Livre : Passeport pour Hollywood (Michel Ciment)

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Passeport pour Hollywood
France, 2022
Titre original : –
Auteur : Michel Ciment
Éditeur : Carlotta Films
373 pages
Genre : Entretiens
Date de parution : 5 mai 2022
Format : 135 mm X 190 mm
Prix : 18 €

3/5

La perte que représente pour le petit monde des cinéphiles français la disparition de Michel Ciment en novembre 2023 devient une fois de plus évidente à la lecture de « Passeport pour Hollywood ». En effet, la principale qualité que l’on peut tirer de ce recueil d’entretiens avec six cinéastes majeurs seraient les rapports privilégiés que l’auteur a pu entretenir au fil du temps avec ces monstres sacrés du Septième art.

Le fait de les avoir croisés à plusieurs reprises, le plus souvent en marge d’un festival, dans le cadre de son travail de critique de cinéma a ainsi permis à Ciment de pouvoir prendre du temps avec eux, voire d’approfondir sa compréhension de leurs filmographies respectives en posant des questions pertinentes au moment opportun. Cet accès privilégié pendant près d’un demi-siècle aux grands du grand écran a fait de Michel Ciment un témoin de premier ordre d’une évolution du cinéma qui appartient à présent au passé.

Car la mise à jour assez récente de l’ouvrage, paru une première fois en 1987, ne doit pas faire oublier que le seul réalisateur parmi les six interrogés dont on attend encore le prochain film avec impatience reste Wim Wenders. Quatre autres ont disparu plus ou moins récemment, entre 1987 et 2018, et les controverses entourant le nonagénaire Roman Polanski – sans même parler de l’échec de son dernier film The Palace – l’ont a priori contraint à une retraite forcée.

Il n’empêche qu’au moment où Michel Ciment a effectué ces entretiens fleuve, tout un chacun était encore en pleine activité. Quitte à croiser avec un soupçon de nostalgie le président américain Richard Nixon dans les propos de Billy Wilder en 1972 et son homologue français Nicolas Sarkozy lors de l’échange entre Milos Forman et son fidèle scénariste Jean-Claude Carrière en 2009.

Bref, c’est à un voyage fort instructif dans l’Histoire du cinéma que nous invite l’auteur au cours de ces près de quatre cents pages. Hélas, cette accumulation de façons de voir le cinéma et d’en faire ne répond jamais tout à fait présente à l’ambition qu’elle s’est elle-même imposée. A savoir de sonder les parcours exemplaires de John Huston, Joseph L. Mankiewicz et confrères selon leur rapport à l’Amérique en général et à Hollywood en particulier. A ce niveau-là, seuls les textes abondants placés aux deux extrémités du livre, celui de Wilder et de Wenders, répondent réellement à cette thématique spécifique, alors que les autres noient plus ou moins les spécificités américaines de leurs carrières respectives dans une auto-analyse vaguement probante.

Avanti © 1972 Paul Ronald / Phalanx Productions / Jalem Productions / The Mirisch Corporation / United Artists /
Amazon MGM Studios Tous droits réservés

Synopsis : Comment filmer l’Amérique ? L’éminent critique de cinéma Michel Ciment a posé la question à trois anciens metteurs en scène du Nouveau Monde – Billy Wilder, John Huston et Joseph L. Mankiewicz – et à trois nouveaux réalisateurs de l’Ancien Monde, originaires de la Pologne (Roman Polanski), de la République Tchèque (Milos Forman) et de l’Allemagne (Wim Wenders). Conformisme larvé à l’égard du système des studios hollywoodiens dans les années 1940 ou bien nouveau souffle des années ’70 et ’80, chacun y explique au rythme de deux à six entretiens, selon les cas, sa manière de voir le cinéma américain et de s’épanouir en son sein.

Le Limier © 1972 George Whitear / Palomar Pictures International / 20th Century Fox / Swashbuckler Films
Tous droits réservés

Comme toute opération de récupération de textes déjà parus ailleurs qui se respecte, « Passeport pour Hollywood » ne réussit pas toujours à conférer un ton nouveau à ce recyclage malgré tout utile. Attention, loin de nous l’idée de mettre en question l’expertise ou la passion de Michel Ciment en la matière ! Même si les instances où les cinéastes le félicitent pour la qualité de ses réflexions sont légèrement trop nombreuses. Elles sont amplement compensées par l’adresse avec laquelle le journaliste aguerri se permet d’élargir le champ d’interrogation par exemple à la musique avec Forman – quoi de plus naturel, en fait, à l’occasion de la tournée de promotion de Amadeus ? – ou à la photo avec Wenders. De même pour un contexte politique et historique plus global, auquel justement les deux réalisateurs que l’on vient de citer, ainsi que Billy Wilder, réagissent avec le plus de perspicacité et d’érudition.

Cependant, chaque cinéaste se sert de l’espace à longueur (très) variable qui lui a été accordé ici avant tout pour asseoir son propre canon du cinéma. Billy Wilder, par exemple, ne tarit pas d’éloges sur son mentor Ernst Lubitsch, tout en ayant une assez piètre opinion du style des films de Jean-Luc Godard. De même, Roman Polanski n’est visiblement pas fan des films de John Cassavetes, tout comme Joseph L. Mankiewicz voit en Josef von Sternberg avant tout un poseur au style visuel hors pair. Heureusement, ces rares coups des langues de vipère ont beau épicer l’ensemble, l’essentiel du livre ne se trouve quand même pas là. Bien au contraire, puisque Michel Ciment y pratique principalement une ligne d’entretien des plus sérieuses et classiques.

Les Fantômes de Goya © 2006 Phil Bray / Xuxa Productions / The Saul Zaentz Company / Studiocanal Tous droits réservés

Et c’est là que le bât blesse au moins un peu dans « Passeport pour Hollywood ». En dépit du postulat expliqué dans l’introduction, la plupart des entretiens sont conformes à l’exercice de style journalistique qui est la marque de fabrique tout à fait louable d’un magazine de cinéphilie exigeante comme Positif. Sauf que la lecture en petites doses de ces textes consistants au fil des numéros mensuels de la revue s’avère sensiblement plus aisée que leur concentration, page après page, à caractère légèrement répétitif. Certes, ces retrouvailles à rythme irrégulier permettent de surprendre John Huston en pleine roublardise, lorsqu’il raconte tout et son contraire par rapport au temps qu’il avait passé dans sa jeunesse au Mexique. Mais trop souvent, on retombe sur le même genre de question qui déclenche une réponse assez semblable dans ses grandes lignes.

Dès lors, seule la volonté de se raconter sincèrement de la part des réalisateurs rend la lecture plus ou moins passionnante. Parmi les bons élèves, citons, encore et toujours, Billy Wilder et Wim Wenders. Alors que le premier avait apparemment pris goût entre-temps au jeu du question-réponse, puisqu’il s’était prêté abondamment à l’exercice tout au long de sa retraite, d’abord avec Volker Schlöndorff, puis avec Cameron Crowe, le deuxième dispose d’une filmographie si éclectique et d’une capacité à la fois si humble et si éclairante d’en parler que l’on ne peut que regretter que Michel Ciment n’ait pas eu le temps de lui consacrer un livre d’entretiens à titre personnel.

Et même si la qualité de la conduite éditoriale de l’échange est toujours garantie par l’auteur, il n’y a d’ores et déjà plus rien de bien marquant qui nous soit resté en mémoire des propos de Mankiewicz et Polanski, tous deux maîtres dans le maniement de la parole passablement lisse pour ne surtout pas trop se dévoiler.

Don’t Come Knocking © 2005 Donata Wenders / Reverse Angel Production / Road Movies Filmproduktion /
arte France Cinéma / Sony Pictures Classics / Wim Wenders Stiftung / Océan Films Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Comme ce fut déjà le cas au moment de notre lecture de son « Une vie de cinéma » l’année dernière, Michel Ciment ne peut que nous subjuguer par sa connaissance du cinéma sous toutes ses formes ! Et même constat un peu moins enthousiaste également, puisque « Passeport pour Hollywood » porte les séquelles identiques d’un ouvrage, qui assemble des textes disparates, censés s’accorder de gré ou de force au thème soi-disant fédérateur sous lequel ils sont réunis.

En somme, si vous souhaitez en savoir plus sur la façon de travailler de trois géants de la vieille garde et de trois cinéastes davantage contemporains de la Nouvelle Vague, quoique guère tributaires de ce mouvement esthétique à la française, ce livre est fait pour vous. Car rares sont aujourd’hui les espaces écrits ou audiovisuels qui accordent une telle place à l’expression sans filtre de monuments du cinéma du siècle passé – à l’exception de Wim Wenders, au risque de nous répéter !

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