La Roche-sur-Yon 2018 : Sur le chemin de la rédemption

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Sur le chemin de la rédemption

États-Unis, 2017
Titre original : First Reformed
Réalisateur : Paul Schrader
Scénario : Paul Schrader
Acteurs : Ethan Hawke, Amanda Seyfried, Cedric the Entertainer
Distribution : Universal Pictures France
Durée : 1h53
Genre : Drame religieux
Date de sortie : 25 septembre 2018 (vidéo)

Note : 3,5/5

A tous ceux qui croient que la religion n’a plus sa place au cinéma, à l’exception de quelques productions chrétiennes trop zélées et donc à réserver à leur public de niche, nous conseillons chaudement de découvrir le nouveau film du plus sombrement spirituel des cinéastes américains, Paul Schrader. Et au public du Festival de La Roche-sur-Yon, où Sur le chemin de la rédemption sera encore projeté sur grand écran sous son titre original First Reformed jusqu’à dimanche prochain, le 21 octobre, on vous implore carrément de vous y précipiter, afin de ne pas rater l’occasion, hélas rarissime en France, de voir ce film magnifique au cinéma ! Les mystères impénétrables de la distribution à l’international l’ont en effet condamné au purgatoire de la sortie en vidéo, alors que sa qualité intrinsèque aurait largement pu justifier une sortie sur un nombre de copies limité dans les salles françaises. Quoiqu’il en soit et peu importe le nom qu’on veut bien donner à cette œuvre cinématographique sublimement austère, elle relève haut la main l’exploit de traiter simultanément des institutions de la foi chrétienne aux États-Unis et du fanatisme environnemental pas forcément plus terre à terre, mais davantage dans l’air du temps, le tout sur fond de tourments personnels douloureusement saisissants d’un prêtre en pleine crise de foi(e). Et puis, presque accessoirement, c’est l’occasion pour Ethan Hawke de briller dans un rôle en or, auquel il rend entièrement justice.

Synopsis : A l’approche du 250e anniversaire de l’église réformée dont il est le pasteur, Ernst Toller se lance le défi d’écrire pendant une année son journal intime. Souffrant en silence de violents maux d’estomac, qu’il anesthésie dans l’alcool, l’ancien aumônier militaire se reproche encore et toujours la mort de son fils, tué au combat en Iraq. Mary, une jeune paroissienne inquiète pour son mari Michael, lui demande d’avoir une conversation avec ce dernier. Son contact avec l’activiste environnemental désespéré, qui ne voit aucun avenir pour l’enfant que porte son épouse croyante, déclenche chez le pasteur quadragénaire une crise de foi sans précédent.

La vie derrière soi

Un réalisateur à la filmographie assez inégale, Paul Schrader excelle par contre lorsqu’il traite ses sujets favoris, qui ont pratiquement toujours trait au péché et à l’impossibilité du pardon, de préférence dans un environnement dépouillé. Rien que le premier plan omineux de Sur le chemin de la rédemption, au cours duquel la caméra s’approche lentement du portail à la blancheur trompeuse de l’église, très ancienne dans le contexte de l’Histoire américaine qui ne l’est pas, nous laisse d’ores et déjà anticiper le poids qui pèsera sur les épaules des personnages. Car personne n’a la vie facile dans ce cadre provincial, sous l’emprise d’une religion bien formatée, se manifestant soit dans le faste impersonnel du centre associatif, soit dans l’attraction touristique au fond sans intérêt d’un édifice construit par les ancêtres puritains. Les portes ont beau y rester constamment ouvertes pour toutes sortes de conversations anodines ou des tours guidés au discours ennuyeusement aseptisé, dès qu’il s’agit de creuser un peu plus profondément dans l’âme des paroissiens et du clergé, de les assister concrètement dans leurs luttes personnelles, la parole dans toutes ses conjugaisons s’avère terriblement inefficace. A notre grande surprise, c’est un dispositif que nous avons normalement en horreur qui prend alors aisément le relais, par le biais de la voix off du révérend Toller et des confessions intimes qu’il note dans son journal. Plus la chronique de l’aveu d’un échec sans appel qu’autre chose, cette oreille virtuelle qui écoute les lamentations de son auteur est censée fonctionner selon des règles simples, pourtant maintes fois enfreintes. Elle devient progressivement l’indicateur de ce qui ne va pas chez cet homme, dont même l’apparence gênée laisse supposer que le sacerdoce ne lui convient plus.

Après nous le déluge

C’est la quête d’un engagement de substitution que le récit accompagne alors d’une façon particulièrement peu complaisante. Seul dans sa frustration de ne pas pouvoir établir un dialogue sensé avec Michael, le pasteur ne mettra pas longtemps avant que ses croyances ne soient cannibalisées par le pessimisme environnemental de son interlocuteur. Cet échange d’une béquille philosophique contre l’autre s’opérera, vous l’aurez deviné, dans la douleur et le doute. Au moins ce dernier s’amenuise cependant, au fur et à mesure que le militantisme se mue en fanatisme. Tandis que l’élan de libération de toute entrave aura certes des effets positifs passagers, la délivrance inconditionnelle ne fait certainement pas partie du vocabulaire moral de Paul Schrader. Ainsi, la crevaison de certains abcès qui avaient jusque là miné la vie de Toller ne produira guère l’effet escompté. Sa perdition spirituelle et physique paraît par conséquent inévitable, maintenant que ses vrais ennemis ne sont plus le désespoir et la dépression, mais les cibles plus concrètes qu’ont l’air d’être les dirigeants industriels et d’autres responsables institutionnels du saccage de la planète. Si le propos extrême avec toutes ses fausses certitudes avait fini par séduire cet éternel sceptique Paul Schrader, on aurait donc eu droit à une conclusion explosive, au cours de laquelle la barbarie des actes aveugles aurait eu raison de la bienséance des martyrs paumés. Même si le dernier plan ne nous paraît pas coller parfaitement à la pesanteur sublime qui pèse sur le reste du film, il est indubitablement la preuve de la patte d’un réalisateur franc-tireur.

Conclusion

Que ce soit d’un point de vue religieux ou environnemental, le monde court à sa perte. Ce constat d’une noirceur insoutenable trouve son reflet filmique des plus sèchement poétiques dans Sur le chemin de la rédemption. Sans fioriture, ni réconfort, Paul Schrader y met en lumière tout ce qui ne tourne pas rond dans l’Amérique contemporaine. Celle-ci danse en transe sur un volcan qui pourrait entrer en éruption à tout moment, anesthésiée par les idoles d’une foi conviviale et de l’argent. En tant que dernier rempart avant le cataclysme, Ethan Hawke confère une gravité sans fard à son personnage, l’exception à la règle caricaturale que les hommes d’église au cinéma ont le choix mutuellement exclusif entre la débauche et la sainteté.

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