Apocalypse Now – Final Cut
États-Unis : 1979
Titre original : –
Réalisation : Francis Ford Coppola
Scénario : Francis Ford Coppola
Acteurs : Martin Sheen, Robert Duvall, Marlon Brando
Éditeur : Pathé
Durée : 3h02
Genre : Guerre
Date de sortie cinéma : 26 septembre 1979
Date de sortie BR/4K : 19 novembre 2025
Lors de la guerre du Viêt Nam, les services secrets militaires américains confient au capitaine Willard la mission de trouver et d’exécuter le colonel Kurtz dont les méthodes sont jugées « malsaines ». Celui-ci, établi au-delà de la frontière avec le Cambodge, a pris la tête d’un groupe d’indigènes et mène des opérations contre l’ennemi avec une sauvagerie terrifiante. Au moyen d’un patrouilleur mis à sa disposition, ainsi que de son équipage, Willard doit remonter le fleuve jusqu’au plus profond de la jungle pour éliminer l’officier. Au cours de ce voyage, il découvre, en étudiant le dossier de Kurtz, un homme très différent de l’idée qu’il s’en faisait. Comment cet officier au parcours exemplaire a-t-il pu devenir le fou sanguinaire qu’on lui décrit ?
Le film
[5/5]
Apocalypse Now ne commence pas, il s’abat littéralement sur le spectateur, comme la foudre venue du doigt du Dieu Celluloïd, ou comme une diarrhée existentielle sur un tapis persan. Dès ses premières secondes, avec les hélicos en slow-mo et la voix de Jim Morrison qui annonce que « this is the End », le film de Francis Ford Coppola impose une ambiance de fin du monde, moite, hallucinée, et vaguement sexuelle. Le capitaine Willard, incarné par un Martin Sheen imbibé comme un vieux gant de toilette, est convoqué pour une mission secrète : éliminer le colonel Kurtz, planqué dans la jungle cambodgienne, devenu gourou, fou, et probablement allergique au shampooing.
Apocalypse Now n’est pas un film de guerre au sens traditionnel du terme. C’est un film sur la guerre du dedans. La jungle n’est qu’un prétexte pour explorer les méandres du cerveau humain, ses pulsions, ses contradictions, ses envies de tout brûler en dansant nu autour d’un feu. Le voyage de Willard est une descente aux enfers, une odyssée freudienne en bateau, avec des arrêts touristiques chez les surfeurs militaires, les lapins Playboy, et les chefs de village qui décapitent leurs ennemis comme on épluche des bananes. Le film évoque la folie, la déshumanisation, et cette étrange beauté qui surgit parfois au milieu du chaos, comme un tigre sautant sur un soldat en plein cœur de la jungle.
D’un point de vue formel, Apocalypse Now est une véritable orgie visuelle et sonore. Le travail de Vittorio Storaro à la photographie est à tomber par terre, puis à se relever pour tomber à nouveau. Chaque plan est une peinture, chaque ombre une menace. Le montage, signé Walter Murch, joue avec le temps comme un enfant joue avec ses crottes de nez : sans pudeur, mais avec une précision chirurgicale. La séquence du pont, éclairée comme une rave party sous LSD, reste un sommet de mise en scène. Et que dire du son ? Les nappes de bruit, les voix off, les explosions, tout participe à une immersion totale, presque trop intense, comme un orgasme prolongé qui finit par faire mal au zob.
Chef d’œuvre absolu, quel que soit le montage à travers lequel vous déciderez de vous y plonger corps et âme, le film de Francis Ford Coppola s’inscrit au cœur d’une époque – malheureusement révolue – où le cinéma américain osait tout – tout dire, et tout montrer. On pense à Voyage au bout de l’enfer, à Taxi Driver, à Délivrance, et plus largement à tous ces films issus du Nouvel Hollywood qui regardaient l’Amérique dans le blanc des yeux, et n’y voyaient qu’un trou noir. Mais Apocalypse Now va plus loin encore. Il ne se contente pas de dénoncer, il dissèque, il expose, il vomit. Et il le fait avec une ambition folle, presque suicidaire. Coppola a mis sa carrière, sa santé mentale, et son compte en banque dans la balance. Et le résultat est là : un monument, un délire, une œuvre qui ne vieillit pas.
Et c’est là qu’intervient Aux cœurs des ténèbres (alias Hearts of Darkness), le documentaire réalisé par Fax Bahr et George Hickenlooper à partir des images tournées par Eleanor Coppola en 1976/77. Ce monumental making of est plus qu’un bonus : c’est le film du film, le miroir de l’enfer, le témoignage vivant de toutes ces histoires folles que l’on raconte sur Apocalypse Now. On y découvre les coulisses du tournage, les crises, les accidents, les tempêtes, les infarctus, les egos surdimensionnés, et les moustiques. On y voit Francis Ford Coppola en slip, en sueur, en larmes, en transe. On comprend qu’Apocalypse Now n’a pas été tourné, mais plutôt arraché à la réalité, comme une dent cariée sans anesthésie.
Sorti sur les écrans en 1991, Aux cœurs des ténèbres est un chef-d’œuvre du documentaire. Il montre le processus créatif dans ce qu’il a de plus brutal, de plus viscéral. Il interroge la frontière entre génie et folie, entre ambition et destruction. Il rappelle que le cinéma, parfois, c’est une guerre. Et que ceux qui en sortent vivants ne sont jamais tout à fait les mêmes. Le film est aussi une déclaration d’amour au chaos, à l’improvisation, à l’instinct. On y voit des scènes coupées, des dialogues réécrits à la dernière minute, des acteurs perdus, des techniciens épuisés. Et pourtant, tout cela, tout ce bordel-là, a donné naissance à une œuvre immortelle.
De fait, Apocalypse Now et Aux cœurs des ténèbres forment un diptyque fascinant, et assez unique dans l’Histoire du cinéma. L’un montre la guerre sous un angle inédit, l’autre montre la guerre sur le plateau de tournage. L’un est une fiction hallucinée, l’autre une réalité encore plus dingue. Ensemble, ils racontent une époque, une vision, une folie. Ils rappellent que le cinéma peut être grand, beau, sale, dangereux, et qu’il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir d’un réalisateur en crise avec un hélicoptère et une caméra. Absolument indispensable.
Le Blu-ray 4K Ultra HD
[4,5/5]
Le nouveau Blu-ray 4K Ultra HD de Apocalypse Now – Final Cut, édité par Pathé quelques années après une première édition 4K s’échangeant aujourd’hui à prix d’or sur le marché de l’occasion, est un beau morceau. Il s’agit d’une édition, comprenant le Blu-ray 4K Ultra HD du film en version Final Cut, le Blu-ray 4K Ultra HD du documentaire Hearts of Darkness (Aux cœurs des ténèbres), ainsi que les deux films en Blu-ray. Côté image, le Blu-ray 4K Ultra HD d’Apocalypse Now – Final Cut en Dolby Vision est une grosse claque dans la gueule. Restauré à partir du négatif original, le film retrouve une profondeur de champ, une richesse de couleurs et une précision des contrastes qui donnent envie de pleurer dans un casque audio. Les scènes nocturnes dans la jungle sont d’une lisibilité bluffante, les flammes dansent avec une sensualité presque pornographique, et les visages suintent comme des steaks oubliés au soleil. Le format 2.35:1 est respecté, et chaque plan semble avoir été repassé au fer à vapeur par un technicien amoureux. Le son, lui, est une expérience mystique. La VO en Dolby Atmos offre une spatialisation d’une finesse rare, avec des effets de profondeur qui donnent l’impression d’être dans le bateau avec Willard, à sentir les moustiques et les regrets. Les voix sont claires, les basses puissantes, et les ambiances sonores extrêmement enveloppantes. La VF, absente de l’édition 2019, fera le plaisir des nostalgiques du doublage d’époque : elle est disponible dans des mixages DTS-HD Master Audio 5.1 et DTS-HD Master Audio 2.0, et s’avèrent, dans les deux cas, tout à fait satisfaisantes. Hearts of Darkness est quant à lui proposé en VO only, et DTS-HD Master Audio 5.1. Que demande le peuple ?
Les suppléments du Blu-ray 4K Ultra HD d’Apocalypse Now sont à la hauteur du mythe. On commence avec une introduction de Francis Ford Coppola (4 minutes), sobre et touchante. Le commentaire audio d’archives de Francis Ford Coppola et Eleanor Coppola sur Aux cœurs des ténèbres est passionnant, offrant un regard intime sur le chaos du tournage. La discussion entre Coppola et Steven Soderbergh au Festival de Tribeca (48 minutes) est un bijou, pleine d’anecdotes et de réflexions sur le cinéma. Les coulisses du film (22 minutes), tournées en Super 8 par Jack Jacobsen, sont une plongée brute dans le quotidien du tournage. L’œil de Chas Gerretsen (32 minutes) propose un entretien fascinant avec le photographe de plateau, qui revient sur les tensions, les improvisations, et les moments de grâce. Les modules techniques sont plus courts mais intéressants : « Remasteriser la légende » (3 minutes), « Quarante ans d’évolution » (2 minutes), et « La technologie Sensual Sound » (4 minutes) permettent de comprendre les enjeux de la restauration et du mixage. En somme, le Blu-ray 4K Ultra HD d’Apocalypse Now est une édition de référence, indispensable pour tout cinéphile qui se respecte (ou qui aime les moustaches et les hélicos). L’image est sublime, le son est divin, et les bonus sont aussi riches qu’un buffet de mariage dans une secte cambodgienne. Un achat obligatoire, même si on n’a pas de lecteur 4K – rien que pour le plaisir de le regarder, de le toucher, et de se dire qu’on possède un bout de l’enfer, bien rangé dans une étagère.

























