Critique : Mercenaire

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Mercenaire

France, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Sacha Wolff
Scénario : Sacha Wolff
Acteurs : Toki Pilioko, Iliana Zabeth, Laurent Pakihivatau
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h43
Genre : Drame
Date de sortie : 5 octobre 2016

Note : 3/5

Ecrire que le rugby est un sport rudement physique relève de l’évidence. Dans cette discipline, élevée au rang de fierté nationale aux côtés du foot, les joueurs s’affrontent dans des combats musclés, à l’ancienne et donc sans les protections de mise dans l’équivalent américain. Or, ces corps qui s’entrechoquent violemment dans la boue ne sont guère prisés par le cinéma, peut-être refroidi par les différentes phases de jeu qui imposent sur le terrain une certaine immobilité paradoxale. Présenté cette année à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, ce premier film reste ainsi fidèle à cette frilosité du genre, en prenant la pratique du rugby simplement comme arrière-plan pour une histoire aux repères plus intimistes et personnels. Car en dépit de son titre martial, Mercenaire se révèle tel un film tout en subtilités et en retenue, autour d’un personnage principal doucement touchant, qui n’a rien de la brute soumise à laquelle il ressemble encore au début de son périple en guise de cheminement de rédemption.

Synopsis : Le jeune Wallisien Soane est repéré chez lui, en Nouvelle Calédonie, par l’agent sportif Abraham, en quête d’un joueur de rugby qu’il pourrait exporter en métropole. Son père autoritaire s’oppose fermement à ce départ, mais son fils réussit difficilement à imposer sa volonté. A l’aéroport en France, son interlocuteur considère pourtant qu’il ne fera pas l’affaire en raison de son poids insuffisant et lui demande de rentrer sur le champ à Nouméa. Livré à lui-même, Soane décide alors de rester et de tenter sa chance dans les clubs modestes en province.

Un clebs à trois pattes

Soane est une figure d’identification pour le moins atypique. Renfermé sur lui-même, pas bête mais pas non plus animé par une quelconque ambition intellectuelle, voire pas ambitieux du tout, il trace plutôt laborieusement son chemin en fonction des situations oppressantes qu’il est amené à fuir. La première d’entre elles est le climat malsain dans la maison de son père, un homme coléreux et rongé par un mépris amer pour tous ceux qui tentent de s’affranchir de leur condition misérable. La mise en scène de Sacha Wolff évoque avec une pudeur étonnante ce foyer infernal, où les générations cohabitent sans parvenir à s’entendre. Le fossé entre le père et ses deux fils – le cadet risque en effet de connaître un sort aussi tortueux que son aîné après le départ houleux de Soane – n’est guère atténué par l’attachement étroit aux traditions ancestrales, qui servent ici davantage à envelopper l’antagonisme dans un discours formel qu’à crever l’abcès d’une filiation très mal assumée des deux côtés. Par la suite, le protagoniste restera largement dans cette posture gênée du fils indigne, comme si l’éducation sévère du père l’avait rendu incapable de devenir réellement autonome.

Sur le chemin de Golgotha

La partie centrale du récit qui se déroule en France n’a strictement rien d’un conte sur l’intégration heureuse et volontariste d’un étranger dans la misère. Au début, Soane ne demande pas beaucoup, juste de quoi subvenir à ses besoins afin de pouvoir rester à l’écart des figures paternelles qui le hantent. Mais ce mouvement de fuite instinctif mène rapidement dans une impasse professionnelle, qui a même des conséquences sur sa nouvelle vie privée, alors réduite à quelques balbutiements timides. Loin des siens et de sa culture, aussi ambigu son rapport envers sa famille soit-il, le jeune homme ne se fait alors plus d’illusions sur le rôle subalterne que lui réserve son soi-disant pays d’accueil : pour son club, il sert à faire le sale boulot, et pour sa copine, il serait une sorte de filet de secours après une vie sexuelle débridée. Dans un contexte aussi terne, l’exploit de la mise en scène consiste à ne surtout pas plonger dans un misérabilisme exacerbé, mais au contraire à préserver coûte que coûte la dignité du personnage, notamment lors de l’épilogue dans les îles, qui boucle admirablement la boucle d’une odyssée sans but précis, si ce n’est que de se rendre compte que l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs.

Conclusion

A l’image de son personnage central, Mercenaire ne cherche pas à séduire de façon superficielle. Le premier long-métrage de Sacha Wolff excelle cependant dans l’évocation authentique du destin d’un homme à la recherche de sa place dans ce bas monde. Qu’il parvient à la trouver tant soit peu est aussi dû au fil ténu qu’il entretient avec ses origines, la plupart du temps intériorisé, quoique affiché avec vigueur lors de deux séquences marquantes du film, quand ce souffre-douleur discret se lance dans des hakas mémorables.

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