Cinélatino 2018 : Rey

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Rey

Chili, France, Pays-Bas, Allemagne, Qatar, 2017
Titre original : Rey
Réalisateur : Niles Atallah
Scénario : Niles Atallah
Acteurs : Rodrigo Lisboa, Claudio Riveros
Distribution : Damned Distribution
Durée : 1h31
Genre : Drame historique
Date de sortie : 29 novembre 2017

Note : 2,5/5

Quoi de mieux pour se mettre dans le bain de façon adéquate, quelques heures seulement avant de participer à la délibération en public pour le prix Découverte du Festival Cinélatino, que de regarder le lauréat de nos illustres prédécesseurs ? Ce film chilien pour le moins déroutant avait en effet été sollicité en 2017 pour cette récompense attribuée par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma. Si une chose est sure, c’est que nous sommes plus que soulagés de ne pas devoir débattre demain matin sur des œuvres au vocabulaire filmique aussi opaque. Rey ne lésine en effet pas sur les moyens formels pour transformer le fait historique d’un avocat français, parti en Amérique du Sud au 19ème siècle afin d’y fédérer les peuples indiens, en une expérience immersive pas loin de l’état de transe. Sauf que la mégalomanie du protagoniste, pas sans point en commun avec un autre rêveur de liberté exotique que David Lean avait mis en scène de façon infiniment plus classique dans Lawrence d’Arabie, s’y voit vite dévoyée vers une accumulation de plus en plus pénible de dispositifs stylistiques pesants. Le travail sur l’image n’a ainsi pas grand-chose à envier au cinéma expérimental. Et la mise en perspective historique du projet pas sans mérite de l’aventurier malchanceux se nourrit au moins autant de créatures mythiques que de prises de l’époque du cinéma muet, avant tout au service des ambitions artistiques indéniables du réalisateur Niles Atallah.

Synopsis : En 1860, l’avocat Orélie-Antoine De Tounens quitte sa campagne française natale afin d’accomplir son rêve le plus fou : devenir le roi de la Patagonie. Cette tâche politique et militaire, entreprise au nez et à la barbe des autorités chiliennes et argentines, jusque là incapables de pacifier cette zone sous le contrôle de la population indienne, est en bonne voie de réussir. Mais Rosales, le guide du régent potentiel, finit par le trahir et par le livrer à la justice chilienne. Celle-ci lui fait alors le procès pour l’exemple.

Bas les masques

La plupart des événements évoqués dans Rey ont réellement eu lieu, en tout cas l’odyssée rocambolesque de cet aristocrate français démuni, qui cultivait des utopies de grandeur à l’autre bout du monde. Ce qui est par contre sûr et certain, c’est que le parcours improbable de ce héros atypique, contemporain de la dernière ligne droite de l’ère coloniale, y est principalement un prétexte pour la relecture avant-gardiste de cette époque révolue. La teneur concrètement instructive du récit est ainsi réduite au strict minimum, au profit de toutes sortes de délires visuels et sonores, dont le plus récurrent et par conséquent le plus agaçant demeure le vieillissement artificiel de l’image, comme si les prises nous parvenaient des profondeurs du passé, tels des trésors archéologiques préservés in extremis. Le souci, c’est que cette surcharge formelle, ponctuée de rencontres hautement fantaisistes avec des drôles de bêtes imaginaires, devient progressivement la raison d’être majeure du film, désormais détaché d’une interprétation plus pragmatique des faits. Tandis que cette décomposition méthodique de notre perception produit encore quelques effets stimulants au fil des premiers chapitres, comme par exemple lors du changement de point de vue à la Rashomon de Akira Kurosawa, qui donne une version moins glorieuse de l’arrivée du conquérant pacifique en terrain ennemi, la surchauffe stylistique finit par avoir raison d’un regard plus nuancé sur l’aventure injustement oubliée de Orélie-Antoine De Tounens.

Archange ou cadavre ?

Qui était donc cet illustré oublié de l’Histoire officielle ? Ce n’est guère Rey qui vous le dira. Un éventuel approfondissement au sujet de ses traits de caractère ou de ses motivations intimes fait hélas autant défaut à l’intrigue qu’une évocation empirique de son action. Caché derrière un masque grotesque pendant à peu près la moitié de la durée du film, le personnage demeure aussi énigmatique que les intentions du réalisateur, au delà de son goût démesuré pour les gadgets visuels. Il se dérobe à notre emprise et par la même occasion aux cases dans lesquelles le cinéma a tendance à mettre les héros d’antan. Dommage alors que cette coupure sèche avec des modes de représentation plus accessibles ne s’accompagne pas de la montée en puissance simultanée d’une frénésie cinématographique sans bornes. La couche des effets de dénaturation de l’image et de la bande son devient certes de plus en plus épaisse. Mais aucune mise en abîme astucieuse, aucune façon ingénieuse de réécrire l’Histoire n’a l’air de s’en dégager. Nous nous sentons donc condamnés à l’exil intellectuel et affectif, face à ce film indiscutablement hors normes, trop généreux en écarts de prétention et en revanche pas assez déterminé pour canaliser tant soit peu l’orgueil exorbitant de son protagoniste.

Conclusion

On verra bien comment se déroulera très prochainement le vote par voie de discussion du prix dont nous portons partiellement la responsabilité cette année à Toulouse. Toujours est-il que nous n’aurions probablement pas soutenu le couronnement d’un film comme Rey, si nous avions siégé au jury l’année dernière. Il s’agit sans aucun doute d’un film extrême dans ses choix esthétiques, qui ne met malheureusement qu’une peau de chagrin d’enjeux de fond face à sa forme outrancièrement alambiquée.

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