Sarlat 2024 : Je suis toujours là

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Je suis toujours là

Brésil, France, 2024
Titre original : Ainda estou aqui
Réalisateur : Walter Salles
Scénario : Murilo Hauser et Heitor Lorega, d’après le livre de Marcelo Rubens Paiva
Acteurs : Fernanda Torres, Selton Mello, Marjorie Estiano et Fernanda Montenegro
Distributeur : Studiocanal
Genre : Drame
Durée : 2h17
Date de sortie : 15 janvier 2025

3/5

Comme tous les pays latinoaméricains ou presque, le Brésil a dû passer par une dictature militaire à un moment assez récent de sa longue histoire mouvementée. Ce fut pendant plus de vingt ans, entre 1964 et 1985. Une période qui a certainement laissé des traces, mais qui aura également permis aux Brésiliens contemporains d’être particulièrement attachés aux bienfaits de leur jeune démocratie. Et comme dans bon nombre de ses pays voisins, ainsi qu’ailleurs dans le monde, cette parenthèse traumatisante pour tout un peuple revient à intervalles réguliers sur le devant de la scène, par voie de documentaires ou de films de fiction.

Je suis toujours là, découvert au Festival de Sarlat quelques heures à peine avant sa sortie nationale au Brésil, est de ceux-là. Même si le film de Walter Salles s’intéresse plus particulièrement au sort d’une famille isolée, c’est quand même l’expérience collective que le réalisateur cherche à y recréer.

Avec un résultat des plus solides, même si la facture du dixième long-métrage de fiction de Walter Salles demeure parfois fâcheusement académique. Dans le sens que ce lauréat du prix du Meilleur scénario au dernier Festival de Venise coche toutes les cases du récit édifiant sur une mère courage, qui apprendra à tenir tête à l’oppression. Certes, Fernanda Torres dans le rôle principal habite son personnage avec une fragilité désarmante, passant du stade de la mère débordée mais heureuse à celui de l’activiste sans peur, après être passée entre les mains des geôliers du régime.

Avec en guise de cerise sur le gâteau l’apparition plutôt furtive de Fernanda Montenegro, plus d’un quart de siècle après Central do Brasil, dans la dernière séquence, quand la brave Eunice n’a déjà plus toute sa tête. Mais dans l’ensemble, les écarts à la recette éprouvée de l’œuvre de mémoire en tous points respectable y sont bien trop clairsemés pour réellement nous enthousiasmer.

© 2024 Video Filmes / RT Features / Mact Productions / Globoplay / arte France Cinéma / Studiocanal
Tous droits réservés

Synopsis : En 1970, le Brésil vit depuis quelques années déjà sous le joug de la dictature militaire. Alors que les enlèvements d’ambassadeurs étrangers se multiplient et que certains de leurs proches préfèrent s’exiler en Europe, Eunice Paiva et son mari Rubens, architecte et ancien député, prévoient même de construire une nouvelle maison pour eux et leurs cinq enfants. Un matin de jour férié, des hommes frappent à la porte de leur maison à Rio en bord de mer. Ils emmènent Rubens pour un interrogatoire, tout comme Eunice et sa fille Eliana dès le lendemain. Libérée de captivité au bout de quelques jours, Eunice reste pourtant sans nouvelles de son mari. Avec l’aide de ses amis et en essayant de maintenir tant bien que mal le quotidien familial, elle tente par tous les moyens de savoir ce qu’il est devenu.

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L’entrée en la matière est des plus fluides dans Je suis toujours là. Les premières minutes du film s’apparentent même, dans leur insouciance et dans leur maîtrise sans accroc de l’outil cinématographique, à ce que l’on s’attend désormais à voir dans une production Netflix. A savoir – sans méchanceté aucune de notre part – un récit lisse et divertissant, volontairement exempt de quelque point d’achoppement que ce soit dans sa forme et son fond.

Bien évidemment, ici, cette insouciance familiale, ponctuée de beaux moments de complicité entre les parents et leurs enfants, n’est qu’un leurre pour mieux nous préparer à l’horreur qui va suivre. Elle s’annonce d’ores et déjà, plus ou moins subtilement, à travers un barrage policier musclé dans lequel la fille aînée se trouve prise au piège ou bien par la mise en œuvre d’un climat d’inquiétude généralisé, nourri par les nouvelles nullement rassurantes, transmises à la radio.

Toutefois, quand la violence finit par faire irruption dans le foyer familial, elle est mise en scène avec une banalité d’autant plus dérangeante. Dès lors, la peur réside davantage dans l’appréhension de ce qui pourrait arriver que dans ce qui est concrètement montré à l’écran. Ainsi, les bourreaux sont des hommes comme les autres, pas nécessairement d’accord avec la politique de répression aveugle qu’ils exécutent et même assez ouverts à la progéniture de leurs victimes pour faire une partie de baby-foot avec eux. Le fruit de leurs méfaits reste par contre impossible à nier. Dans le cas présent, il peut prendre la forme de quelques jours passés en prison pour Eunice. Voire d’une disparition pure et simple pour son mari dont la famille a pu prendre congé avec un état d’esprit pas encore totalement préparé aux retombées néfastes de ce moment fatidique et pourtant si banal.

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Ce qui nous amène à l’autre pilier narratif de Je suis toujours là : la famille. Là aussi, Walter Salles reste assez sagement dans les limites des conventions sentimentales. Le cadre de la chronique sur un demi-siècle d’histoire commune ne permet certes pas de s’intéresser plus spécifiquement aux joies et aux peines des uns et des autres, à l’exception bien sûr d’Eunice, le roc sur lequel tout le monde a tendance à s’appuyer. Il n’empêche que le scénario évoque consciencieusement tous les cas de figure susceptibles d’assaillir une femme au foyer, soudainement privée de son compagnon dans ce genre de circonstances périlleuses.

Que ce soient les difficultés financières, la mise en question de la part de ses enfants aînés de sa gestion de cette situation suffocante auprès des plus jeunes, la défiance envers un appareil répressif d’état sans scrupules ou finalement le courage de repartir de zéro ailleurs, sans pour autant tirer un trait sur son passé : Eunice a dû passer par là, sous l’œil bienveillant du réalisateur.

Au final, cette linéarité amplement prévisible porte le plus préjudice au film. Il ne s’y trouve rien de déplacé, ni d’ambigu dans le propos héroïque que Salles soutient sans relâche. Et cette forme filmique a beau être déroulée d’une manière joliment rythmée par une bande musicale d’époque des plus éclectiques, le seul véritable point d’intérêt y reste l’interprétation d’une grande sincérité de Fernanda Torres. Elle seule réussit à insuffler une âme à cette histoire contée avec un dévouement catégorique. Car même si son personnage relève sans hésiter le défi de faire perdurer le bonheur familial malgré l’événement tragique de la disparition du père, le jeu de Torres ne nous fait pas croire une seconde que pareil effort surhumain vienne naturellement à cette femme, jusque là surtout préoccupée à jongler entre ses cinq enfants et son mari, lui-même faussement immature à ses heures.

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Nulle surprise que Je suis toujours là soit le candidat officiel du Brésil à l’Oscar du Meilleur Film international ! Car le film de Walter Salles s’efforce presque un peu trop à dresser le portrait valeureux d’une femme brésilienne ordinaire en ces temps de ténèbres qu’était la dictature militaire dans son pays dans les années 1970. Heureusement, l’interprétation de Fernanda Torres est là pour tirer le film de sa torpeur d’hagiographie solidement orchestrée. Grâce à elle, ce portrait de femme forte sait préserver une certaine fragilité qu’on cherchera en vain du côté de la narration, avançant mécaniquement vers sa conclusion prévisible.

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