Test Blu-ray : Deux Flics à abattre

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Deux Flics à abattre

Italie : 1976
Titre original : Uomini si nasce poliziotti si muore
Réalisation : Ruggero Deodato
Scénario : Fernando Di Leo, Alberto Marras, Vincenzo Salviani
Acteurs : Marc Porel, Ray Lovelock, Adolfo Celi
Éditeur : Elephant Films
Durée : 1h36
Genre : Policier, Thriller
Date de sortie DVD/BR : 22 août 2023

Alfredo et Antonio luttent contre le crime au sein d’une unité spéciale très particulière, au-dessus de toutes institutions et lois. Ils opèrent dans l’arrogance la plus totale, mais quand ils doivent traquer Roberto Pasquini, un membre éminent du milieu, les choses se compliquent sérieusement…

Le poliziottesco

Ce mois-ci, Elephant Films met en avant le « poliziottesco » ou néo-polar italien, également connu sous le nom de polar bis italien, avec la sortie de trois films inédits au format Blu-ray : Deux Flics à abattre, Colère noire et Mister Scarface. On ne peut que saluer chaleureusement l’initiative de l’éditeur afin de placer sur le devant de la scène un genre malheureusement encore trop peu connu en France.

Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec le poliziottesco, ce genre typique de l’Italie des « années de plomb » s’avérait volontiers extrêmement violent, putassier et démagogique s’attachait à relater sur un ton noir et sans concessions des faits divers sanglants, le plus souvent traités de façon outrancière. En effet, comme pour renouveler l’esprit du western « spaghetti » tournés dans les années 60, les flics du genre poliziottesco étaient souvent montrés comme de véritables cowboys, solitaires et adeptes de la loi du talion, tandis que les truands prenaient souvent des allures de salopards intégraux, dont la plus infime trace de valeur morale avait été réduite à néant par des années de soumission à la société capitaliste.

Si le poliziottesco était souvent absolument jouissif jusque dans ses excès (violence, gore, nudité, usage de drogues, viols, rackets, homophobie…), le genre s’avère politiquement un peu plus difficile à cerner : le néo-polar proposait en effet une vision de la société italienne de l’époque en totale déliquescence sociale et morale, corrompue par la lutte des classes et sans juste milieu entre une bourgeoisie insouciante (et forcément décadente) et le reste de la population, obligé de survivre dans la misère. Ces caractéristiques ont ainsi valu au poliziottesco d’être parfois considéré comme un cinéma à tendance anarchiste, ou à contrario fasciste, voire « je-m’en-foutiste » ou apolitique.

Le film

[4/5]

Inédit en France en salles comme en VHS, Deux Flics à abattre est un film que les amoureux du genre « poliziottesco » ont découvert au début des années 2000 sous le titre Live like a cop, Die like a man, grâce à une édition Import qui permit à l’époque aux plus curieux de découvrir cette seule et unique incursion de Ruggero Deodato dans le genre. Et quelle incursion ! Deux Flics à abattre nous propose en effet de découvrir, sur un mode proche de la chronique, le quotidien de deux policiers faisant partie d’une « force spéciale » secrète luttant contre la mafia romaine en utilisant des méthodes… hum, disons « peu orthodoxes ».

La présence au générique de Ruggero Deodato pouvait laisser augurer d’un film sérieux, presque à message, cherchant à développer une réflexion sur la propagation de la violence urbaine, de la même façon dont le cinéaste avait utilisé l’intrigue de Cannibal Holocaust afin de livrer au spectateur un message sur la violence de la société italienne. On l’attendait d’autant plus que le scénario est signé Fernando Di Leo, spécialiste d’un poliziottesco solide et sérieux. Dans le cas de Deux Flics à abattre, il n’en est absolument rien. Contre toute attente, il s’agit en effet d’un film d’action plutôt léger, ce qui ne l’empêche par ailleurs pas de s’avérer absolument badass, violent et de très mauvais goût.

Cette volonté de se vautrer dans le sordide tout en proposant au spectateur un solide divertissement se traduira à l’écran par un rythme échevelé, ne nous laissant que peu le temps pour reprendre notre souffle. Ainsi, dès la séquence d’ouverture de Deux Flics à abattre, nos deux condés interprétés par Marc Porel et Ray Lovelock se lancent dans une course-poursuite à moto contre des voleurs de sacs à main. Cette poursuite leur vaudra de saccager la moitié de la ville, mais permettra aussi et surtout à Deodato de nous proposer une séquence à couper le souffle tournée sans autorisation dans le trafic de Rome à l’heure de pointe. Au terme de cette intro de près de dix minutes, pour bien montrer au spectateur que ses héros sont de véritables voyous, on verra Marc Porel briser la nuque du voleur à l’arrachée…

Vous l’aurez compris, Deux Flics à abattre va beaucoup plus loin que ses contemporains en ne nous présentant pas un protagoniste central moralement ambigu, mais carrément deux flics flics hors-la-loi, adeptes d’une justice plus qu’expéditive et présentés par Ruggero Deodato comme de véritables machos, sadiques et coureurs de jupons. La lourde insistance du cinéaste afin de faire de ses personnages deux symboles de virilité tend d’ailleurs à sous-entendre de façon détournée que les deux personnages sont d’ailleurs des homosexuels refoulés. Ce sentiment est d’ailleurs largement renforcé par la discussion qu’ils ont avec la très libéré Sonia (Silvia Dionisio), mais également par le fait que les deux hommes partagent pratiquement tout : l’appartement, la moto, et même les faveurs d’une nymphomane (Sofia Dionisio) lors d’une scène assez surréaliste. D’ailleurs, Davide Pulici, co-fondateur avec Manlio Gomarasca du magazine Nocturno et spécialiste de la carrière de Fernando Di Leo a confirmé il y a quelques années que le scénario original comprenait des allusions homosexuelles évidentes entre les deux protagonistes principaux.

L’humour tient d’ailleurs une part importante au cœur de Deux Flics à abattre, qui enchaîne les dialogues vulgaires et amusants, et le film nous offre même une apparition « clin d’œil » d’Alvaro Vitali, figure incontournable de la comédie érotique à l’italienne des années 70/80. Pour le reste, le film de Ruggero Deodato adopte comme on l’a déjà dit un peu plus haut une structure proche de la chronique, les interventions de police se succédant les unes après les autres sans que cela ne fasse évoluer le fil rouge en arrière-plan, qui consiste en l’arrestation d’un dangereux criminel nommé Pasquini (Renato Salvatori). Il faudra attendre le dernier tiers de Deux Flics à abattre pour que le fil ténu tournant autour du truand prenne enfin l’ascendant sur le reste et que l’intrigue « principale » démarre enfin… même si Ruggero Deodato s’en tirera par une pirouette facétieuse en refusant clairement de livrer au public le final qu’il s’attendait à voir.

Le Blu-ray

[4,5/5]

On ne change pas une équipe qui gagne : après nous avoir proposé un superbe coffret Fernando Di Leo – La trilogie du Milieu au printemps 2021, Elephant Films nous propose aujourd’hui de découvrir au format Blu-ray trois nouveaux poliziotteschi : Deux Flics à abattre, Colère noire et Mister Scarface.

Chapeau bas à Elephant Films donc, d’autant plus que la qualité du master Haute Définition de Deux Flics à abattre est globalement excellente : pas de souci de compression, encodage maîtrisé, format respecté et version intégrale… Du grand Art. Si l’image pourra paraître un poil douce sur la séquence du générique, la définition reprend ses droits par la suite ; le piqué est précis, l’image toujours parfaitement stable, les couleurs sont littéralement explosives et le grain argentique semble avoir été préservé avec soin. Les contrastes ne manquent pas de punch, et semblent même avoir été tout particulièrement boostés lors des passages nocturnes, qui affichent des noirs peut-être un chouïa trop denses. Du très beau travail donc, que l’on retrouvera également au niveau sonore, avec deux pistes (italienne / anglaise) mixées en DTS-HD Master Audio Mono 2.0 : les deux pistes permettront une immersion idéale dans ce petit poliziottesco des familles. Le rendu acoustique s’avère en effet relativement dynamique, d’une belle clarté, sans souffle ni craquements disgracieux, et les sous-titres ne posent pas de problème particulier.

Du côté des bonus, chaque Blu-ray de cette vague « Les Années de plomb » éditée par Elephant Films contient tout d’abord un livret de 24 pages signé Alain Petit et consacré au poliziottesco. Mais la section suppléments de la galette Blu-ray de Deux Flics à abattre n’est pas en reste, et s’avère même assez bien fournie, avec plus d’une heure de bonus qui passionneront à coup sûr les cinéphages. On commencera par une présentation du film par Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (21 minutes), qui comme à leur habitude replaceront le film dans son contexte tout en gardant un œil critique sur l’œuvre. Le fait que les deux intervenants interviennent tous les deux sur le ton badin de la discussion permet à leur présentation de conserver un excellent rythme, sans le moindre sentiment d’ennui à l’horizon. On continuera ensuite avec un making of rétrospectif (40 minutes) qui reviendra sur le tournage du film par le biais d’entretiens avec Ruggero Deodato et Ray Lovelock. Les sujets abordés sont divers, mais portent notamment sur la rivalité supposée entre les deux acteurs principaux, la violence du film, son impact sur le public ou encore la façon dont la scène de poursuite qui ouvre le film a été tournée dans les rues de Rome… Très complet et intéressant ! On terminera enfin avec une poignée de bandes-annonces ainsi qu’avec une série de publicités commentées par Ruggero Deodato (20 minutes). Pour l’essentiel, il s’agit de spots noir et blanc réalisés par Deodato pour la télévision italienne. Le cinéaste y reviendra sur les particularités de tournage de chacune d’entre elles.

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