Critique : L’Époque

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L’Époque

France, 2019

Titre original : –

Réalisateur : Matthieu Bareyre

Scénario : Matthieu Bareyre & Sophia Collet

Distribution : Bac Films

Durée : 1h30

Genre : Documentaire

Date de sortie : 17 avril 2019

3/5

La France est en émoi. Les mouvements sociaux se suivent et se ressemblent. Ils sont toujours plus virulents et en même temps toujours accueillis avec la même indifférence par les pouvoirs publics et politiques dont la seule raison d’être paraît désormais de préserver un statu quo qui ne satisfait plus personne. Avant les Gilets jaunes, il y avait les rassemblements de Nuit debout autour de la Place de la République à Paris et avant eux encore d’autres, que le cycle endiablé de la couverture médiatique de ces tempêtes ponctuelles dans un verre d’eau nous a d’ores et déjà fait oublier. Peu importe, ce n’est pas vraiment la cause spécifique qui atteste de la vitalité d’une société, mais la fréquence avec laquelle cette dernière se soulève par indignation contre des inégalités, hélas trop souvent accrues par le matraquage sans distinction de la part des forces de l’ordre. Dans ce contexte explosif, qui nous fait autant craindre qu’espérer le grand coup libérateur de tant de grogne sociale, L’Époque livre un état des lieux vif et ouvert d’esprit de ce qu’est la France d’aujourd’hui. Plutôt que de prendre frileusement la température de cette fièvre de la contestation permanente ou en tout cas hebdomadaire, au rythme de ces drôles de rendez-vous révolutionnaires tous les samedis, le documentaire de Matthieu Bareyre y plonge corps et âme, en laissant largement la parole à une jeunesse en quête de repères. Car le nom de la lutte plus ou moins pacifique a beau avoir changé depuis les trois ans de tournage nocturne qui dressent le portrait fascinant d’une génération et d’une ville, notre cher pays peine toujours sérieusement à trouver des réponses adéquates à ce mal-être généralisé.

© Bac Films Tous droits réservés

Synopsis : Du Paris de l’après-Charlie aux élections présidentielles, une traversée nocturne aux côtés de jeunes qui ne dorment pas : leurs rêves, leurs cauchemars, l’ivresse, la douceur, l’ennui, les larmes, la teuf, le taf, les terrasses, les vitrines, les pavés, les parents, le désir, l’avenir, l’amnésie, 2015, 2016, 2017 : l’époque.

© Bac Films Tous droits réservés

Paris, la nuit

La capitale française n’a pas vraiment la réputation d’être particulièrement dynamique la nuit. Loin d’être une ville qui ne dort jamais, comme le disait de New York la chanson mythique de Sinatra, avant que, là aussi, l’aseptisation des consignes municipales n’ait irrémédiablement changé la donne citadine, Paris a tendance à trouver ses rues désertes à partir de minuit. Seuls quelques jeunes irréductibles y vagabondent encore dans un état d’ébriété plus ou moins avancé, à moins que ce ne soient les fournisseurs de pareille évasion des sens trompeuse qui y attendent tranquillement leur clientèle. La parenthèse militante de Nuit debout n’y a pas vraiment changé grand-chose. Elle a par contre fourni le point de départ opportun aux démarches d’observation et d’interrogation à l’œuvre dans L’Époque. Toutefois, la dimension historique du documentaire est au mieux annexe, le réalisateur inlassable ayant surtout à cœur d’écouter attentivement ses interlocuteurs, au lieu de faire tenir leurs propos à tout prix dans une quelconque logique narrative. Ce qui ne veut pas non plus dire que le rôle de la mise en scène se résume ici à orchestrer un enchaînement de moments d’allégresse, entrecoupés de prises de bec avec une police aux méthodes répressives sans merci. Et ce n’est pas non plus, comme on aurait pu le craindre, une plongée sans filet de secours dans le monde de la nuit, bruyant et bordélique, en guise de reflet sombre de l’image que Paris souhaite se donner le jour.

© Bac Films Tous droits réservés

Les poques de notre époque

Non, la qualité majeure du premier long-métrage de Matthieu Bareyre est sa capacité d’écouter, voire de condenser plus de dix jours de rushes dans une pluralité des parcours et des discours qui ne dévisse jamais jusqu’à la cacophonie déroutante. Il y a certes des personnes sur lesquelles la caméra s’attarde plus longtemps, comme la DJ Soall ou l’artiste militante Rose, des puissances de vie qui auraient mérité à elles seules un documentaire entier. Mais dans l’ensemble, c’est davantage la globalité des points de vue qui importe dans L’Époque. Cette expression d’un sentiment existentiel a parfois vocation à devenir le constat lucide d’un ressentiment, contre la société et parfois même contre soi-même, tellement les choix de vie faits à la fin de l’adolescence sont cruciaux pour l’avenir personnel. Bien que certains intervenants semblent avoir profité de l’ingestion de divers alcools et drogues avant de délier leurs langues, ce qu’ils disent se tient dans le projet valeureux d’un échange sans préjugés, seulement placé sous le signe d’une chronique volontairement partielle de ce qui faisait bouger la France il y a seulement deux ou trois ans. Car même si l’actualité de la couverture médiatique est depuis passé à autre chose, avec le mouvement des Gilets jaunes qui mobilise un échantillon générationnel plus large, le malaise de la jeunesse est hélas resté intact. Or, n’est-ce pas le fil rouge de l’humanité que la progéniture devenue adulte se pose radicalement des questions existentielles auxquelles notre civilisation n’a prévu aucune réponse, plutôt que la particularité de notre époque ?

© Bac Films Tous droits réservés

Conclusion

Parmi les symptômes les plus récurrents de la maladie dont la France est atteinte depuis de nombreuses années, voire depuis un demi-siècle en guise de réplique indirecte de Mai ’68, figure l’insatisfaction de la jeunesse avec l’ordre social établi, puis précieusement maintenu par leurs aînés. L’Époque en dresse un tableau désarmant, ni défaitiste, ni évasif, juste très précis dans l’observation d’un mécontentement paradoxalement diffus, contre lequel cette génération des millénaires en plein éveil de conscience se doit néanmoins de trouver tôt ou tard le remède.

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