Critique : The Little Stranger

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The Little Stranger

Royaume-Uni, Irlande, 2018
Titre original : The Little Stranger
Réalisateur : Lenny Abrahamson
Scénario : Lucinda Coxon, d’après le roman de Sarah Waters
Acteurs : Domhnall Gleeson, Ruth Wilson, Will Poulter, Charlotte Rampling
Distribution : Pathé
Durée : 1h51
Genre : Drame fantastique
Date de sortie : 26 octobre 2018

Note : 3/5

Où le chemin d’une carrière peut-il bien mener, une fois que la consécration est arrivée de façon impromptue ? Rester fidèle à son style d’origine ou suivre l’appel de l’argent, tel a dû être le dilemme face auquel s’est trouvé Lenny Abrahamson, suite à sa nomination à l’Oscar du Meilleur réalisateur pour Room. The Little Stranger, le film d’après en quelque sorte, nous paraît être un (très) bon compromis, une œuvre somptueuse qui sait pourtant distiller un certain malaise à travers ce sentiment jamais plaisant de ne pas appartenir au monde auquel on aspire. Le décor de la vieille demeure, qui suscite surtout une nostalgie assez malsaine, y exerce une influence sur les personnages, que la mise en scène se garde soigneusement de trop expliciter. L’aspect fantastique de l’intrigue est ainsi presque négligé, au profit de la tension potentiellement lugubre entre le protagoniste, un médecin de campagne des plus serviables, et sa famille de substitution, un clan de riches propriétaires sur le déclin. Cette friction des intentions sous-tend le récit dans son ensemble, grâce à une intensité en sourdine de la part de la narration, qui ne retombe que lors de la chute finale, par ailleurs assez peu convaincante. Tout ce qui la précède confirme cependant le talent du réalisateur à nous emmener dans des microcosmes peu hospitaliers, qui font néanmoins preuve d’un pouvoir de séduction, voire de fascination irrésistible.

Synopsis : Après la mort de son père, le docteur Faraday revient s’installer dans le village de son enfance. L’une de ses premières patientes est Betty, la servante dans le manoir autrefois prestigieux Hundreds Hall. D’origine modeste, Faraday lui-même y était allé une première fois en 1919, lors d’une fête populaire. Son retour plus de trente ans plus tard ne se passe pas vraiment sous d’heureux auspices, puisque le bâtiment tombe en ruines, faute de moyens financiers pour le maintenir dans son état de splendeur d’antan. Le jeune médecin y retournera pourtant de plus en plus souvent, d’abord pour soigner le fils Rod, un invalide de guerre, puis pour tenir compagnie à Caroline, la fille de la famille Ayres, qui n’a jamais su remplacer dans le cœur de sa mère sa sœur aînée Suki, décédée avant sa naissance. Il se rend alors compte qu’une étrange malédiction pèse sur la maison et ses habitants.

Prise de conscience sociale et mentale

The Little Stranger compte parmi ces films dont on se demande avec une impatience grandissante quand l’action à proprement parler va enfin commencer, pour se rendre compte que toutes ces banalités qui occupent l’espace et le temps sont au fond plus riches et complexes qu’un jugement hâtif aurait pu le laisser croire. Ainsi, ce n’est point pour son dénouement – prétendant à l’éclat d’un Shyamalan quoique plus proche d’un pétard mouillé – qu’il vaut la peine d’être regardé, mais pour toutes ces petites touches qui forment, une fois mises bout à bout, un conte passionnant de la passivité machiavélique. En son centre, le docteur Faraday est un protagoniste truffé de défauts, indécis et peu sûr de lui-même, un homme de son époque, c’est-à-dire traumatisé par les horreurs vues pendant la guerre et en même temps habité par un fort sentiment de devoir envers les conventions d’un milieu petit-bourgeois auquel il n’appartient pas entièrement. Cette gêne permanente, née de la volonté de se fondre dans la foule de ceux et de celles qui ne sont justement pas ses semblables et d’y échouer chaque fois misérablement, Domhnall Gleeson l’interprète à la perfection, avec un mélange doucement fascinant entre la maladresse quasiment innée et une gravité nostalgique qu’il n’arrivera pas à expier. Il s’agit manifestement d’un personnage aux forts tourments intérieurs, dont l’apparence extérieure, sérieuse et impliquée, ne serait alors qu’une piètre façade.

Qui est le maître de la maison ?

Que personne dans son entourage n’est en mesure de le soutenir dans son projet bâclé d’ascension sociale fait par conséquent tout l’intérêt de l’intrigue. Lors de son retour aux sources, Faraday ne croise que des personnes encore plus meurtries que lui, des épaves humaines qui ne réussissent à quitter les lieux gangrenés par la décrépitude physique et psychologique que dans des corbillards plus ou moins symboliques. Là encore, le mal se propage de manière diffuse, à travers une forme de léthargie existentielle contre laquelle même les idéaux les plus romantiques ou charnels s’avèrent impuissants. Tandis que le rôle maternel de Charlotte Rampling se résume à quelques manifestations d’horreur et que celui de Will Poulter disparaît derrière des tonnes de maquillage de grand brûlé, la véritable révélation nous paraît être Ruth Wilson qui se glisse avec une ambiguïté remarquable dans la peau de Caroline. Elle aussi cherche à maintenir les apparences, quitte à accrocher le papier peint avec des punaises sur les murs décrépis. Et elle aussi finira par se perdre dans le dédale de fausses certitudes, qui s’avérera fatal pas que pour la logique scénaristique. Plutôt que de miser principalement sur les effets de frayeur issus du domaine de l’épouvante, la mise en scène se penche avec une acribie fort appréciable sur l’interaction maintes fois troublée entre ces deux personnages a priori faits l’un pour l’autre, même si un arrière-goût de pitié accompagne chacune de leurs rencontres.

Conclusion

L’attrait de The Little Stranger ne saute guère aux yeux. C’est une histoire de vieille maison hantée sans en être réellement une, où les personnages portent leurs tares intimes sans un degré de noblesse notable. Pourtant, Lenny Abrahamson en fait un huis clos oppressant, sans doute moins accessible que la séquestration familiale et ses séquelles dans Room, mais habité par un même regard sans complaisance sur la nature humaine et le poids du passé que chacun d’entre nous traîne avec lui, volontairement ou pas.

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