film d’horreur… Il révèle ainsi que la quasi-totalité des décors du film ont du être fabriqués en studio, et que les peintures que l’on voit dans le film sont également son œuvre : il est en effet fasciné par la figure de « l’œil » en art. Il reviendra également sur le tournage de la scène des asticots, et se souviendra que quelqu’un avait mis une pognée d’asticots dans la bouteille de whisky de Lucio Fulci, et que ce dernier s’était mis dans une colère noire. Il terminera son intervention en rendant hommage aux effets spéciaux ainsi qu’à la photographie du film.

 

 

On continuera avec un entretien avec Giovanni Lombardo Radice, qui doit le moment de gloire de sa carrière à Fulci, puisque c’est lui qui incarne Bob, le personnage qui se fait « vriller » la tête dans Frayeurs. En un peu plus de trente minutes et dans un entretien enregistré en français, il revient sur son personnage (qui devait à l’origine être bossu), sur son amitié / rivalité avec Michele Soavi qui jouait également dans le film, et reviendra par la suite sur une série d’anecdotes : une anecdote culinaire puis quelques-unes liées au caractère de Lucio Fulci, qui s’était notamment énervé sur l’actrice qui incarnait Anne, la fille de Venantino Venantini dans le film, qui se prenait un peu pour une diva : son identité demeurera d’ailleurs un mystère, puisque l’acteur ignore son nom, et elle n’est pas non plus créditée au générique du film.

Enfin, on trouvera une analyse du film par Lionel Grenier, très complète et intéressante, remettant de façon brillante le film dans son contexte de tournage. Le créateur du site de référence luciofulci.fr a cette fois particulièrement soigné sa syntaxe ; on notera que son sujet a probablement été enregistré avant la sortie en Blu-ray et DVD de Selle d’argent chez Artus Films, puisqu’il déclare que ce dernier est toujours inédit en France. On terminera avec les classiques galeries de photos et bandes-annonces. Une édition indispensable !

 

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