Critique : Le Temps des rêves

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Le Temps des rêves

Allemagne, 2015
Titre original : Als wir träumten
Réalisateur : Andreas Dresen
Scénario : Wolfgang Kohlhaase, d’après le roman de Clemens Meyer
Acteurs : Merlin Rose, Julius Nitschkoff, Joel Basman
Distribution : Sophie Dulac Distribution
Durée : 1h57
Genre : Drame d’adolescents
Date de sortie : 3 février 2016

Note : 2,5/5

La chute du mur de Berlin et la réunification allemande n’ont pas produit que des gagnants. C’est surtout à l’Est que de nombreux habitants ont buté sur le changement de régime radical leur ayant été imposé. Celui-ci les mettait à la fois face à des libertés jusque-là insoupçonnées et à un vide de repères préjudiciable pour les plus influençables. A l’adolescence, l’âge où la personnalité d’adulte est censée se constituer, pareil bouleversement peut s’avérer particulièrement troublant. Le nouveau film de Andreas Dresen, l’un des rares réalisateurs allemands présent dans les salles françaises avec régularité depuis le début du siècle, paraît se servir de ce constat dégrisant comme toile de fond pour son conte cauchemardesque sur une génération de jeunes perdue. La noirceur intransigeante de l’histoire du Temps des rêves a en effet tendance à rendre le film dans son ensemble antipathique, une réserve qui se voit nullement atténuée par quelques dispositifs narratifs discordants.

Synopsis : Dani et sa bande inséparable de quatre amis vivent tant bien que mal la fin du socialisme à Leipzig. Elevés comme des pionniers modèles du système sur le déclin, ils se retrouvent désœuvrés et en proie à leurs instincts les plus destructeurs. Dans une vie rythmée par des virées nocturnes à bord de voitures volées, leur seule ambition est l’ouverture de leur propre boîte de nuit, l’Eastside. Mais même ce modeste projet est rapidement mis en péril par la concurrence d’une bande de néo-nazis sans scrupules. Les amis descendent alors, chacun de son côté, dans la criminalité et la drogue.

Un pan de l’Allemagne laissé à l’abandon

Des ombres ne naît à aucun moment la lumière dans ce film, qui cultive en quelque sorte un misérabilisme à sens unique. Le désespoir y est omniprésent : dans le quotidien sinistre des adolescents laissés-pour-compte dans un nouvel ordre des choses sans place pour eux, voire dans les décors urbains en état de délabrement avancé. Il n’y a aucune figure positive qui pourrait donner l’impulsion vers la rédemption, ni de passion constructive en mesure de rétablir l’équilibre des forces entre la délinquance sans frein et une normalité plus respectable. Les parents ne jouent qu’un rôle très secondaire ici, soit pour se plaindre sans insistance sur leur progéniture qui a d’ores et déjà mal tourné, soit par l’intermédiaire matériel de gadgets qui symbolisent le confort trompeur venu de l’Ouest, comme la voiture que la mère de Paul lui prête pour éviter qu’il vole celles des autres ou le micro-ondes des parents de Mark. Les autres adultes subissent un sort encore moins enviable. Ils sont dégradés au rang de simple objet dont on se sert pour arriver à ses fins, à l’image de la vieille chez qui la bande squatte gaiement en échange de quelques corvées bénignes ou bien de la buraliste d’origine asiatique, qui devient la source de frustrations sentimentales évidemment épongées grâce à une cuite violente qui prolonge l’état d’ivresse permanent. Bref, Le Temps des rêves se démarque par un nihilisme pas toujours facile à supporter.

Une descente aux enfers disgracieuse

Ce qui rend sa vision par contre encore plus problématique à nos yeux, c’est la désinvolture formelle avec laquelle la mise en scène traite cette histoire tragique. Faute de trajectoire claire dans l’existence des personnages d’emblée condamnée à l’échec sans appel, le récit est agencé selon des chapitres annoncés à l’image avec ostentation. Or, la variation des thèmes et du ton au sein de chacune de ces parties du film est plutôt minime, à l’exception notable près du « chien errant » Dani qui se réfugie chez une femme auprès de laquelle il pourrait pour une fois trouver un peu de réconfort sensuel et sexuel. Hélas, cette parenthèse de répit reste sans suite dans le fil narratif, qui préfère visiblement les séquences éprouvantes d’anéantissement social et affectif. Pire encore, la mise en parallèle de plus en plus insistante entre la déroute des adolescents et les derniers moments d’innocence de leur enfance alourdit considérablement la narration, au lieu de lui conférer une perspective additionnelle. Enfin, cette mise en abîme des chances de réussite dilapidées devient carrément caricaturale lors du montage parallèle entre deux matchs de boxe, en guise de point culminant d’espoirs de revanche déçus.

Conclusion

Contrairement à son pendant français, le cinéma allemand ose s’attaquer aux sujets épineux de son Histoire récente. Malheureusement, ces coups de projecteur sur les défauts de la société allemande ne s’avèrent pas toujours concluants, même si l’on doit leur reconnaître un certain courage dans leur démarche nullement complaisante. Dans le cas du cinquième film de Andreas Dresen distribué en France, il en est sorti une œuvre dérangeante, quoique presque trop obnubilée par sa propre noirceur pour garder une distance pertinente à l’égard de ses personnages en pleine faillite morale.

2 Commentaires

  1. J’avais bien aimé « septième ciel » du même réalisateur et encore plus « Pour lui », un film d’une grande force et d’une grande justesse. Autant dire que je vais me précipiter vers « Le temps des rêves ».

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