Critique : L’Assassin (Deuxième avis)

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L’Assassin

France, Italie, 1961

Titre original : L’assassino

Réalisateur : Elio Petri

Scénario : Pasquale Festa Campanile, Massimo Franciosa, Tonino Guerra & Elio Petri

Acteurs : Marcello Mastroianni, Micheline Presle, Salvo Randone, Cristina Gajoni

Distribution : Carlotta Films

Durée : 1h38

Genre : Policier

Date de sortie : 20 juin 2012 (Reprise)

3/5

Le talent de caméléon de Marcello Mastroianni, cette qualité si rare chez un acteur de pouvoir incarner de façon crédible toutes sortes de personnages, est porté à son comble dans L’Assassin. Le premier long-métrage de Elio Petri est moins un thriller haletant, où l’enquête policière dicterait le moindre rebondissement de l’intrigue, qu’une lente descente aux enfers, presque autant pour le spectateur, privé de plus en plus de ses repères habituels en termes de morale manichéenne, que pour cet homme ordinaire accusé du meurtre de sa maîtresse. Un fait divers quelconque y sert de prétexte à la dissection méthodique d’une existence, nullement exemplaire mais au contraire cruellement médiocre dans ses escroqueries sans panache et ses aventures romantiques guère plus excitantes. Notre intérêt au sort de cet individu passablement vil ou en tout cas peu recommandable repose alors moins sur le léger suspense quant à sa culpabilité et la structure narrative vaguement complexe que sur la capacité exceptionnelle de Mastroianni à le rendre humain dans toute son ambiguïté. Tandis que le réalisateur allait se spécialiser ultérieurement dans des pamphlets sociaux, où il passait diverses strates de la société italienne au crible, ici, le propos est presque neutre à ce niveau-là, le commentaire social se laissant au mieux deviner dans des aspects annexes d’une dégringolade anecdotique pour tout le monde, sauf pour le principal intéressé.

© 1961 Aguila Films / Carlotta Films Tous droits réservés

Synopsis : Au petit matin, l’antiquaire Alfredo Martelli rentre fatigué à son appartement à Rome. Il se laisse couler un bain et s’y endort, jusqu’à ce qu’un coup de fil de sa fiancée Nicoletta, qu’il s’apprête à rejoindre en Toscane, le réveille. Peu de temps après, il est dérangé par l’arrivée de la police, qui l’embarque au poste, sans la moindre explication sur les raisons de cette arrestation musclée. A l’issue d’une longue attente, il est convoqué par le commissaire Palumbo. Il apprend alors, stupéfait, que sa maîtresse, la riche Adalgisa De Matteis, a été assassinée et qu’il est le principal suspect.

© 1961 Aguila Films / Carlotta Films Tous droits réservés

Opacité masculine et transparence féminine

La guerre des sexes n’est pas vraiment la thématique au cœur de L’Assassin et pourtant, de fil en aiguille, le récit dresse un constat nullement flatteur du rapport entre les genres dans l’Italie du début des années 1960. Il y procède d’une manière étonnamment adulte, sans chercher à enjoliver un déséquilibre sexiste, qui a toutefois l’air de ne procurer de la satisfaction à personne. A commencer par ce personnage principal, qu’il serait difficile de qualifier de pauvre, tellement ses mésaventures sentimentales et légales sont au fond le fruit de sa propre ineptie. Car au lieu de s’improviser en séducteur aux pieds d’argile, comme il a pu le faire à la même époque chez Federico Fellini, Marcello Mastroianni fait davantage lorgner son interprétation du côté du flegmatique Meursault qu’il allait jouer chez Visconti six ans plus tard. Au détail près que cet Alfredo Martelli est décidément une bête à part, un homme malhonnête, certes, mais en même temps un cancre malchanceux et nonchalant auquel on ne voudrait pas qu’un mal tragique arrive. Son entourage féminin n’est point plus déterminé dans ses ambitions, notamment sa proie supposée. Celle-ci joue presque par défaut avec lui, à l’image d’un chat qui remue sans joie le cadavre d’un rongeur, un rôle sombre mais pas non plus investi d’une grandeur crépusculaire, en dépit de l’interprétation subtilement flamboyante de Micheline Presle – d’ailleurs, joyeux 97ème anniversaire à cette très grande dame du cinéma français !

© 1961 Aguila Films / Carlotta Films Tous droits réservés

L’assassin était le serveur dans la gloriette avec l’horloge ?

Bien que Elio Petri soit loin de noyer le poisson ou de faire aboyer le chien ou que sait-on encore, la solution du crime figure à peine vaguement dans le cahier de charges du scénario. Car le protagoniste est de toute façon coupable. Si ce n’est peut-être pas explicitement du crime en question, l’enquête révèle au fur et à mesure de son avancement le portrait d’un homme profondément imparfait. L’astuce de la narration consiste alors à ne pas chercher à l’achever sommairement en parallèle des méthodes quelque peu douteuses de la police italienne, ni d’en faire le martyr d’un système pourri jusqu’à l’os. Il existe certes quelques piques contre la pyramide du pouvoir chez nos voisins transalpins, par exemple ce plan vers la fin en plongée avec la tête d’une statue immense de cardinal qui écrase visuellement le personnage principal hagard. Mais dans l’ensemble, grâce à une ambiguïté morale jamais prise en défaut, le pire ennemi de Alfredo Martelli est indubitablement lui-même, à travers son impuissance de s’extraire des mauvais plans qui s’enchaînent et auxquels il participe avec le stoïcisme d’un homme ayant fait depuis longtemps une croix sur quelque scrupule que ce soit. L’exploit en termes de modernité morale du film se situe simultanément dans son absence manifeste de jugement, que l’on pourrait aussi qualifier de ton malicieusement ironique, ainsi que dans une structure dramatique complexe, truffée de retours en arrière. Leur vocation est cependant moins de susciter la nostalgie des temps heureux avant le meurtre, que de démontrer avec un trait fin et précis que la gangrène existentielle dont est atteint le protagoniste l’avait infecté longtemps avant cet accident de parcours majeur.

© 1961 Aguila Films / Carlotta Films Tous droits réservés

Conclusion

La filmographie de Marcello Mastroianni est une encyclopédie du cinéma italien à elle toute seule ! Comme preuve, nous citons ce policier dense dans lequel il incarne avec une maestria bluffante un personnage antipathique. Or, tout l’art de l’identification y réside dans la capacité de l’acteur de nous le rendre malgré tout digne d’intérêt, une tâche effectuée haut la main, aussi grâce à la mise en scène avare en fioritures de Elio Petri. Par petites touches, ce dernier en dit d’ores et déjà long dans son premier film sur les travers intrinsèques de la société italienne, avant que ce rôle de chroniqueur au regard acerbe ne devienne prépondérant dans la suite de sa filmographie assez brève.

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