Critique : Les Drapeaux de papier

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Les Drapeaux de papier

France, 2018

Titre original : –

Réalisateur : Nathan Ambrosioni

Scénario : Nathan Ambrosioni

Acteurs : Noémie Merlant, Guillaume Gouix, Sébastien Houbani, Jérôme Kircher

Distribution : Rezo Films

Durée : 1h42

Genre : Drame

Date de sortie : 13 février 2019

3/5

Pendant des décennies, la référence en termes de jeune prodige du cinéma était Orson Welles, qui avait réalisé au tendre âge de 26 ans son chef-d’œuvre intemporel Citizen Kane. Pour les générations plus contemporaines, la relève a été en quelque sorte assurée par le réalisateur canadien Xavier Dolan, le protégé favori du Festival de Cannes, qui en est déjà à son septième long-métrage, alors qu’il n’a même pas encore trente ans. C’est du parcours de ce dernier que s’est inspiré Nathan Ambrosioni, du point de vue de l’âge à peine plus qu’un cinéphile arrivé au bout de son adolescence. L’argument de vente que Les Drapeaux de papier est le film au réalisateur le plus jeune ayant eu l’aval de la commission de l’avance sur recettes rend par contre au mieux partiellement justice à ce premier film, qui fait d’ores et déjà preuve d’une belle maturité. Son intrigue a beau être simple – en somme, c’est l’histoire d’un ex-détenu qui tente tant bien que mal à se réinsérer dans la vie civile avec l’aide de sa sœur, seulement bien disposée à son égard jusqu’à un certain point –, il en ressort une intensité sensorielle plutôt passionnante. L’envergure du projet ne lui assurera sans doute pas une réputation pérenne à l’image du coup de maître initial de Welles ou des premières manifestations d’une prétention pleinement assumée de la part de Dolan. Mais en tant qu’annonce des choses à venir, il constitue d’ores et déjà une promesse des plus solides par rapport au talent et, surtout, à la maîtrise de ses moyens filmiques chez ce (très) jeune réalisateur.

© Sensito Films / Rezo Films Tous droits réservés

Synopsis : Vincent sort de prison après avoir purgé une peine de douze ans. Fermement ignoré par son père, il n’a que sa sœur cadette Charlie vers laquelle se tourner. Celle-ci l’accueille chez elle les bras plus ou moins ouverts, sa situation financière précaire ne lui permettant pas de prendre longtemps en charge son frère. Elle l’oblige alors de chercher un travail afin de devenir autonome. Une tâche difficile pour Vincent, qui n’a ni diplôme, ni expérience, et dont les coups de colère ne font de surcroît rien pour détendre ses liens familiaux.

© Sensito Films / Rezo Films Tous droits réservés

Accès direct aux questions intelligentes

C’est tout à l’honneur de Nathan Ambrosioni d’avoir voulu faire simple pour son premier film. Cette modestie apparente des ambitions ne signifie par contre en rien que Les Drapeaux de papier soit un exercice de style basique, une œuvre dont on décèlerait tout de suite les ficelles et les hésitations associées normalement aux débutants derrière la caméra. A la limite, mieux vaut ne rien savoir sur l’envie précoce de faire du cinéma de la part du réalisateur, avant de découvrir ce film qui parle amplement pour lui-même. La justesse du ton, des sentiments et des dispositifs formels employés pour les étayer suffisent ainsi à nous faire plonger corps et âme dans un univers, rendu accessible grâce à ses personnages tout à fait ordinaires. Vous attendrez en effet en vain un quelconque coup de théâtre exagérément tragique, un sursaut de violence venu de nulle part faisant basculer le récit dans les abîmes d’une réalité glauque et sombre. Bien sûr, si vous avez déjà vu le film avant de lire ces lignes, on sent venir votre contestation par rapport à l’impression – évidemment fausse – que toute cette histoire de réinsertion ne serait qu’un long fleuve tranquille. La tension et la violence allant de pair avec elle y sont présentes dans chaque plan. C’est justement pour cette raison que les deux ou trois disputes frontales, qui ponctuent malgré tout l’intrigue, représentent presque des instants de libération ou en tout cas de décompression d’une frustration palpable. Celle-ci se propage dès les premiers plans, quand Vincent attend dans sa cellule, comme une bête nerveuse en cage, que la porte s’ouvre et qu’une forme de vie nouvelle se confronte à lui.

© Sensito Films / Rezo Films Tous droits réservés

Petit frère, grande sœur

Une vie nouvelle sous le signe de vieilles rancunes et de la chape de plomb pesante d’une existence gâchée avant l’heure. Parmi les astuces du scénario compte le fait de révéler assez tardivement la raison pour laquelle Vincent a dû partir derrière les barreaux. La gêne que son arrivée inopinée devant la porte de sa sœur provoque, à la fois chez elle et chez nous, est alors d’autant plus grande et inquiétante. De toute façon, grâce à l’interprétation très investie de Guillaume Gouix, ce personnage à fleur de peau ne peut jamais faire abstraction de son aura de tête brûlée, de voyou invétéré qui ne sait point par quel moyen se réhabiliter durablement. Heureusement, le point de vue moral de la narration n’épouse pas la prise de position manichéenne du père, carrément incapable de regarder son fils au fil d’une rencontre à l’ambiance atrocement tendue. Il se situe davantage du côté de la sœur, interprétée par la magnifique révélation du film Noémie Merlant, encore plus consciente que son frère des obstacles matériels et émotionnels qui rendent sa vie quotidienne si médiocre. Aucune issue facile ne se dessine pour sortir de cette impasse fraternelle, de ce réalisme affectif tout en demi-teintes, alors que la vigueur de la mise en scène imprègne subtilement chacune des prises de plaisir et de bec, au cœur de la relation doucement conflictuelle entre Charlie et Vincent. L’exploit considérable de Nathan Ambrosioni consiste à clore cette épopée intimiste in extremis sur une note vaguement optimiste, sans pour autant trahir l’esprit tortueux des nombreuses frictions antérieures.

© Sensito Films / Rezo Films Tous droits réservés

Conclusion

Un compliment de taille que l’on pourrait faire à Les Drapeaux de papier est qu’il ne ressemble en rien à un premier film. Ses choix de mise en scène, esthétiques et dramatiques, s’y affichent en effet avec une assurance bluffante, surtout quand on sait que le réalisateur avait tout juste passé son bac avant le début du tournage. La direction d’acteurs est du même calibre, puisque Noémie Merlant et Guillaume Gouix livrent ici des tours de force simplement impressionnants par leur délicatesse et leur intensité plus ou moins contenue !

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